AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,25

sur 170 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Un livre qui est une claque. Certains romans ont une intrigue brillante, d'autre le sens de la description et certains encore la profondeur de l'imaginaire du mondé développé. On trouve tout cela dans ce roman fleuve (1250 pages dans cette édition). On y trouve la vie de personnes des classes populaires d'une ville anglaise à travers les âges, avec des interconnexions subtiles entre les époques, avec des personnages se croisant sans le remarquer. Alan Moore a fait de Northampton une ville qui dépasse les quatre dimensions connues, une ville-monde, qui permet ainsi de retracer la métaphysique de son histoire, de celles des gens, dans un monde fantomatique "supérieur". Ecrivain moi-même, et lisant beaucoup, je reste sidéré en me demandant comment un esprit a pu écrire quelque chose d'aussi spirituel, tout en ayant une construction impeccable et implacable. La seule raison pour laquelle je n'ai mis que 4,5 et non 5 est que chaque page est dense et que l'on peut se perdre dans les repères géographiques, malgré une carte présente au début de l'ouvrage.
Commenter  J’apprécie          80
1900 pages ou presque dans la version poche qui est par conséquent intransportable.
Il faut oser. Mais IL FAUT ! OUI IL FAUT !
Il faut faire des oeuvres folles, des oeuvres où on pousse tous les curseurs aussi haut que possible.
Plein de pages, plein de styles, plein d'humour.s, plein de cruauté.s, plein de philosophie.s, plein de science.s ou pseudo-science.s, plein de tentatives et de ratés, quoicoubeh, quoicoucest, quRoicoucass...

Prenez une bête ville d'Angleterre, mais vous auriez pu prendre absolument n'importe quelle ville, n'importe quel point ou particule. Et commencez à tourner autour, à zoomer, dézoomer, pénétrer dans ses strates visibles, puis passez aux invisibles, aux dimensions impalpables, et donner-les à voir et à palper aux lecteurs. Beaucoup de phrases dans ce livre demanderaient un gros temps d'analyse, parce qu'elle ne sont pas compréhensibles. Elles sont trop uniques, dans leur unicité et dans leur enchaînement, seul Alan Moore, le natif de Northampton (la ville quelconque en question) peut saisir tout ce dont il parle. Ou de sacrés putains de dingos d'exégètes de cet auteur.
Il y a la Bible dont une multitude s'occupe. Mais il s'agit bien d'un livre de cet ordre.
Un truc tellement dingue, tellement massif, tellement exagéré dans tout...
Il est vrai que je ne vois pas qui se lancera dans la lecture de ce Jérusalem.
Jérusalem et non pas Northampton comme titre. Tout est déjà là, dans cette espèce d'arnaque de substitution, de Jérusalem-Céleste et Northampton-Céleste aussi, de N'importe-quel-point-de-l-univers et de N'importe-quel-point-de-l-univers-Céleste. Aussi. Aussi. Faire du tout un trou perdu... Merveilleuse "perte" de "temps"...

Des personnages en multi-dimensions vont vous frapper le cerveau, dans tous les sens. L'écriture est à la fois magique et insupportable, trop compliquée, trop folle. Et je ne parle même pas d'un chapitre 26 que si vous voulez... ben non vous voulez pas...
Parce qu'il faut n'avoir pas de vie. Sacrifier. Pour... Ca. (Qu'en penserait Freud) (On s'en fout)
Mais tout ça a un sens, une architecture, Bâtisseur, Destructeur, les liens, familiaux, passants. L'histoire, tout se tient, le temps disparu, tout s'entrechoque. L'Art. Mal de tête.
A la fin, on décide de tout brûler. Mais ça ne changera rien à l'univers. Croyez-le bien.
Sur ce chapeau bas aux barrés qui écrivent ça, chapeau bas aux barrés qui éditent ça, chapeau bas aux traducteurs qui traduisent ça (Claro est un génie), chapeau quand même aussi un peu aux lecteurs qui lisent ça.

