On ne lit plus assez les écrivains qu'on dit "secondaires" et qui ne le sont pas du tout. Ils valent des oeuvres classiques, mais au temps où les voix de leurs auteurs se faisaient entendre, les prix littéraires n'avaient pas la même audience qu'aujourd'hui et on était baignés de beaux textes.
Relisant "
Thérèse Desqueyroux" trente ans plus tard, je suis surprise par la qualité de ce roman puissant, auquel j'ai été plus sensible qu'à "Madame Bovary".
Tout d'abord, le style de Mauriac est une splendeur.
Les deux oeuvres mettent en scène avec beaucoup d'attention et de lucidité le désespoir affolé de deux femmes prises dans dans les rets d'un mariage bourgeois avec un être trop différent, dans un milieu provincial étriqué.
On assiste à leur lent étouffement, jusqu'à ce que peu à peu se mette en place la tragédie qui les perd.
Des héroïnes pas particulièrement malmenées, ce qui fait ressortir d'autant mieux les structures de l'oppression sociale consistant, dans la bourgeoisie, à écraser les êtres sous leur fonction (épouses, mères) sans tenir compte de leurs qualités propres, de leur intelligence, de leurs goûts, sans parler d'une éventuelle carrière. Eternelles secondes que leurs facultés auraient permis de prendre en main leur vie si elles n'en avaient été empêchées par le poids de moeurs conservatrices où seule compte la famille, ou plutôt le clan.
Condamnées à l'oisiveté, aux ruminations, à la dépression.
J'ai davantage de sympathie pour Thérèse, que je comprends mieux, que pour Emma : est-ce parce qu'elle est plus contemporaine, ou moins frivole ? Mais la frivolité aussi est un symptôme, on comble le vide comme on peut.
Inutile de dire que j'ai davantage d'affection aussi pour Charles Bovary, mari aimant, que pour le Bernard de Thérèse dont la vie est par choix aussi stérile que celle qu'on impose à son épouse, et dont le coeur se tait : manger, chasser, chasser, manger. Lui n'a aucune excuse à sa médiocrité, c'est un tiède, contrairement à Charles Bovary : être homme et riche ne suffit pas, il faut un peu de flamme en plus.
Une faible lueur éclaire cependant la fin du roman.
Voici :
"Au moment de se séparer d'elle, il ne pouvait se défendre d'une tristesse dont il n'eût jamais convenu (...)
- Thérèse, je voulais vous demander... Je voudrais savoir... Est-ce que parce que vous me détestiez ? Parce que je vous faisais horreur ? (...)
Thérèse jeta sur cet homme nouveau un regard complaisant, presque maternel :
- Ne savez-vous pas que c'est à cause de vos pins ? Oui, j'ai voulu posséder seule vos pins.
Il haussa les épaules :
- Je ne le crois plus, si je l'avais cru."