Les autres tortues, ne rencontrant pas, comme leur compagne, des difficultés aussi insurmontables, se heurtaient simplement à de menus obstacles comme de seaux, des poulies ou des rouleaux de cordage et, parfois, voulant passer par-dessus en rampant, elles glissaient et retombaient sur le pont en un fracas assourdissant. Tout en prêtant l’oreille au bruit qu’elles faisaient en se traînant ou en se cognant, je me pris à songer à leur lieu d’origine, une île pleine de ravins et de gorges aux reflets métalliques, creusés au cœur des montagnes dans des failles sans fond et en grande partie couverts de fourrés inextricables. Et je me représentai ces trois monstres épris de rectitude, se glissant, siècle après siècle, dans l’ombre des taillis, aussi noirs et sinistres que des forgerons. Et elles rampaient si lentement, si lourdement, que non seulement des champignons vénéneux et toutes sortes d’espèces fangeuses bourgeonnaient sous leurs pattes mais une mousse fuligineuse poussait encore sur leur dos. En leur compagnie, je me perdis dans des dédales volcaniques, j’écartais les branches d’interminables halliers pourrissants ; et finalement je me vis en rêve, assis en tailleur sur celle qui avançait en tête, entre deux brahmanes juchés dans la même position, et, de nos trois fronts, nous formions un trépied qui soutenait la voûte céleste.
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Herman Melville n'a jamais su que le roman qu'il avait écrit à l'âge de 31 ans deviendrait un jour l'un des livres les plus célèbres du monde. Il est mort dans la misère et son chef-d'oeuvre, « Moby Dick », n'est devenu un succès que près d'un demi-siècle après sa disparition.
« Moby Dick » d'Herman Melville, à lire dans sa nouvelle traduction chez Gallimard
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