Donc, voilà dans la littérature, vous avez des bons livres, des livres qui vous fondent, qui vous édifient, vous font grandir, vous bouleversent.
D'autres cassent tout et proposent quelque chose que vous ne comprendrez pas, mais c'est pas grave, c'est une chose rare, précieuse. Donc on dit merci, on se demande comment se remettre, et s'il le faut, et puis c'est...
tout.
Commenter  J’apprécie          166
Important, unique, démesuré… sortons les adjectifs qualificatifs et quantitatifs, ils nous serviront sans doute tous.

Après une première tentative de roman-chorale sur sa ville de Northampton, « La voix du feu », Alan Moore — connu surtout pour ses scénarios de bandes dessinées, dont « Watchmen », seule BD figurant dans la liste des 100 livres les plus importants du Time magazine — réitère l'expérience en la nommant cette fois-ci d'après la ville sacrée… posant davantage la chose que s'il l'avait plus justement titré « Northampton ».

Pas d'Esplanade des Mosquées, de Temple, ou de fortifications d'âges diverses ( faisant presque oublier le Mur de Berlin… ), mais bien des « Boroughs » dont il est question, coeur ouvrier de cette ville d'Angleterre centrale chargée d'une histoire qu'elle n'a pas bien su raconter ou préserver.
C'est chose faite à présent avec cet énorme livre.

Passons rapidement les écueils que cette catégorie de roman induit comme commentaires : au trou les « longueurs » et autres « baisses de rythme » ; au chiotte les simagrées « que c'est trop long ou trop gros » — la moindre « saga » à succès portant le nom d'une famille ou d'un lieu, affublée de jolies couvertures « déco », explose allègrement les 2000 pages réparties en plusieurs tomes, lues « sans se prendre la tête »… — de grâce… nous voilà en face d'un travail considérable, réunissant pop-culture et grande littérature, tâchons d'être à la hauteur de l'événement.

Donc Roman-Monde, celui d'une ville vaguement maudite, au centre de la marge, savamment détruite à mesure de son histoire, comme si rien n'y était véritablement important…
Il lui reste bien un peu de patrimoine, et beaucoup d'histoire à raconter ; beaucoup de gens dont se souvenir, souvent réfractaires, contestataires… toujours singuliers.

Des allers-retours dans le temps ; la patience de voir l'intrigue s'assembler, la galerie de personnages s'animer, à travers les âges…
Et puis Moore pète un plomb et balance son livre dans une autre dimension, celle des morts et de la relativité du temps, prétexte pour y voyager sans entrave. le procédé est très limite, et cette deuxième partie du livre placée sous le signe de la fantaisie nous rapproche du gouffre, alors que le premier tiers s'était déployé sans heurt, malgré une langue qui frise parfois le maniérisme dans son obsession descriptive. On n'envoie pas dans le mur une si belle entreprise de cette manière… et pourtant !

Malgré l'agacement que ce procédé temporel produit, avec son lot d'incohérences que tout scénario de voyage dans le temps n'a su résoudre — mais qui ont au moins permis de graver dans le marbre collectif la DeLorean et son moteur V6 PRV (Peugeot - Renault - Volvo , à l'époque où l'Europe signifiait encore quelque chose…) de « Retour vers le futur » — on l'accepte pour le bien de l'ouvrage, surtout que le génie de Moore opère avec l'introduction d'un personnage équivalent au cri d' « eurêka ! » : le démon Asmodée…
Quand pure fiction issue d'une imagination débridée nous offre cinquante pages de complète vérité transcendantale, ou comment résoudre un grand dilemme moral dont nombre de romanciers et philosophes ont approché avec plus ou moins de succès : le Diable dit toujours la Vérité, et c'est bien à ça qu'on le reconnait.

