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Anne Sefrioui (Autre)
EAN : 9782251455242
600 pages
Les Belles Lettres (01/03/2024)
5/5   2 notes
Résumé :
La société c’est quoi ? C’est tout sauf moi, ça tombe sous le sens, et je ne parviendrai jamais à trouver de meilleure définition.
Que lire après Ultima Necat, tome 5 : Journal intime 1994-1995Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Les éditions des Belles-Lettres et l'éditrice et épouse de Philippe Muray ont limité la publication de son Journal aux tomes V et VI, de 1994 à 1997. Ce que l'auteur a écrit après cette date demeure inédit. Dans les quatre volumes précédents, on a suivi l'évolution de la pensée de l'auteur, qui se sert du journal bien moins pour y raconter sa vie ou s'y raconter, que pour débrouiller, mettre au clair et essayer les récits et pensées qui lui venaient. Régulièrement, le lecteur trouvait dans le texte, réimprimées, les chroniques qui parurent d'abord dans la presse, puis dans les volumes de l'Empire du Bien, et des Exorcismes Spirituels. C'est encore le cas dans les derniers tomes, V et VI, mais on observe une inflexion dans le travail du Journal : celui-ci est plus narratif et descriptif, plus autobiographique, moins centré sur des réflexions abstraites et moins travaillé par le mythe du Roman à écrire. L'auteur laisse s'exprimer une part affective, essentiellement le dégoût et la haine que le monde moderne lui inspire, et manifeste une verve satirique qui attira les premiers lecteurs des Exorcismes. C'est que pour lui, la littérature, la bonne littérature, est synonyme de critique impitoyable du monde tel qu'il va, de sa morale et de ses moeurs. La mauvaise est l'éloge du monde et la soumission à ses valeurs : c'est la poésie journalistique dont il relève les faits de style et de pensée dans les médias et dans le peu de livres récents qu'il consent à lire.

Parallèlement, l'auteur s'acharne à écrire un roman, car le roman est pour lui la forme suprême de la littérature. Avec ses romans, qui furent tous des échecs éditoriaux retentissants, le public n'a pas été tendre. Ecrire un roman, dit-il, c'est accepter de se mesurer à d'intimidants modèles, Balzac, Céline, Proust, risquer de leur être inférieur et d'échouer là où ils ont réussi. Muray sait bien que son entreprise littéraire est condamnée d'avance, puisqu'il vit dans une époque où l'égalité de tous avec tous, de tout avec tout, est proclamée, promulguée et rendue obligatoire : tous font semblant de croire qu'un roman de Bobin vaut Balzac, qu'une paire de godillots vaut Mozart, à savoir rien devant un enfant affamé du Tiers-Monde. Pensant et hurlant contre son époque, Muray sait bien qu'il est tellement anachronique qu'il est absolument seul, et son Journal est marqué par le désespoir esthétique et éthique. Non seulement notre égalitarisme en toc rend a priori impossibles tout jugement, toute discrimination, du bien et du beau, mais il empêche même la naissance d'un art étranger à ce monde égalitaire.

On prend plaisir à lire Muray comme à lire Voltaire, car ce sont des auteurs méchants. Tous deux consacrèrent leur vie à des formes prestigieuses, le roman, la tragédie, dont ils n'avaient pas compris qu'elles étaient mortes. Tous deux doivent leur notoriété aux écrits qu'ils estimaient le moins : Voltaire, ses contes et Muray, ses articles. Heureusement, ce dernier n'a pas le conformisme ni les ambitions mondaines du premier. Il est un véritable penseur dont la lecture dissipe les illusions du monde contemporain tel qu'il se donne à voir.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
21 novembre 1994. Raczymow sur la disparition du Grand Ecrivain.
Et puis qu'est-ce qu'il dit ? Y a plus de Voltaire, de Hugo, de Zola, de Sartre. Rideau. Si c'est là sa définition du Grand Ecrivain, évidemment elle n'a rien à voir avec la mienne. Y a plus non plus de Sade, de Lautréamont, de Bloy, de Nietzsche, de Céline. Or Sade, Lautréamont, Nietzsche ou Céline n'ont jamais joué le rôle de guides spirituels, de gourous, de mages mystico-humanitaires, comme Voltaire, Hugo, Zola ou Sartre. "Y a plus de religion littéraire !" serait donc un cri du coeur plus juste (et encore, voir Bobin), et cette annonce ne me fait pas pleurer.

... La disparition de la chose littéraire n'a pas été étudiée, et je doute que Raczymow puisse y aider. Il faudrait la patience d'un Réau pour raconter ce vandalisme invisible. Ce serait aussi bien sûr une histoire de moeurs. L'accession progressive des femmes à la littérature y jouerait un rôle de premier plan. A partir du moment où les femmes se mettent massivement à écrire, ce n'est plus Balzac qui les dit, c'est elles, et Balzac tel qu'on le connaît n'a plus de raison d'être. Même chose pour les homosexuels. Même chose pour toutes les catégories professionnelles ou autres. A partir du moment où chacun a la parole, l'écrivain ne sert plus à rien. Cinéma et télévision. Egalisation des conditions. Disparition de la fonction paternelle. Influence du marxisme, pour qui ce sont les masses qui sifflent sur l'Histoire. Etc. Mais celui qui en a dit le plus encore sur cette question, c'est mon cher [François] Ricard : l'inflation contemporaine de littérature trouve sa source dans la disparition de la mission /dissuasive/ qu'exerçait la littérature sur l'écriture. Disparition de la littérature comme principe paternel d'empêchement, d'intimidation, de découragement d'écrire. Plus de passé complexant ! Plus de /mur/ d'écrivains du passé, dressé devant soi, au moment de poser le premier mot sur la feuille blanche. Tout est permis. Plus rien n'existe.

