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EAN : 9782493049087
190 pages
Arcane 17 (21/01/2022)
5/5   1 notes
Résumé :
Désireux de changer sa vie et de se lancer dans l’écriture, Roschdy va trouver l’inspiration en la personne d’une inconnue profondément choquée par la mort subite de son compagnon. Sans rien connaitre de cette femme qui s’installe dans l’avion sur le siège voisin du sien, il va lui imaginer un passé et dérouler une histoire d’une profonde humanité. Roman dans le roman, le récit de la vie de l’inconnue et celle de Roschdy vont dialoguer en une dialectique qui aborde ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
L'inconnu de Lydia Martins Viana
Un roman exigeamment populaire ou le parti de la vie

Les livres pourraient raconter la vie. C'est parce qu'ils ne le peuvent pas totalement que Lydia Martins Viana choisit de raconter la vie dans la vie, dans son premier roman. Quelqu'un raconte la vie de quelqu'un qui raconte la vie de quelqu'un qui raconte la vie de quelqu'un qui est peut-être le premier quelqu'un de la liste, au lecteur de retrouver les liens entre ces récits. Il n'est bien sûr pas question de nommer ces quelqu'un pour que le plaisir de la lecture soit entier. La vie pourrait en ce sens raconter les livres avant que ces derniers aient été écrits. La romancière va puiser dans son histoire, dans son existence, pour raconter ces différents destins qu'on se surprend à suivre avec curiosité et un certain suspens, jusqu'au chapitre final où l'auteure choisit de boucler la boucle pour mieux l'ouvrir. Récit de l'essentiel de la vie mais récit aussi de sa légèreté. Lydia Martins Viana va puiser à la surface des choses de notre temps, de nos histoires du quotidien, pour un peu on la soupçonnerait de nous avoir espionnés lors de nos discussions au café. On découvre dans son roman des histoires d'amour qui sont d'abord nos propres histoires d'amour : sur les réseaux sociaux, avec leurs lots de trahison, sans oublier les bonheurs de l'état amoureux lui-même, ses rebondissements, ses peines et ses joies.

L'amour, comme la vie, ne peut pas éviter la rencontre avec la mort, inévitable, et puis osons le dire, souhaitable. Il faut que des choses se terminent pour qu'elles puissent continuer encore. La vie se nourrit de la mort pour continuer à vivre. le livre commence d'ailleurs par cette expérience de la mort : « mon compagnon…le père de mon fils…il est mort ». On ne trahit rien du livre en le révélant, c'est la rencontre avec la mort qui initie les 185 pages de ce roman qu'il est difficile de lâcher, parce qu'il y est question de la vie, tout simplement. C'est la rencontre avec la mort qui donner la vie à ce roman. Souhaitable la mort, car la vie éternelle n'est rien d'autre que la mort. Avoir conscience de la vie c'est avoir conscience de sa fin et de sa finitude. C'est sans doute pour cela qu'il faut en profiter, sans jamais tarder. Qu'on s'empare donc de la mort pour en faire de la vie, cela s'appelle fabriquer de la mémoire, pour que ceux qui meurent continuent à vivre dans nos esprits. « Mon livre serait une forme de thérapie », dit un des narrateurs. Oui, une sorte de thérapie pour mieux vivre ensemble dirait les lecteurs que nous avons été.

Le livre de Lydia Martins Viana vit de cette pulsion de vie, vivre coûte que coûte, toujours vivre, pas survivre, vivre intensément. Pas étonnant que cette pulsion de vie irradie les nombreux thèmes que soulève le roman qui prend les formes du roman d'apprentissage. La pulsion de vie s'incarne jusque dans la politique et les narrateurs s'en donnent à coeur joie. Oui ! Il est possible de changer encore le monde (il est encore possible de changer le monde), il est possible de faire de la politique autrement, il est possible de gouverner en déléguant le pouvoir : « le propre de l'être humain c'est d'agir. C'est son action, sa contribution à la société, qui doit être reconnue et valorisée, peu importe le statut dans lequel il la déploie ». Prendre des risques et réinterroger les principes de gratuité. Se reposer des questions et se dire, pour le bien de tous, pourquoi ne pas repenser la redistribution des richesses. Et puis pendant qu'on y est, on a envie d'y aller dans l'action, peu importe qu'elles soient de gauche et de droite, et si on réinventait les clivages et donc le débat politique semble nous souffler Lydia Martins Viana qui fait dire à un de ses narrateurs : « la joie de vivre, d'aimer et d'être aimée, la volonté de changer la vie et la société, la soif de savoirs, de rencontres, d'engagements, voilà les caractéristiques que j'avais données à mon personnage ».

