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EAN : 9782021456554
156 pages
Seuil (20/08/2020)
3.91/5   103 notes
Résumé :


De mai à juillet 2019 se tient le procès France Télécom- Orange. Sept dirigeants sont accusés d'avoir organisé la maltraitance de leurs salariés, parfois jusqu’à la mort.

On les interroge longuement, leur fait expliquer beaucoup. Rien à faire : ils ne voient pas le problème. Ils ont même l’impression d’avoir bien réussi l’opération. L’ancien P-DG Didier Lombard a un seul regret : « Finalement, cette histoire de suicides, c'est terrible... >Voir plus
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Le procès de France Télécom n'a pas eu lieu ou plutôt il a bien eu lieu 10 ans après la vague de suicides et le harcèlement moral qui a sévi au sein de cette entreprise en mai 2019 mais en lisant "Personne ne sort les fusils", on a l'impression que l'on est passé à côté.

Pourquoi ? Parce que les dirigeants prévenus, plein d'arrogance, qu'on interroge longuement, ne voient pas où est le problème.
Pire, l'un d'entre eux déclare : "Cette histoire de suicides, c'est terrible, ils ont gâché la fête." Il n'y aura donc pas de pardon face aux 39 salariés qui se sont portés partie civile et encore mieux de remise en cause de cette organisation transformée en véritable machine à produire du "flow" pour reprendre les mots de l'écrivaine.
Quel message la justice donne-t-elle quand la peine maximale encourue est de 15 000 euros et un an de prison avec sursis quand Olivier Barberot, DRH, gagne 540 000 euros par an!

Le parti pris du livre de Sandra Lucbert c'est celui de décortique la langue managériale, celle apprise dans toutes les écoles de commerce, celle qui traduit notre monde ultra-libéral, celle qui nomme les salariés des collaborateurs mais qui les placardisent quand ils ne produisent plus assez.

"Un salarié n'est plus un salarié, c'est un partenaire" à propos d'Uber (et on pense forcément en lisant ces pages au très beau dernier film de Ken Loach)
Sandra Lucbert souligne bien combien il est ironique d'appeler des plans visant à virer 22 000 personnes, NEXT et ACT.
Dommage qu'aussi interessante soit elle on a l'impression que l'étude de cette langue prenne le dessus sur tout, s'appuyant sur Kafka ou Rabelais .
S'installe alors pendant la lecture la désagréable impression de lire une thèse érudite de linguiste et de rester en dehors de ce procès. Lorsqu'on vous dit qu'on est passés un peu à coté de ce procès!
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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De mai à juillet 2019, Sandra Lucbert assiste au procès des dirigeants de France Télécom, le « Nuremberg du management » comme l'appelle un internaute du Figaro. « Parfois, Didier Lombard s'endort pendant le récit d'une pendaison. Il digère. » « Cette histoire de suicides, c'est terrible, ils ont gâché la fête. », regrette-t-il. « On n'a pas si souvent l'occasion de voir à nu la guerre des classes. » Avec rage et détermination, elle va décortiquer la novlangue managériale à l'oeuvre et l'organisation du travail qu'elle dissimule et défend.
(...)
Cet exercice de salubrité public s'avère d'une terrible puissance subversive et instructive.

