Buell, petite ville du comté de Fayette dans la vallée de la Monongahela en Pennsylvanie a eu son heure de gloire, portée par l'industrie sidérurgique triomphante. La crise est passée par là, les fermetures et délocalisations aussi. « La stabilité sociale repose sur la stabilité de l'emploi, c'est aussi simple que ça ». Alors beaucoup sont partis ; d'autres sont restés.
Isaac English et son pote d'enfance Billy Poe font partie de ces enfants de la crise, restés au pays quand tant de jeunes le fuyaient. Études ou sport, les opportunités ne manquaient pourtant pas. Sens du devoir ou peur de l'inconnu, ils n'ont pas franchi le pas.
Mais un matin tout s'emballe pour Isaac et Billy. « Un jour au mauvais endroit », des mauvaises rencontres, une baston et un cadavre laissé sur le sol. Pour Billy, aux antécédents embarrassants, direction la prison. Pour Isaac, la fuite. Pour Lee, la soeur d'Isaac amoureuse de Billy, Grace la mère de Billy, et Harris, shérif local et amant de Grace, place à l'inquiétude, aux remords et à l'indécision sur l'attitude à adapter et le soutien à apporter.
American Rust de
Philipp Meyer – ressorti dix ans après
Un arrière-goût de rouille dans une traduction révisée de
Sarah Gurcel – est un roman noir et social, dont l'apparente lenteur est à l'image de l'écoulement des journées dans cette Amérique délaissée et désespérée. Ceux qui y vivent rêvent d'un improbable avenir ailleurs, quand ceux qui y reviennent retrouvent dans leurs racines des vertus insoupçonnées.
Avec style et bienveillance, Meyer nous immerge dans une galerie de personnages abîmés, qui souffrent de failles profondes : Isaac et la mort de sa mère, sa dépendance à son père, son double imaginaire et courageux qui le porte dans son rebond ; Grace la mère courage, la maîtresse aimante, prête à tout et même qu'un « homme meure pour que vive son fils » ; Harris le gardien des âmes qui tente de maintenir malgré tout des équilibres disparus.
Et dans ce gâchis social et humain, une interrogation persiste : à qui la faute ? À celui qui a tué ? Celui qui a été défendu ? Celui qui a provoqué ? Ou bien aux parents ? À la société ? À la dérégulation économique sauvage ?
Un roman sombre et profond donc, qui m'aura cependant laissé un peu sur ma faim : car si cette exploration sociale de l'Amérique des oubliés pouvait être originale il y a dix ans, le thème a été depuis souvent traité (
Offutt, Joy, Pochoda, Meno, Rash ou Farris Smith…), laissant parfois un goût daté ou de déjà vu à cette lecture.
Un sentiment heureusement compensé par la force d'un style qui m'a séduit et par l'heureux penchant de Meyer à relativisersa noirceur : « Rien de ce dont l'humanité était capable, même dans ce que la nature humaine avait de pire, rien ne durerait assez pour compter, c'est ce qu'enseignait le moindre cours d'eau, la moindre montagne : on avait beau polluer, on avait beau déforester, la nature se réparerait, les arbres vivraient plus longtemps que nous et certaines pierres survivraient même à la fin du monde. Tu l'oublies, des fois, tu commences à te laisser affecter par la laideur des hommes. Peu importe, ça aussi c'était éphémère, comme le reste ».