L'Histoire anglaise est déroulée en tout sens et toute échelle, sur fond des grandes interrogations philosophiques de ce peuple, telle la prédestination et sa négation du libre-arbitre, émergeant des nombreuses obédiences chrétiennes nées de cet anti-conformisme résolu ; son éternelle facilité à tout détruire en vue de supposément mieux reconstruire, tirant rarement les leçons d'un passée pourtant si célébré ; son génie artistique éclosant où on l'attend le moins, souvent du peu de moyens, comme une évidence ; la Folie découlant d'une vision des marges, des bords et des angles, comme la courbe qu'imprime une ligne droite lorsqu'on la regarde assez longtemps.

Le gigantesque édifice prend tout son sens lors de cette sublime troisième partie, où chaque chapitre, toujours d'une longueur mesurée, vient faire rayonner l'ensemble dans de supérieures dimensions ; jusqu'à l'extrême, telle cette section hommage à Lucia Joyce ( la fille de… — danseuse ; diagnostiquée jeune de schizophrénie par Carl Jung ; muse de son père et amoureuse de Samuel Beckett ; a passé les deux tiers de sa vie internée dans un hôpital à Northampton — auquel cette parenthèse résumée ne peut rendre grâce ) entièrement écrite à l'aide de paronymes dont le sens fluctue au gré des imperceptibles mouvements de l'éther, probablement l'une des épreuves les plus homériques de la carrière de Claro.

La traduction justement est entièrement à la hauteur du massif ; avoir été primée ne semblant pas suffisant, il faudrait sur le champ aller châtier publiquement ceux qui doutent encore du talent d'adaptation du sieur Claro — déjà largement confirmé par celle du « Courtier en Tabac » de John Barth, parmi d'autres (Selby, Pynchon, Vollmann, Rushdie, Gaddis, etc.) — pensant en coin à notre gargouille-critique J. Asensio, dont il est souvent question, en mal comme en bien, lorsque l'on parle de littérature, qui, probablement par une certaine jalousie ( d'avance, navré de cette facilité ), ne cesse de vomir son mépris sur sa supposée médiocrité de traducteur ( concernant celle de romancier, je ne saurais encore me prononcer… ), alors que l'évidence plaide pour son excellence ( comme quoi, lire Faulkner dans le texte n'est pas toujours garantie d'élévation spirituelle… ).
Bref, rouons de coups cette fois-ci le vilain, il doit forcément aimer cela, à sa manière.

L'épilogue s'avère à la hauteur, ornée de l'écriture si descriptive ( vous me direz, normale pour un scénariste de BD… ) de l'auteur, bien que ses représentations de tableaux paraissent impossibles, trop parfaites et irréels ; elles servent surtout à repasser en revue l'ensemble des chapitres, ou encore une fois comment un procédé un peu balourd se justifie par son emploi finalement pertinent.
On aura eu largement le temps de s'habituer à cette façon d'écrire quelque peu maniérée ; c'est au final l'échelle du projet qui semble la valider.

La répétition, jusqu'à l'obsession, des noms de rues des Boroughs reste l'un des éléments énervants du roman, surtout qu'Alan Moore aurait pu nous imprimer un jolie plan, voire cette carte mentale et idéale matérialisée en maquette dans l'exposition de l'épilogue ; ne pas l'avoir fait semble impardonnable et corrobore l'impression d'impossibilité de représentation de l'oeuvre de son personnage le plus attachant Alma Warren ( le chapitre qui lui est consacré est d'ailleurs infiniment savoureux… ).
Un logiciel de carte numérique gloobale ( oui, oui, avec deux « o » ) est du coup plutôt utile pour se faire une idée de cette ville maudite, son « Mayorhold » équivalent à nos « Grand-Place » ou « Grote Markt » n'étant plus qu'un hideux parking à étage sans âme, que le conseil municipal envisage de démanteler uniquement pour des histoires de rentabilité — ou quand la politique en est rendue à un tel point d'indigence qu'elle n'a même plus besoin de mentir ou de se chercher des excuses — thatchérisme puis blairisme l'ayant sans doute achevée, comme le reste du pays d'ailleurs, ouvrant la voie au repliement sur soi…

La réussite reste malgré tout quasi-totale pour ce livre qui élève à une autre dimension l'oeuvre psychogéographique d'Iain Sinclair ( dont trilogie entamée avec « London Orbital » ), d'ailleurs amplement cité et remercié à la fin du roman, ouvrant la voie à une lecture situationniste ( ou « debordienne » ) de cette « réappropriation de l'espace urbain par l'imaginaire ».