Article complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Sandra Lucbert n'a pas trempé sa plume dans l'acide... d'un agent Orange, non ! Elle est bien plus chevaleresque que cela, bien plus fine lame : elle l'a aiguisée aux meilleures pierres, celles des sciences humaines, celles qui font de l'Homme leur objet comme leur fin. Et comme elle est aussi artiste, elle a polie sa plume tranchante d'éclats d'une langue littéraire rare.
Son analyse des ressorts de la domination est brillante même si elle n'est pas tout à fait inédite. Bien des spécialistes et notamment des sociologues ont déjà montré les effets du langage managérial et de la « culture gestionnaire » qui s'imposent depuis des décennies (cf. par exemple le nouvel esprit du capitalisme de Boltanski et Chiapello ou les travaux de Vincent de Gaulejac) et encore les conséquences (de même que les sous-bassement idéologiques) de l'atomisation des collectifs de travail (sciemment recherchés et imposés par des dispositifs de mise en concurrence de chacun avec chacun, cet acharnement à faire de l'homme un loup pour son prochain) de même que les techniques de fragilisation, notamment par le transfert du savoir-faire du salarié à ses outils, véritable entreprise de « déprofessionnalisation »/désarmement dans le rapport de force entre le subordonné et son employeur (cf. par exemple les travaux de Danièle Linhart ou ceux de Christophe Dejours). Mais ses « chroniques » du procès France Télécom ont ce brillant et cette force que même les études les plus savantes, les mieux menées, et jusqu'aux plus engagées ne parviennent pas à atteindre. Parce que Sandra Lucbert livre un travail d'une précision chirurgicale, découpe au scalpel la langue, radiographie les corps et leurs postures, capte les signaux faibles, déchiffre les codes, met à jour les fondations de la mécanique d'ensemble, de la Grande Machine. Elle s'est armée de toutes les sciences et sciences et sait manier le tranchant de chacune en experte, avec un art et une manière de dire qui frappe, un art de souligner qui gifle, une manière d'enfoncer la démonstration comme on le fait d'un coup de poing savant : qui doit permette de se dégager la place dans la garde de l'adversaire, porté là où ça fait mal. Personne ne sort les fusils mais Sandra Lucbert tire à mots réels, elle perfore la muraille de l'ennemi par des obus du sens, elle flingue les chiens de garde et, parvenue au coeur de la place adverse, immole les fausses idoles qui se posent en guides . Dans son combat, elle met à jour toutes les contre-vérités qui nous lient et nous bâillonnent. Ses cartouches issues des meilleurs fabriques, rabelaisienne et kafkaïenne, sont d'une puissance justicière. Et ça fait un bien fou.
C'est un livre indispensable comme me disait l'ami plus indispensable encore qui me le mit entre les mains.
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Sandra Lucbert après avoir assisté aux procès des dirigeants de France Télécom constate que "personne ne sort les fusils" puisque dans la salle d'audience tout le monde parle la même langue. Impossible alors de dénoncer ce monde qui valorise la valeur financière au mépris de l'humain. Elle va chercher des comparaisons dans d'autres formes littéraires, Kafka, Bartoldi, Rabelais pour démanteler toute la logique sociale mise en oeuvre à partir de sa langue . C'est ce qu'elle appelle la LCN ( Lingua Capitalismi Neoliberalis ).
Si les fusils ne sont pas encore sortis, la langue est tranchante et dynamite les processus du capitalisme. le chef d'entreprise Michel Bon selon l'Evangile néo-libérale ne transforme-t-il pas Jésus en manager avant l'heure !
Les dernières pages fusent dans une prose poétique grinçante.
Cet essai vient de recevoir un prix hautement mérité.
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Virer 20 000 personnes, sans plan social mais en les harcelant jusqu'à ce qu'ils partent d'eux même, ça fait des dégâts... et des morts.