p. 271
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18 octobre 1995.
Nanouk et moi on attend Delaroche au Lucernaire. On dîne. Au petit étal de bouquiniste qui se trouve devant l'entrée du restaurant, j'achète un recueil d'articles de Ionesco, "Antidotes". Des choses qui datent des années 60-70. Ionesco y écrivait dans la perspective du triomphe planétaire de l'URSS, et ses cris de détresse, de ce point de vue, pourraient paraître complètement démodés. Sauf si on pense que les agents du collectivisme sont toujours en place (surtout en Occident), et plus que jamais actifs, propageant plus que jamais le conformisme totalitaire, jouant plus ardemment que jamais sur la corde sensible, mais sous des masques nouveaux, dans des domaines apparemment dispersés, indépendants les uns des autres (féminisme, hystérie anti-tabac, droits des animaux, droits des prétendues minorités opprimées, droits des enfants, droits des homos, droits des sidaïques, etc). Dans "Jugement à Moscou", Boukovsky écrit même que si la nomenklatura socialiste européenne est si pressée de "construire l'Europe", cette camisole de force comme il la définit, c'est qu'elle sait qu'elle ne pourra rester éternellement au pouvoir qu'en devenant "une bureaucratie centralisée non élue qu'il sera pratiquement impossible de déloger." Nous vivons, annonce-t-il, "une seconde guerre froide, avec une nouvelle race d'utopistes coercitifs qui s'efforcent de modifier notre culture, de contrôler notre comportement et, à la fin des fins, nos pensées." En 1975, Ionesco écrivait : " L'homme est un être asocial qui ne peut vivre qu'en société, mais qui, dans la société, ne peut vivre qu'asocialement." Et aussi : "Si toutes les sociétés sont mauvaises, c'est parce que le quotient individuel empêche qu'elles soient parfaites et s'oppose à l'utopie. Ceci est à la fois bon et mauvais. C'est plutôt bon, encourageant."

p. 536
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30 janvier 1995. [Le journal]
Un Journal ne devrait même pas être diffusable sous le manteau, même pas avouable, fût-ce à une seule personne. Le Journal, c'est l'art de l'inavouable. Posséder cet art de l'inavouable, c'est démontrer qu'on connaît exactement les limites de ce que peut supporter la société pestilentielle ; c'est donc connaître la société et c'est l'essentiel. Il faut avoir beaucoup à dissimuler pour avoir quelque chose d'intéressant à montrer. La valeur d'une oeuvre publique devrait pouvoir se mesurer à tout ce qu'elle suppose d'enfoui sous elle, de planqué, de clandestin. Le publié se jugerait alors à la quantité d'impubliable. Trois cents pages au grand jour, trois mille sous le boisseau, c'est la bonne proportion dans les temps d'abjection. La mise en scène de l'impubliable sans masque : c'est le Journal intime.
(...)
Mon Journal n'aurait jamais pu voir le jour sans la résistance, sans l'opposition, sans la haine, sans la malveillance, sans les embûches ou l'indifférence de nombreuses personnes et institutions. Mes ressentiments les plus ardents vont d'abord aux centres, groupes, lobbies, clubs, sectes et autres mafias culturelles qui n'ont financé aucun de mes déplacements et à qui je ne me suis jamais adressé. A X, Y, Z qui ne m'ont apporté aucune aide. A Machin, Truc, Chose, et tous mes autres brillants collègues ou amis qui ne m'ont fourni d'inestimables indications ou renseignements que lorsqu'ils n'en étaient eux-mêmes pas conscients. A Untel et Unetelle qui ne m'ont apporté ni soutien moral, ni assistance matérielle. A tous ceux, enfin, passés, présents, à venir, morts ou encore vivants, dont l'absence d'encouragements m'a stimulé, et auraient tout fait, s'ils en avaient eu les moyens, pour m'empêcher de devenir réalité. Mais "ultima necat", la dernière tue, et elle seule. D'eux tous, de la dissuasion qu'ils ont incarnée, consciemment ou non, j'ai reçu l'énergie d'aller jusqu'au bout.

pp. 341-342.
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Journal, 12 mars 1994. [Le milieu littéraire]
Bien fiers alors d'avoir fait sonner ces vérités utiles, on est demeurés là assis, désolés, à se poser la question du siècle : quel Proust, quel Balzac, racontera enfin tout ça, tout ce Kamasoutra lugubre de l'Imprimé sans volupté ?
Aucun. Pour mille raisons. Et d'abord pour la meilleure, la plus simple : pas de rentes.

p. 55
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6 janvier 1995.
... On parle d'"années 70", d'"années 80 ou "90", comme si ces expressions pouvaient être autre chose qu'une des traces, parmi un milliard d'autres, de la misère et de la vulgarité journalistiques.

p. 317
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Philipe Muray n'a pas eu droit de son vivant à l'attention que son talent aurait justifiée. Mais un comédien a contribué à le venger. Savez-vous de qui il s'agit ?
« Exorcismes spirituels » de Philippe Muray, c'est à lire en poche chez Tempus.
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