Alan Moore sauve de l'oubli les murs — ainsi que ceux qu'ils abritèrent au cours leur histoire — de sa ville grâce à ce roman, en faisant par là même un monument.
Commenter  J’apprécie          10420
J'ai fini !!! Pardon, mais j'ai mis des mois à lire ces plus de 1500 pages. Pas que je n'ai pas aimé, loin de là, mais ce n'est pas une lecture simple que celle-ci, c'est le moins que l'on puisse dire.
Alan Moore nous livre tout un monde ici. Dans les 2 premières parties, il recrée un univers, présent, passé et d'ailleurs. le point de départ est les Burroughs de Northampton, ville chère à l'auteur. Mais il dépasse son décor, en croisant les époques, les réalités et l'au-delà. Ce voyage est dense, sollicite tous les sens. Très visuel, ce monde a aussi des odeurs, des textures, des sons voire même une certaine saveur. Les mots, les phrases sont denses. Impossible de survoler, il faut plonger dans la lecture, au bord de la noyade. Difficile de résumer pour moi. C'est une sorte de portrait d'un quartier populaire et de ses habitants, sous forme d'un palimpseste où les différentes époques et réalités se croisent et resurgissent. Là un personnage, là un bâtiment, là une oeuvre, tout un pan de monde. C'est foisonnant, déboussolant et tellement génial.
La troisième partie est à part. J'ai eu l'impression d'avoir un retour d'écrivain sur les deux premières, d'avoir sous les yeux des exercices de styles, des réflexions. Un chapitre théâtral, un poétique, un écrit dans une langue étrange, un sans ponctuation, un dont les paragraphes alternent les mondes jusqu'à se confondre,... Même les personnages font un retour sur cette expérience. C'est une partie plus complexe encore, mais passionnante pour le travail qu'elle représente, qu'elle rend visible.
J'aurais mis le temps, mais je suis ravie d'être parvenue au bout de cette lecture.
Ah et un énorme Bravo à Claro qui a fait là un travail colossale, bien au-delà d'une simple traduction.
Commenter  J’apprécie          161
« Putain de merde ».

Je ne sais pas sous quel angle je dois me mettre pour.

Non vraiment, si vous achetez ce livre, vous verrez que tout est question d'angles, et donc je ne sais pas sous quel angle je vais me placer. Celui du « il faut que je crie sur tous les toits que ce livre est un monument à lui tout seul ». Sinon, celui de tout garder pour moi.

Bon oké. J'ai compris.

Tu sais minou, je crois qu'on est pas en mesure de se rendre compte de l'impact que peut avoir Jérusalem sur la Raison. Je crois que j'aurai pas les mots assez pertinents pour rendre compte du génie de Moore.

Moore ne se contente pas de rendre hommage à Northampton -sa ville natale-, il partouze (littérairement) avec les meilleurs auteurs anglophones pour en accoucher d'un monstre hallucinant et déstabilisant. Il examine grâce son microscope céleste, chaque particule qui nous lie, les destins qui se croisent, les.

« Putain de merde ».

Je sais pas moi j'en perds mes mots et tout.

Sachez qu'il sera question du 26 mai 2006. (Save the date). Sachez qu'il y aura du Charlie Chaplin. Attendez vous à se voir dessiner dans votre tête un univers puissant, à la douce folie que pouvait avoir Terry Pratchett, à l'oeil cinématocinglé d'un Terry Gilliam, au sens du merveilleux de Neil Gaiman, à la puissance des descriptions de James Joyce, à la parfaite dramaturgie de Samuel Beckett, au talent de Jack Kirby pour fabriquer des héros, à la façon dont Dickens titille l'enfance victorienne, ...