Dans un monde où on chosifie les êtres en même temps qu'on les individualise à l'extrême, les narcissisant dans leur propre miroir, il sera toujours temps de retrouver « la joie » de l'action pour la vie. Ces actions, comme nos vies, sont simples, et c'est un autre trait de l'humilité de L'inconnu, puisque c'est le titre du roman. La simplicité, c'est ce qui vient de la vie, de la vraie vie, celle des gens. L'inconnu nous raconte la vraie vie des vrais gens même si l'on se doute que ces gens sont des personnages de fiction, forcément inspirés de la vie donc. Il faut se méfier des histoires vraies, les personnages de l'inconnu ne sont pas exemplaires, ils sont populaires. Ou plus précisément ils sont exigeamment populaires. Quand ils mangent une salade, c'est juste « une grosse salade ». Ce qui pourrait passer pour un trait d'écriture naïve est en réalité un trait de style de l'auteure. Sans faire l'économie du complexe, sans faire l'économie de l'exigence de la culture, Lydia Martins Viana nous donne à lire des vies accessibles, nos vies accessibles, d'où ce sentiment de proximité qu'on a à la lecture du roman. Exigeamment populaire, car le livre est l'expression de la vie d'un peuple qui est composée de gens qui vivent LEUR vie, à l'opposé de la culture de masse, où la culture dominée par le divertissement et la consommation vit la vie des gens, où « tous, pour citer Gilles Lipovetski, désirent ce que les autres désirent ». On se rappelle cette expression d'Henri Michaux : « on ne rêve pas, on est rêvés ». Exigeamment populaire avec ses nombreuses références qui rythment les bas de page nous faisant croire qu'on lit un essai, juste nous faisant croire qu'on lit un essai, puisque c'est là un des autres talents de Lydia Martins Viana qui transforme son roman d'amour en roman philosophique, en roman social, en roman politique, en roman d'apprentissage. Lydia Martins Viana rêve éveillée, des rêves qui lui appartiennent, qui nous appartiennent, et pour notre plus grand bonheur elle met en texte les rêves.

Arrêtons de rêver les rêves des autres pour vivre les nôtres. C'est sans doute le message politique le plus affirmé de la romancière qui ne s'est pas contentée de rêver son livre, elle l'a fait, elle l'a écrit. Peu importent les genres tant qu'il y a la littérature. Car l'inconnu n'est pas un texte exutoire. Pas d'autofiction, ni de sentimentalisme. L'inconnu est rêvé par ces inconnus qui racontent chacun un fragment de l'histoire de l'autre pour nous raconter à la fin la vie d'un moment de notre vie, de notre histoire. C'est sans doute ainsi que se raconte l'inconnu. Et rappelons-le, le matériau du livre est exigeamment populaire, d'où son apparente facilité de lecture, réelle mais apparente quand même, tant il interroge ce qu'il y a de plus profond en chacun de nous : le sens de la vie, la mort, l'amour, le courage, le don de soi, la (bonne) conscience. Un livre qui contient sa propre invitation à profiter des joies simples et à portée de main : « son secret était là. Sa joie était véritable, car elle n'était pas une de ces joies feintes, superficielles, qui s'affichent pour la parade ». Et plus loin… parce que les meilleurs secrets se partagent comme ce roman à la générosité affichée : « mais elle détenait un secret bien plus essentiel : la vie peut être belle, très belle même, malgré et au-delà les douleurs ».

La boucle est bouclée, la vie revient toujours et c'est pour cela qu'une boucle s'ouvre sur une autre boucle qui s'ouvre sur une autre boucle, avec quelqu'un qui raconte la vie de quelqu'un qui raconte la vie de quelqu'un qui raconte la vie de quelqu'un et ce indéfiniment, quelle joie ! Alors méfions-nous des marchands de peur, ce sont des marchands de mort. C'est la vie, la rencontre avec l'Inconnu, c'est la vie la grande gagnante malgré son extrême fragilité. Ne la gaspillons pas, prenons soin d'elle, aimons-la, et elle nous le rend au centuple. Un livre exigeamment populaire ne serait-ce que pour cette raison : la vie, la nôtre, la terre, la mer, le ciel, l'amitié, l'amour, la vie est un don.
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