Le livre de
Ferdinand Lot retrace l'évolution des peuples de l'Europe et du Moyen-Orient sur une période qui va des premiers siècles jusqu'à la dynastie mérovingienne. Au-delà du brassage des populations, ce qui a retenu mon attention est le changement des mentalités de la sensibilité hellénistique du beau dans la statuaire et les autres arts à la disparition de la sculpture à l'époque romaine à cause du changement de paradigme mental causé par le christianisme. On se passionne pour des débats théologique sur la nature de Jésus. L'art, la science, les réalisations humaines en générales vont en souffrir pour plusieurs siècles à venir. Quelle perte!
L'idée que l'histoire a un sens et s'achemine vers la fin des temps fait percevoir l'histoire immédiate, l'ici et le maintenant, comme une expérience sans importance. Il faut lire la désagrégation lente des forces de l'empire romain, imaginer les exactions des Barbares, visualiser la perte du sentiment du bien commun pour bien saisir toute l'étendue de la régression que subit l'humanité en ces époques troublées.
J'ai lu le livre en allant voir le nom des peuples sur Wikipédia pour suppléer à toute l'information que le livre ne contient pas et ça été une expérience fantastique. J'ai poussé mon entrée en matière de cette périodes jusque vers la proto-histoire, 5000 ans avant J.-C. à l'époque des Scythes, des premiers Indo-Européens, et même de la civilisation de la poterie cordée. L'art animalier scythe qui date de six à sept siècles avant J.-C. est proprement éblouissant. Quand on voit les monnaies romaines frappées 1000 ans plus tard, on ne peut qu'être étourdi par la perte de sensibilité et de l'attention aux détails des populations romaines. L'empire se fige, les classes sociales et les métiers deviennent des prisons de père en fils, toute créativité, toute spontanéité disparaît. J'ai été frappé de voir comme on se réclame longtemps de l'empire romain chez les germains, les Francs, les Goths et tous les autres peuples. Les sensibilités se rattachent à ce qui était considéré comme le summun de la civilisation des siècles après la décomposition totale et même la disparition des formes politiques et sociales de l'ancien empire romain (celles d'avant 476).
De nouvelles forces émergent lentement, comme une royauté de nature privée chez les Francs. On considère le royaume de Clovis comme un bien personnel; l'Église monte en puissance suite au déclin du sentiment de bien public dans la royauté mérovingienne; un embryon de sentiment national naît, fortement lié au pagus; le droit juridique barbare primitif basé sur la vengeance, l'ordalie, le formalisme vide finit par supplanter le droit romain qui était une première tentative de faire émerger une véritable justice humaine. La violence et l'arbitraire résurgissent comme de la mauvaise herbe après la bulle paisible de l'époque grecque. le VIIIe siècle semble être l'apogée d'une grande noirceur dans tous les domaines.
Ferdinand Lot s'attarde sur les continuités économiques et sociales plutôt que sur l'arbitraire de l'événementiel ce qui confère à ses explications une profondeur toute particulière encore très perceptible près de 90 ans après la publication de cette oeuvre. Bravo!
J'ai beaucoup apprécié la lecture de ce livre comme entrée en matière à l'Antiquité et au Moyen-Âge. Je peux maintenant choisir d'explorer plus en profondeur deux grandes époques en ayant une solide base de l'évolution des mentalités.