Vous savez ce genre de livres que seuls ceux qui ont lu savent et toutes ces conneries ? On leur a trouvé un monarque, à ces livres.

Aussi excellent que soit ce livre, et vu la densité de l'écriture et des propos (traduits par Claro, ce qui est un exercice intellectuel supplémentaire j'te l'accorde minou), on pourrait s'attendre à être gavés de ces bons gros romans bien denses, d'avoir envie de plus de légèreté, de simplicité et tout.

Mais non. Moore est un tremplin. Un putain de tremplin de qualité.

Alors en attendant sa canonisation, moi je dis que ce Saint Homme mériterait d'être baptisé "Lord Moore".

Nom de dieu.

Après lecture de ce bouquin, vous ne lirez plus jamais un livre de la même façon. Vous ne prendrez plus jamais de trips sans avoir augmenté votre manière de percevoir les choses, vous aurez juste envie d'être branché sur une autre fréquence.

Je. « Putain de merde ».

Allez j'vais essayer de me remettre de cette claque. Tenter de retourner dans le monde réel. Même pas la peine de vous dire que vous hésitez blablabla mon cul et tout l'bordel.

Vous l'achetez et vous vous prenez une bonne grosse dose de culte dans la gueule, dans les veines, dans vos rêves. Partout.

See you on the other side.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
Commenter  J’apprécie          40
Un an déjà que j'ai refermé Jérusalem.
Un an, c'était le temps nécessaire pour digérer ce parpaing de quasiment 1900 pages (en poche). C'était le temps nécessaire pour structurer mes idées autour de cet objet inclassable qu'est la brique d'Alan Moore, aussi.
On parle souvent de la puissance de la littérature, de la force évocatrice des mots, de l'importance du style, de la différentiation des genres… Jérusalem transcende tout cela.
Jérusalem n'est pas un roman. C'est une expérience. Une leçon. Une leçon d'écriture, une leçon de traduction, une leçon de narration, une leçon d'empathie, une leçon de maîtrise. Une leçon de littérature. C'est l'une des plus grandes oeuvres qu'il m'ait été donné de lire. Ni plus, ni moins.

Mais avant d'aller plus loin, revenons un instant au commencement : c'est quoi, Jérusalem ?
Il s'agit du deuxième essai littéraire de l'un des plus grands scénaristes de comics de l'histoire, le génial Alan Moore, auteur entre autres des cultes V pour Vendetta, Watchmen, From Hell, The Killing Joke et j'en passe.
Après La Voix du Feu, premier opus en forme de recueil de nouvelles ayant pour toile de fond l'histoire de Northampton, Moore récidive en écrivant, tout au long des presque 2000 pages de Jérusalem, l'une des plus grandes et belles déclarations d'amour qu'un auteur peut écrire à sa ville d'origine. Vous l'aurez compris, il ne sera ici nullement question de Jérusalem, mais bien de Northampton - et plus particulièrement du quartier des Boroughs -, le titre provenant du poème de William Blake, And did those feet in ancient time, adapté plus tard en chanson sous le titre Jérusalem.

Avec pour fil conducteur la réalisation par l'artiste Alma Warren d'une série de tableaux inspirés de l'expérience de mort imminente de son frère Mickael lorsque celui-ci avait 3 ans, le lecteur va plonger dans une oeuvre aussi déroutante qu'originale.
Jérusalem est constituée d'un prélude présentant l'atypique Alma, sorte de "version drag queen" d'Alan Moore du propre aveu de ce dernier, et son jeune frère, de trois livres en forme de recueils de nouvelles à l'identité propre, puis d'un postlude apportant une conclusion dont je ne sais pas si c'est du pur génie ou l'un des plus gros trolls de l'histoire de la littérature.

