L'univers de la chanson de la glace et de l'été, le vrai nom de la saga " Game of Thrones" écrite par G R.
R. Martin est plus vaste que la série télévisée nous fait croire. En effet outre les cinq tomes, l'auteur a aussi rédigé une chronique sur la famille Targaryen (Feu et Sang qui va être prochainement adapté par HBO également en série sous le nom d'House of the Dragon) et trois nouvelles sur un duo atypique mais bien connu dans l'histoire du monde de Westeros : celui du Chevalier Errant et de l'Oeuf, alias le preux Duncan le Grand et son écuyer Aegon qui n'est d'autre qu'un des illustres rejetons de dynastie targaryenne et qui devient par la suite le roi Aegon V, grand-père d'Aerys II et par conséquent arrière-grand père direct de Daenerys aux trois dragons qu'on aime bien suivre dans l'histoire. Trois récits de ces deux compagnons que tout semble opposer et dont les aventures nous dévoilent en filigrane l'univers féodal des Sept Couronnes et des intrigues bien tumultueuses qui s'y déroulent, nous éclairant sur ce passé qu'on méconnait souvent quand on lit les cinq volets, puisque dans ces trois nouvelles nous sommes plongées cent ans précisément avant la guerre des trônes.
Le Chevalier Errant est l'introduction du recueil, nous introduisant Duncan un chevalier errant. Qu'est-ce qu'un chevalier errant ? C'est un chevalier sans seigneur et sans maître-lige et à la recherche d'emploi à pourvoir. Il participe à un prestigieux tournoi, celui de Cendregué, pour s'illustrer en combat et rencontre le curieux Oeuf, un garçon chauve qui finit par le suivre partout. Alors que tout se passe bien, Duncan assiste à l'agression d'une jeune fille marionnettiste par l'orgueilleux prince targaryen Aerion et Duncan en profite pour le corriger durement. Mal lui en prend, car il doit à présent devoir affronter dans un duel judiciaire l'arrogant noble qui compte bien en découdre...
Ici nous faisons connaissance d'aussi bien de Duncan que de l'Oeuf, dont l'identité ne tarde pas à être révélée. C'est la formation bien hasardeuse d'un duo hétéroclite, entre un pauvre gueux voulant être un chevalier sans en avoir le titre et un vrai petit prince privilégié mais au coeur pur et détestant par dessus son insupportable frère ainé Aerion, qui est un prototype de Joffrey Baratheon tant il est malfaisant au possible. Autour d'un tournoi et de combats d'épées bien percutants, nous sommes immergés dans un cadre bien vivant et loin d'en être figé d'image d'Epinal : il y a la gloire et les batailles oui, et les fastes des aristocrates, mais aussi la description minutieuses des marchands et des forgerons vivotant dans la fête, l'effervescence populaire des petits gens réunis pour célébrer les festivités puis pour encourager le seul chevalier représentant leur classe sociale, de nobles au tempérament varis, qu'ils soient de pourris gâtés exécrables où de justes hommes bienveillants envers les uns des autres. le dénouement de ce tournoi se terminera dans la tragédie mais il permet pour autant à ce que la justice soit rendue et que notre duo se forme enfin.
La seconde nouvelle, celle de l'épée-lige est plus fouilli mais moins excitante et un peu languissante. Duncan et l'Oeuf devenu son ecuyer écument les terres de Lord Osgris, que ravage une terrible sécheresse. le chevalier et son servant se retrouvent malgré eux dans un conflit de voisinage entre le seigneur Osgris et lady Tissier, au doux sobriquet de
la Veuve Rouge autour d'une rivière que l'une détourne via un barrage. Ils vont devoir résoudre la querelle, qui ne va pas s'arranger avec les implications liés au passé sombre d'Osgris...