Sandra Lucbert revient dans ce cours roman sur le procès des dirigeants de France Télécom ayant eu lieu en 2019 environ 10 ans après les faits. Ces derniers relèvent d'un plan massif de harcèlement de leurs employés dans l'objectif d'en pousser 20 000 au départ en 3 ans, avec pour conséquences de nombreuses vie amochées et des suicides par dizaines. Plutôt qu'un récit point par point du jugement, Personne ne sort les fusils assigne à une réflexion sur ce que porte comme signification cet évènement. Convoquant Kafka, Melville ou Rabelais, l'ouvrage étend la question à la société néolibérale.
Ayant assisté au procès, l'auteure démontre l'impossibilité pour un monde capitaliste et libéral à juger des pratiques issues de son sein. Les accusés, entourés d'une horde d'avocats, ne risquent quasiment rien. Et cet état de fait ressort dans la langue, celle du libéralisme naturalise ce dernier, le rend indiscutable. C'est ce que Sandra Lucbert met en évidence, la complaisance du récit de ce drame par une langue qui est acquise à la cause des bourreaux. « Réforme des structures du financement de l'économie. Un nom pareil, personne ne sort les fusils ». Il faut donc faire sauter ces barrières linguistiques, pour que les fusils puissent à nouveau être sortis... métaphoriquement ou non.
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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
« Ce procès, est-ce que vous y voyez comme tchitrec, internaute du Figaro, […] le Nuremberg du management ? »
Ce procès-là, c’est celui de sept dirigeants de France Télécom, commencé la semaine précédente, le 6 mai 2019. Cette question, c’est celle que pose un journaliste du Figaro à un directeur des ressources humaines.
L’ « obsession du départ en trois and de 22 000 salariés et de 10 000 mobilités est devenue le cœur de métier des dirigeants de France Télécom, […] [qui] peuvent qualifier leurs agissements ainsi : le harcèlement moral est mon métier« . Affirme l’une des procureures, deux mois plus tard, dans son réquisitoire.
La mort est mon métier est le titre d’un roman de Robert Merle ; les mémoires fictifs du commandant d’Auschwitz-Birkenau.
J’ai regardé l’émission du Figaro avant d’aller au tribunal, pour me faire une idée de ce qui se disait du procès. J’ai lu le compte rendu du réquisitoire dans Mediapart, pour savoir ce que concluait le parquet après deux mois d’audiences.
En septembre encore, je lis cette plaisanterie de François Ruffin dans Fakir : « J’aurais bien demandé à Hannah Arendt de couvrir, elle n’était pas disponible. »
Décidément, « ça » travaille les esprits – de Fakir au Figaro.
Maître Veil lui-même, pourtant avocat de l’ex-P-DG de France Télécom, fait cette étrange remarque dans sa plaidoirie finale : certes, tout ceci est douloureux, mais il y a « un drame que nous avons tous évité, c’est celui de la guerre sur le territoire national ».
On entend ça, on reste perplexe. De quoi parle-t-il exactement ?
Maître Veil s’est illustré par ses provocations tout au long du procès. La surenchère est son régime par défaut. Mais enfin, l’invasion allemande et l’Occupation ? Qu’est-ce que ça vient faire là ? On pressent des intentions contournées, d’autres ensevelies. Au total, cependant, on se retrouve de nouveau avec « ça » sur les bras.
À l’évidence, « c » ‘est dans sa tête aussi.
Personne pour dire que « c’est la même chose ». Pourtant, tout le monde pense à la même chose. Au même impensable. Il doit y avoir une raison.
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L’homme Bon s’est endetté – lourdement, sur les conseils de ses vices, des banquiers d’affaires et de l’avis général de La-Bourse. À ce moment-là, La-Bourse aime la dette. S’endetter est signe de vision. Elle applaudit donc : Bold move, Michel, beau geste ; on va te faire un cours de prédateur.
Et puis soudain tout change. La-Bourse et ses lois de moutons à la file trouvent que la dette, non, finalement. Orange est trop cher. La dette est trop lourde. Michel n’est plus l’homme d’une vision, mais d’un naufrage.
France Télécom perd 90 % de sa valeur.
L’homme Bon est remercié.
Michel Bon ne fait pas partie des prévenus du procès France Télécom. Il est pourtant l’auteur de la situation France Télécom.
Coauteur. Toute cette histoire n’aurait jamais été possible sans la déréglementation, sans la concurrence libre et non faussée, inscrites souverainement dans les traités européens. Si Orange coûtait si cher, si la bulle internet a été, c’est grâce à l’entrée des opérateurs rivaux de France Télécom sur le marché.
Manquent par conséquent sur les fauteuils des accusés ceux qui ont assuré la transcription des directives européennes en France : Chirac, Fillon, Juppé et Jospin.
