Après la lecture de
Navigations, courte anthologie de la poésie publiée aux Éditions de la Différence, j'ai voulu poursuivre ma découverte de la grande écrivaine portugaise de Sophia de Mello Breyner-Andresen. Les traductions en français de son oeuvre poétique étant plutôt rares, c'est donc avec grand plaisir que j'ai lu celle qu'a réalisé
Michel Chandeigne, une anthologie bilingue publiée en 2022 sous le titre de
la nudité de la vie.
Dès les premières pages, j'ai retrouvé dans l'écriture la même ferveur lumineuse, la même grâce, la même sensibilité. Dans des
poèmes pour l'essentiel en vers,
Sophia de Mello Breyner-Andresen partage, édifie, invoque magnifiquement les choses vues, le temps des voyages (les références à la Grèce et à sa mythologie – Orphée et Eurydice, le Minotaure) sont nombreuses dans ce recueil), la beauté des paysages méditerranéens mais aussi les êtres chers, les poètes disparus (
Fernando Pessoa / Ricardo Reis,
Lord Byron,
Jorge de Sena,...).
« MUSE
[…]
Muse enseigne-moi le chant
Où la mer respire
Constellée de brillants
Muse enseigne-moi le chant
De la fenêtre carrée
Et de la chambre blanche
Que je puisse dire comment
Le soir effleurait ici
La table et la porte
Le miroir et le corps
Et comment il les recouvrait
Car le temps me coupe
Le temps me divise
Le temps me traverse
Et me sépare vivante
Du sol et du mur
De la maison primitive
Muse enseigne-moi le chant
Vénérable et ancien
Pour saisir l'éclat
De ce matin lisse
Qui posait doucement
Ses doigts sur la dune
Et repassait à la chaux les murs
De la maison propre et blanche
[…] »
Dans une écriture tout en maîtrise et en élégance,
Sophia de Mello Breyner-Andresen pose les bases d'une écriture portée sur l'idée de transcendance et de pureté. Selon elle, nulle métaphysique ne peut exister sans sa transposition dans le domaine de l'existence et du vécu, nul rapprochement possible entre l'origine et la fin des choses. Cette transcendance s'incarne dans tous les recoins de sa poésie, elle en est sa vitalité, sa condition même.
« LES AMIS
Revenir là où
La verte explosion de la vague
L'écume le brouillard l'horizon la plage
Conservent intacte la fougueuse
Et ancienne jeunesse -
Mais comment sans les amis
Sans le partage l'étreinte la communion
Respirer l'odeur d'algue des marées
Et cueillir l'étoile de mer dans ma main »
Beaucoup des textes du recueil - ce peut être aussi quelques vers d'un poème - touchent au sublime comme Chemin matinal (Caminho da manha) ou Les Grottes (As Grutas). La parole s'épanche mais garde en elle sa réserve de pudeur pour être au plus près de la pensée. Ce don de la parole suscite l'émotion, traverse le temps et les paysages. Ainsi la poésie de Sophia de Mello Breyner-Andresen nous parvient-elle, libre et lumineuse.
« 25 AVRIL
Voici l'aube que j'ai tant attendue
Le jour initial entier et pur
Où nous émergeons de la nuit et du silence
Et libres nous habitons la substance du temps »
.