J'ai bien conscience qu'il va être sacrément difficile de parler de Ganesha, parce que
Xavier Mauméjean a livré au monde, avec son premier roman, une perle de poésie, de complexité et de macabre. Un rouage qu'il nous encourage à décortiquer tout en sachant que l'ampleur de la tâche est sans commune mesure.
J'ai rencontré M.
Mauméjean il y a peu, à vrai dire, il y a moins d'un an, à un festival de littératures imaginaires aux alentours de Lyon. Cela m'a permis de discuter de choses et d'autres avec cet auteur assi farfelu que talentueux, et on peut dire que la rencontre ne fut pas vaine. La difficulté évidente que présentait son sujet dans Ganesha n'était sans doute pas suffisante, car c'est le témoignage honnête et réaliste d'une époque tourmentée et s'asphyxiant dans la noirceur que dépeint
Mauméjean, de même qu'une vision de la médecine formidablement bien retranscrite. En vérité, un effort historique impressionnant. Whitechapel, l'hôpital ayant eu la charge de s'occuper de Joseph Merrick, n'a jamais semblé aussi vrai, de même que le Dr Treves, ange gardien de notre homme-éléphant.
Mais je vais peut-être clarifié la situation, car je réalise qu'il est un peu ardu pour quelqu'un n'ayant pas lu le livre de trouver des repères, que ce soit dans la quatrième de couverture ou les critiques. de quoi parle ce bouquin? Rien de moins facile à expliquer. le livre se trouve être les mémoires (fictives) de Joseph Merrick, figure emblêmatique de la Londres victorienne pour son physique disgracieux et sa maladie énigmatique: Joseph Merrick, c'est l'homme-éléphant. Une figure de cirque qui parvint à sortir de l'univers forain pour mener une fin de vie paisible à l'hôpital de Whitechapel, sous le protectorat du Dr Treves. Mais ce ne sont pas seulement les simples mémoires d'un homme. "John", c'est comme ça qu'on l'appelle, dans l'hôpital, n'est qu'un nom pour colmater les fuites d'un esprit divin et gigantesque. Joseph Merrick est un nom appartenant au passé. Mais Ganesha est omniprésent. Ganesha, dieu des catégories et responsable de la stabilité de l'univers, le dieu-éléphant, Ganesha est cette divinité qui écrit ses mémoires ici.
Vous l'aurez compris, tout le livre de
Xavier Mauméjean est un questionnement à-travers différents plans de réflexion, différentes réalités, pour savoir qui de la divinité ou du simple homme fantasmant l'on suit au cours de l'histoire.
Mauméjean brouille les pistes, sans pour autant s'abstenir de glisser quelques réponses, mais je n'en dirai pas plus.
Ganesha/Merrick ne suffit apparemment pas à tenir le roman puisque l'auteur ose faire du personnage une sorte de Sherlock Holmes macabre, qui va s'atteler à résoudre quatre meurtres (un pour chaque saison qui défile dans l'esprit de l'éléphant), qui se révèlent être quatre petites perles de macabre et de grandguignolesque. de l'originalité? le terme est faible tant le récit de
Mauméjean est dépaysant. Cet auteur fait montre d'un univers et d'une imagination hallucinante, et pour vous le témoignez, Ganesha m'a fait penser par sa marginalité à un Barker des meilleurs jours, tant il s'agit ici pour l'auteur d'entrainer son lecteur dans sa tête et ses tourmentes plutôt qu'en des lieux communs (des peurs "universelles"). Rien ne peut préparer un lecteur à un bouquin pareil, et j'ai envie de dire: tant mieux.
Mais il faut impérativement que je signale quelque chose d'absolument utile, avant de se lancer dans Ganesha. Ce bouquin est extrêmement, extrêmement exigeant. Ne vous laissez pas amadouer par ses quelques trois cents pages. Si la lecture est évidemment agréable et rapide, Ganesha est extrêmement éprouvant et complexe à suivre. Vous me direz, rien que le personnage de départ semble infiniment complexe, et vous n'auriez pas tort. Mais même dans le choix des enquêtes et la manière de les résoudre,
Mauméjean n'hésite pas à élever le récit haut, très haut, avec des complexités langagières, une intelligence du propos et une poésie juste somptueuse. Disons-le:
Xavier Mauméjean écrit merveilleusement bien. Son livre est un délice pour tout lecteur aventureux et amoureux de belles lettres. Mais voilà, je préfère prévenir car le choc peut être terriblement rude. On peut commencer le livre et croire que le prologue, merveille de poésie mais aussi de complexité, place la barre haut pour déstabiliser le lecteur. Mais c'est faux: tout le livre est du même niveau, et la seule chose qui change est l'accommodation du lecteur à cette exigence d'intelligence demandée par
Mauméjean pour accéder aux délices de son histoire.
Alors bien sûr, vous me connaissez, je me laisse emporter sans vraiment souligner les défauts de ce petit livre, car je n'en ai pas vraiment envie. Cela faisait plus d'un mois, à cause d'un emploi du temps maudit, que je n'avais pu lire un roman, et la joie de me plonger dans celui-ci m'a sûrement rendu ses défauts assez doux à l'oeil. Si je devais en citer quelques uns, je commencerais par la même complexité que je vantais quelques lignes plus tôt. Evidemment que ça joue également en défaveur du livre, puisqu'au cours des trois cent pages de lecture, il arrive forcément un moment où l'attention est un peu plus disparate et où l'on se perd dans les méandres de l'esprit de Ganesha. Surtout si cette baisse d'attention arrive au cours de la deuxième nouvelle, "Printemps", qui est inexplicablement et bizarrement complexe,
Mauméjean n'hésitant pas une seconde à étouffer son histoire sous des strates et des strates d'information à l'intérêt douteux. Ajoutons objectivement le fait que cette enquête est moins intéressante que les trois autres, en on obtient très vite soixante-dix pages un peu rudes. Mais rien de décisif non plus.
En résumé, avec Ganesha, vous vous préparez à vous plonger dans un univers extrêmement singulier et particulièrement rude à appréhender. Une fois l'effort d'adaptation effectué,
Xavier Mauméjean vous le rendra bien avec un récit merveilleusement bien écrit, exigeant mais flattant l'intelligence. Une histoire policière, une poésie en prose, un roman teinté de fantastique, un récit historique... Ganesha, c'est tout ça en même temps, et chez Ganesha, le Tout est toujours supérieur à la somme des parties, alors je vous le conseille fortement, lisez ce petit roman.