Avec une mention particulière pour Lionel Jospin, qui avait fait campagne contre la privatisation. Et qui, une fois devenu Premier ministre, ne se contentera pas de laisser advenir la déréglementation et la concurrence non faussée. Il fera du zèle : ouvrira le capital de France Télécom. Et tout sera en place pour la situation France Télécom – les suicides en bout de chaîne.
Les coupables les plus manifestes ne sont pas même nommés pendant le procès.
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Monsieur L. s’est immolé par le feu en 2011. Pendant dix ans, il a subi les gribouillis du commandant.
Son poste est supprimé en 2000 et, de ce jour, il est baladé de mission absurde en mission tarée. Il vend sa maison pour suivre le non-sens ; prêt à tout pour retrouver une tâche, il suit des protocoles de recrutement ne débouchant jamais sur rien, des séries d’entretiens-façades tenus comme des fa dièse. En 2010, Lombard s’étant fait dégager parce que les médias l’ont privé de son succès, arrive la nouvelle direction de Stéphane Richard, qui renforce l’encadrement de terrain : monsieur L. est enfin recasé. Il devient « préventeur », chargé des conditions de travail.
Un « préventeur » fait de la prévention. Monsieur L., devenu préventeur, prévient les craquages des employés. La mission de monsieur L., qu’il n’aura pas le choix d’accepter, est de rendre soutenable aux autres la herse qui s’exerce sur lui depuis dix ans.
On ne parlera pas de perversion.
Monsieur L. le dit suffisamment bien dans le courrier de six pages qu’il a adressé à la direction de France Télécom-Orange, un an et demi avant son suicide : « C’est une machine à fabriquer des déséquilibrés, ensuite il suffira d’agiter un peu […]. Continuons tous, employeur, État actionnaire et décideur, syndicats, salariés, à ignorer les vraies causes profondes : dans dix ans on sera encore à traiter de ce même sujet… enfin non… une certaine catégorie du personnel aura disparu par départ en retraite ou par suicide : et le problème sera réglé, en-fin ! […] le suicide reste comme étant LA SOLUTION ! »
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Rien n’a été annoncé. D’un coup, toutes les lumières se sont éteintes. On a tiré les rideaux.
Le voilà comme les autres, assis là sans savoir, sans rien voir, à attendre.
Sur sa droite, là où siège le tribunal, une voix s’élève. Lente, monocorde, à l’instant réfractée dans des centaines de casques en quatre langues. Elle dit : « Vous allez voir un documentaire sur les camps de concentration installés par le régime nazi. »
Un faisceau doré traverse l’ombre. Atteint le mur du fond, éclaire progressivement l’immense écran. Un titre ; puis les charniers. L’horreur plein les yeux.
Le film avale l’assistance. Lui, il perd notion d’où il est, il n’a jamais vu ça.
Brusquement, pourtant, il est ramené à la salle. Il sent quelque chose.
Sur sa gauche : un second foyer lumineux. Quand s’est-il allumé ? Il ne saurait pas dire. Reste qu’un projecteur fait apparaître les travées des vingt-quatre accusés. Exactement cernés de lumière blanche ; eux, pourtant, n’en sentent rien. Trop absorbés par l’écran, intégralement livrés aux images de leur carnage.
La lumière est onctueuse, elle a été pensée, elle ne les affecte pas ; elle les révèle en leurs passions brutes : chacun de leurs traits saille. Pas un clignement d’yeux, pas un pli n’échappe à l’assistance ni aux juges. Un double mouvement. Les accusés magnétisés par les massacres et les tortures qu’ils ont organisés, la salle scrutant leurs visages phosphorescents « avec une avidité presque sauvage ».
Projection de l’évidence des crimes.
Projecteurs sur les tueurs.
La preuve par la lumière.
Un jugement scénographé depuis un monde de projectionnistes et d’ingénieurs son ; depuis le bloc Alliés qui a balayé le Reich et entend que la condamnation soit sans appel, claire comme la résolution d’une « équation sans précédent ».
C’est le récit que fait Joseph Kessel d’une journée au procès de Nuremberg.
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Au procès France Télécom, le monde jugé est le nôtre. Le monde qui juge est aussi le nôtre.
Le monde jugé est celui depuis lequel on juge.
Toute notre mécanique sociale devrait comparaître ; et c’est impossible, parce que nous sommes à l’intérieur ; elle dicte nos présupposés. On ne la voit pas : c’est par elle qu’on voit. Ainsi, le tribunal est intérieur à ce qu’il juge. Il parle la langue qu’il accuse.
Je parle aussi cette langue.
Mais je trimballe avec moi quantité d’états de langage, c’est ce que fait la littérature aux gens qui la pratiquent. Elle impose un écart permanent d’avec tout ce qu’on dit. Je parle la langue collective, mais contestée par une cacophonie intérieure.
Au quotidien, ce carambolage provoque surtout des heurts avec les institutions, où se parle fanatiquement la langue générale.
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