Changement d'ambiance radicale, où au lieu du joyeux tournoi enfiévré, c'est dans une région aride, écrasée par une chaleur atroce et dans des châteaux moroses qu'hantent des souvenirs bien tristes qui prennent racine dans l'histoire de Westeros plus précisément d'une lointaine (mais non vieille) guerre civile ayant déchiré le pays et dont elle continue de faire parler d'elle dans la saga principale de Martin, celle de la rebellion Feunoyr issue d'une branche bâtarde des Targaryens qui a voulu renverser la dynastie royale
et il se pourrait que dans la saga justement, le fameux prétendant Griff le Jeune alias Aegon se revendiquant être fils de Rhaegar ne soit en fait qu'un descendant des Feunoyr, ce qui si la chose était vraie, rajouterait davantage l'huile sur le feu dans la situation actuelle... . On crève de chaud littéralement comme nos protagonistes et on est alourdie à la fois par la chaleur comme par les graves réminiscences du passé. C'est long, c'est lent, et le rythme est bien abscons parfois, mais la nouvelle est toutefois plaisante à lire.
Et nous arrivons au troisième récit, le meilleur à mon avis, celle de l'oeuf et le dragon. Duncan et l'Oeuf débarquent lors d'une noce du seigneur Beurpuit avec une fille Frey et qu'un tournoi fait partie des célébrations, tournoi particulier puisque la récompense au vainqueur sera un véritable trésor à lui tout seul, un oeuf de dragon authentique. Ce qui devait être qu'une simple joyeuseté avec un cadeau spécial à remporter va vite dégénérer quand Duncan et l'Oeuf comprennent que le mariage n'est qu'un paravent dissimulant une conspiration visant à placer un Feunoyr sur le trône de fer... Plus dynamique et plus palpitante, cette nouvelle nous immisce dans une atmosphère de complots et autres trahisons malgré le cadre léger de la noce avec cette cabale ourdissant contre les Targaryens et que menace avec péril la vie de nos protagonistes. La nouvelle est également plus rafraîchissante pour les connaisseurs de la saga puisqu'elle invoque quelques personnages appelés à marquer l'histoire plus tard puisqu'on retrouve ainsi le futur Walder Frey en bambin braillard et geignard et
Freuxsanglant alias Brynden Rivers, le troublant albinos borgne et Main du roi Aerys Ier, qui sera la fameuse Corneille à Trois Yeux le mentor de Bran Stark . La fin est magistrale, tant elle nous surprend et qu'on ne la voit pas venir !
Trois nouvelles très sympathiques sur le monde chevaleresque de Westeros, sur un passé qui s'il paraît plus lumineux et non en proie perpétuelle des guerres intestinales entre nobles et rois comme le sera tristement plus tard celle de la Guerre des Cinq Rois (et puis aussi les morts ne pleuvent pas tous le temps ici !) , n'est pas moins tout aussi compliquée avec la Rebellion Feunoyr dont on comprend mieux la portée dans les événements du Trône de Fer
on saisit mieux certains passages et implications de la série littéraire comme le massacre des bâtards de Baratheon qui n'est d'autre qu'un moyen d'éviter une nouvelle Rebellion Feunoyr où comme soulignée ce qu'importe le personnage de Griff le Jeune . Martin nous convoque pour mieux la déconstruire une figure capitale dans notre imaginaire médiévale, celui du Chevalier Errant issue avant tout des romans arthuriens, bien qu'il suit la voie empruntée d'un autre grand amateur de destruction de stéréotype,
Miguel de Cervantes dont Don Quichotte était déjà un démantèlement du chevalier errant mais en plus comique et parodique. Ici, le Chevalier Errant est un personnage tout en nuance, qui a ses défauts mais qui suit rigoureusement ses idéaux et semble être la seule incarnation de la défense des faibles et des opprimés dans un monde qui ne l'est pas.
En attendant une adaptation en petit écran de ce recueil, on peut savourer ce recueil loin d'être un simple spin-off d'une saga à succès et qui est porté par des individus attachants et par un monde toujours plus riche que nous sert Martin.