Livre 1 : Les Boroughs
La première partie de Jérusalem est probablement la plus classique : on enchaîne la lecture de chapitres sans lien apparent, présentant différents habitants du quartier des Boroughs à travers les époques. Avec ces portraits de pauvres gens, Moore nous conte l'histoire du quartier populaire des Boroughs. C'est parfois long, notamment à cause de descriptions nombreuses et un rythme extrêmement lent, mais la passion du barde anglais pour son quartier, l'amour qu'il porte aux petites gens, son sens aigu du détail et les liens qu'il parvient, sans que l'on ne s'en aperçoive, à tisser entre tous ses personnages forcent le respect et donnent à cette première partie une jolie dimension d'oeuvre sociale… avant de se conclure par une ouverture vers le fantastique attendue tout au long de ces premiers chapitres.

Livre 2 : Mansoul
Mickael, meurt donc une première fois à 3 ans, en s'étouffant avec un bonbon. Bien évidemment, cette mort n'aura rien de définitive, puisque c'est cette expérience qui inspirera à sa soeur Alma la série de tableaux du livre.
Après une première partie qui s'attachait à nous présenter le quartier des Boroughs, le Livre 2, Mansoul, nous emmène dans le royaume des morts. Mickael y intègrera le "gang des enfantômes" dans une sorte de club des cinq de l'au-delà à l'imagerie aussi réjouissante que psychédélique.
Alan Moore montre dans ce deuxième livre une capacité à stimuler l'imaginaire de son lecteur absolument hors du commun. Ses descriptions délirantes semblent tellement réelles à la lecture de ces 11 chapitres qui alternent l'épopée des enfantômes et l'histoire, souvent déchirante, de chacun d'entre eux, que deux constats s'imposent : le druide fou de Northampton ne tourne pas qu'à l'eau minérale, et il fait preuve d'une imagination débordante en nous proposant cette sorte de conte pour enfants fantastique.

Livre 3 : L'enquête Vernall
Il semblait impossible d'aller plus loin dans la folie qu'avec Mansoul. C'était avant de lire l'enquête Vernall. Cette troisième partie dépasse tout ce que Moore a pu nous faire vivre jusqu'à présent en mêlant tous les personnages croisés jusque-là, monde réel et au-delà, dans un improbable défilé d'exercices de styles. Quand la folie décide de rendre hommage à la littérature, et vice-versa.
Moore parvient ici à montrer toute sa maîtrise des mots, des styles et des genres littéraires, en alternant entre la nouvelle contemporaine, la poésie, le théâtre, le polar et autres proses indescriptibles que ne renieraient pas les membres de l'Oulipo... Rien n'y est jamais gratuit, le style est toujours au service du propos, tantôt pour imposer un rythme, tantôt pour contrebalancer avec le caractère insoutenable de certaines situations, mais toujours avec une intelligence remarquable.
Un sommet dans la folie est atteint avec le chapitre 26, Battre la campagne, qui nous emmène dans l'esprit malade de Lucia dans un style impossible à retranscrire, fait d'images, de sons, exercice à la fois phonétique et métaphorique symbolisant les dégâts que peuvent créer certains traumatismes sur la psyché. Il est nécessaire de souligner ici le travail incroyable de traduction de Claro, particulièrement sur ce chapitre intraduisible, mais aussi pour l'ensemble de son oeuvre, car c'est aussi la sienne.

Enfin, le livre se conclut sur un postlude, l'exposition des tableaux d'Alma, tout à la fois en forme de mise en abyme, de coup de génie et de troll monumental, preuve ultime de la maîtrise totale de son oeuvre par un Alan Moore probablement hilare à l'idée d'avoir emmené tout au long de ces quasi 2000 pages son lecteur exactement là où il voulait qu'il soit à son insu.

Jérusalem est fait pour toi si... plus qu'un livre, tu souhaites vivre une expérience qui t'emmènera dans les limbes de la folie humaine.

