Les douze tribus d'Hattie , c'est peut-être un premier roman, mais quel roman !!
Ayana Mathis signe un roman qui s'ancre parfaitement dans la tradition littéraire afro-américaine. On sent les influences qu'elle a pu avoir, mais de là à dire que c'est une nouvelle
Toni Morrison, ou voir
Toni Morrison dans son récit, ce serait ne pas rendre justice à cette auteure qui a tout de même créé un style qui lui est propre.
L'auteur nous fait le portrait minutieux de plusieurs moments de vie (ou de morts) significatifs des 10 enfants d'Hattie, et de sa petite fille. Cette histoire est présentée avec une écriture très limpide, un ton juste et des analyses parfois très fortes et sans concession.
Le tour de force d'
Ayana Mathis vient entre autre du fait que le personnage éponyme de son roman est vu, la plupart du temps, à travers les yeux de ses enfants. Heureusement, le narrateur omniscient permet d'équilibrer des visions un peu tronquées de certains personnages.
Avec ce roman,
Ayana Mathis peut directement prétendre à jouer dans la cour de ses pairs car avec les personnages complexes et réalistes qu'elle a créés, elle inscrit les Noirs dans
L Histoire des Etats-Unis, de la ségrégation (avec ses conséquences) aux années 1980, en passant par la guerre du Viet Nam. Toutefois, c'est quelque peu malhonnête de dire une telle chose, car ce roman a une portée bien plus grande. S'il est vrai qu'elle analyse avec beaucoup de minutie les spirales d'échecs et les raisons qui ont fait que certains Noirs n'ont pas réussi à se sortir de leur condition, le propos de l'auteur a aussi une dimension universelle dans la mesure où ce roman nous parle de transgressions. Et le plus souvent, de transgressions qui tournent mal…
Hattie Shepherd brise plusieurs codes de la littérature "mainstream" américaine : c'est une figure du sacrifice de soi, une Mère Courage qui se bat pour la survie de ses enfants et ne se laisse guider que par cela même si pour cela elle doit s'oublier. Mais avec ce portrait maternel, on est bien loin de la Vierge tenant l'enfant Jésus dans ses bras, débordante d'amour et de tendresse. Non, Hattie n'est pas une mère parfaite. Les enfants Shepherd craignent leur mère. Quant au père, disons-le clairement, c'est un minable, incapable de prendre en charge sa famille et de subvenir à ses besoins, préférant de loin les soirées entre amis qui finissent dans le lit d'une inconnue.
C'est donc Hattie le "berger" (shepherd) qui guide cette famille tant bien que mal et se bat pour la survie de chacun avec les armes qu'elle possède, contre leur plus grand ennemi : la misère. Hattie n'est donc pas une victime, bien que le fait d'être une femme noire l'exclu doublement de la société où elle vit - et si vraiment le lecteur voulait faire d'elle une victime, elle ne l'est que de ses choix ; mais elle affronte les conséquences avec tant de dignité...
Et comme les 12 tribus formée par les enfants de Jacob, les 12 tribus d'Hattie créeront la société moderne.
Petite anecdote pour finir : j'ai eu "la flemme" comme on dit, de lire le roman en anglais, et en terminant la lecture : je m'aperçois que ce livre a été traduit par un prof que j'ai eu la fac ! Un très bon prof, très calé , très exigeant et pointilleux ; avec des allures peut-être un peu bourrues parfois, mais c'est l'un des rares qui en dehors des salles de cours doit être quelqu'un de fréquentable car il n'avait pas la grosse tête. Je pensais que ça valait la peine de le signaler étant donner le peu d'estime que j'ai pour cette institution ( façon française) - la preuve qu'il ne faut jamais mettre tout le monde dans le même sac !