Cette étude solidement documentée accorde une large place à l'écrivain de langue yiddish
Isaac Bashevis Singer ainsi qu'à son frère aîné Joshua. Ces derniers sont nés à Leoncin en Pologne, l'un en 1904, l'autre en 1893. Tous deux émigrent aux USA dans les années 30 alors que s'amoncelent sur l'Europe les nuages noirs du National-socialisme. Ils ne sont donc pas des témoins directs de la Shoah mais des victimes collatérales. Témoins d'un judaïsme polonais yiddishophone presque totalement disparu, les frères Singer n'ont eu de cesse de faire revivre à travers leurs écrits ce monde balayé par la folie meurtrière du 3ème Reich. Pour ce, un outil incontournable et efficace : la langue yiddish, presque unique dépositaire de la tradition ashkénaze. Cette langue en grand danger d'extinction, c'est à ses derniers conteurs qu'il appartient de la maintenir en vie car elle seule peut réanimer le petit monde de la Varsovie juive et du Shtetl. le yiddish, langue vernaculaire des Ostjuden, langue témoin, langue mémoire mais aussi langue méprisée des Gentils.
Manes Sperber, autre Juif polonais en exil, se voit humilié par un professeur viennois car il prononce Hous au lieu de Haus! H. Lewi accorde en effet une place non négligeable à d'autres écrivains de la génération du déluge: yiddishophones nés en Pologne ou ailleurs, fils d'immigrés du Yiddishland maîtrisant plus ou moins bien ou pas du tout la langue de leurs parents. Opatoshu, Tenenboym, Howe, Anski, Sperber..., autant d'auteurs que j'ai découverts à la lecture de ce livre. Tous sont pétris de contradictions insolubles mais se présentent à travers leurs écrits comme des " grands réparateurs de la mort". Cette mort qui a en partie tué le Hassidisme, courant mystique fondé au XVIIIeme siècle par le
Baal Shem Tov où comptent "l'effusion, l'intensité d'intervention, , l'amour mystique", ce Hassidisme en opposition au judaïsme rabbinique, basé sur l'interprétation rigoureuse des textes. Or, même si la question se posait déjà dans la Pologne juive d'avant le "déluge ", elle se pose aussi après : faut- il perpétrer l'héritage juif qui semble un "choix de soi-même contre l'universel, contre l'attitude assimilée à la Raison ? En clair, faut-il choisir entre le judaïsme et l'universalité ? Faut-il à travers le récit juif continuer le voyage pour atteindre la venue du Messie? Pourtant débarrassé de ses papillotes, pourtant devenu citoyen américain, Singer ne se mélangera jamais vraiment à la population non juive du pays d'accueil dont il ne maîtrisera non plus jamais vraiment la langue... Car, pour terminer avec les mots d'
Henri Lewi, s'assimiler, c'est se faire une raison et "se faire une raison, c'est accepter l'inacceptable." Un livre hermétique mais d'une très grande richesse. J'ajouterais tout de même un bémol : le vocabulaire universitaire pompeux de l'auteur qui explique de manière compliquée ce qu'il pourrait dire simplement ainsi que ses références constantes à la psychanalyse, obsédée par les problématiques sexuelles. Faut-il à tout prix psychanalyser les passeurs du Yiddishland ?