J'ai aimé :
- La passion contagieuse de l'auteur pour ses personnages
- La folie délirante de Mansoul
- le jusqu'au boutisme du cerveau malade de Moore
- Une démonstration de styles incroyable
- La conclusion

J'ai moins aimé :
- le rythme parfois extrêmement lent
- le jusqu'au boutisme de l'oeuvre qui la rend difficile à conseiller
Commenter  J’apprécie          30
Un émerveillement.
Je connais peu Alan Moore comme scénariste de BD, et je l'avais découvert à travers son premier roman, La voix du feu. Comme ce dernier, Jérusalem s'est révélé un véritable émerveillement.
Pour tout comprendre de l'humanité, de son histoire et de sa culture, point n'est besoin de parcourir le monde. On arrive au même résultat en explorant son environnement le plus proche de la façon la plus exhaustive, la plus intime possible : tel est le principe qui guide Alan Moore.
Et son univers, c'est le premier et le deuxième borough de Northampton, ville située au centre de l'Angleterre, où il est né et a vécu toute sa vie. Il en retrace l'histoire (réelle ou imaginaire, Moore est un magicien breveté) depuis l'an 800 jusqu'à nos jours, au travers de personnages et de lieux emblématiques. Mais ça, ce n'est que la trame.
Le récit se déploie au fil de l'histoire de Michael, mort et ressuscité, son exploration et ses rencontres dans le monde des esprits. Chaque chapitre de ces 1200 pages (typographie petite et serrée) constitue à lui seul un roman, chacun adoptant un style différent mais tout aussi fascinant. Vous y rencontrerez des anges, une plasticienne, un négrier repenti, un curieux cycliste...
(Je l'avais pris à la médiathèque, et j'ai mis si longtemps à le lire que j'y ai glissé un mot d'excuse pour l'emprunteur suivant - en lui souhaitant d'y prendre autant de plaisir que moi.)
La traduction de ce monument par Claro est bien plus qu'une réussite: c'est un authentique tour de force (il a d'ailleurs tenu un blog de sa progression).
LC thématique d'août 2021 : ''Un nom de ville dans le titre''
Commenter  J’apprécie          152
D'Alan Moore je ne connaissais que « V pour Vendetta » via le cinéma. Mais lorsque est paru « Jérusalem » une seule critique m'a convaincue que je ne pouvais passer à côté de ce livre. Il m'en aura fallu des semaines pour en arriver à la dernière page. Pas par manque d'intérêt, plutôt parce qu'il est si dense, si déroutant que j'avais besoin de le poser de temps en temps pour absorber les chapitres lus, partir explorer les références, parce que j'avais besoin de plages de lectures suffisamment longues pour lire sans être interrompue et ce sont souvent les périodes de vacances qui m'offraient ces instants. A chaque fois je me plongeais avec gourmandise, curiosité, appétit, envie dans de nouveaux chapitres, sans rien avoir oublié de ce que j'avais lu des semaines plus tôt.
Comment parler de ce monument sur lequel tout a été dit.

Il y a les chiffres qui font peur : 1278 pages, 10 ans d'écriture, 1 an de traduction, des références multiples (historiques, littéraires, cinématographiques, artistiques, théâtrales, politiques, économiques, religieuses, philosophiques). Il y a de quoi en rebuter plus d'un.
Le livre est découpé en 3 parties de 11 chapitres chacune, plus un prélude et un postlude. 35 épisodes, tous différents, pour raconter l'histoire d'une ville, Northampton, la ville de l'auteur, celle d'une famille, les Warren-Vernall, mais surtout l'histoire d'un quartier : le Boroughs, là où de tout temps ont vécu les défavorisés, là où l'auteur a vécu son enfance au milieu du monde ouvrier. Avec une écriture lyrique, baroque (ou bien doit-on dire gothique), Alan Moore ne rend pas seulement hommage à sa ville mais surtout à ce peuple méprisé de tous à toutes les époques, le transformant en super-héros du quotidien, sachant que rien ni personne n'est tout blanc ou tout noir. Utilisant tous les styles, de l'écriture la plus classique à la plus expérimentale (my God ! ce chapitre « Battre la campagne » » !), du théâtre shakespearien au fantastique, de la parodie au fantastique, etc., il donne corps et âme à une cohorte de personnages attachants pour la plupart, répugnants pour certains.

Le plus surprenant est que tous ces styles, toutes ces références pourraient être en dissonance. Mais le génie d'Alan Moore (je n'hésite pas sur le terme) fait de cette somme de connaissances et de ce récit qui bascule constamment entre réalisme et onirisme, un roman d'une merveilleuse cohérence, chaque détail prenant sens à un moment où un autre de l'histoire. Et puis il y la le talent de dessinateur de Moore qui offre des descriptions sublimes (les fresques De Saint, les démons, les plafonds, la partie de billard, les rues de Northampton…).

Avec « Jérusalem » Alan Moore pose la question de ce qui se passe après la mort. En plaçant Northampton au centre de l'Angleterre, en faisant tous ces liens, il illustre une théorie de l'Eternalisme selon laquelle les évènements ne se succèdent pas mais coexistent. Ainsi ce que chacun est de son vivant il le reste pour l'éternité. Ce faisant Alan Moore bouscule nos sens, nos repères, nous forcent à voir les choses sous de nombreux angles et nous emporte dans son univers fantastique.

Un dernier mot pour saluer le remarquable travail de traduction de Christophe Claro. Réussir à retranscrire ce qui fait le style de chaque chapitre est un travail incroyable et on comprend qu'il ait demandé tant de mois.

Je pourrais encore parler longtemps de ce travail d'orfèvre, des qualités littéraires, des visions psychédéliques, des savoirs multiples développés, de ce puzzle qui prend forme et se déforme, mais je conclurai en disant que pour moi ce livre est un monument, et clairement l'un des 6 que j'emporterais sur mon ile déserte.
Commenter  J’apprécie          294
Que dire ?

Que ça te laisse sur le cul ?

Ouais, entre autre...

Trois ou quatre romans en un, et deux ou trois essais en prime, le tout mélangé avec des bouts de théâtre, "désaix père y man tations" littéraires et des passages jeunesse... Un livre monde, où on ne se perd jamais pour autant. Un livre à hauteur d'homme, qui ne parle que de ça : c'est quoi être humain ? Tout est dans tout, et chaque lieu de cette putain de planète peut en être le centre. Pourquoi pas Northampton, tiens !

Et fuck toutes ces conneries sur le libre arbitre !

(bravo à Claro et sa traduction)
Lien : https://www.tristan-pichard...
Commenter  J’apprécie          60
Ce livre m'obsède completement, depuis sa sortie.
Je connaissais Alan Moore grâce a Watchmen. J'ai d'abord acheté l'édition anglaise en 3 volumes paperback mais je n'aimais pas le papier trop rugueux. Alors j'ai acheté l'édition Inculte originale. Et ils m'ont tres gentiment donné un lien pour que je télécharge la version électronique. Puis j'ai téléchargé la version .mobi en anglais. Et j'ai attaqué le monstre, j'ai perdu pied je ne comprenais plus rien et je me suis arrêté vers la page 800 je crois. Mais meme s'il m'en reste que des bribes ce livre est juste une expérience unique. Depuis je pense le réattaquer...bientot...jamais...qui sait
Commenter  J’apprécie          20




Lecteurs (729) Voir plus



Quiz Voir plus

Etes-vous incollable sur Watchmen ?

Qui a adapté le roman graphique au cinéma ?

Jon Favreau
Zack Snyder
Bryan Singer
Sam Raimi

10 questions
210 lecteurs ont répondu
Thème : Watchmen (Intégrale) de Alan MooreCréer un quiz sur ce livre

{* *}