L'histoire est une malade incurable, parce qu'elle n'a jamais le temps de s'allonger sur le divan pour parler des maladies de son âme, de ses peurs, névroses et agressions, et de toutes ses fringales pathétiques de territoires. Du reste, sur le divan de qui? Vers le temps où le diagnostic a pu être établi, la malade est déjà devenue quelqu'un d'autre, et les mêmes catastrophes et conflits se répètent à d'autres endroits, entre d'autres Etats, d'autres souverains, d'autres peuples.
Pourquoi dois-je voyager comme un récipient plein de préjugés et d'informations, pourquoi ne peut-on jamais aller dans les endroits dont on ignore tout, à la manière de Pizarro faisant voile vers le royaume des Incas ou des premiers Européens vers le Japon. Ne rien savoir du produit national brut, n'avoir jamais vu un film japonais; Hiroshima, zen, kabuki, sumo, kaiseki, Sony, samouraï, hara-kiri, ikebana - autant de sonorités sans la moindre signification. Ce que je fais mérite à peine le nom de "voyage", on ne découvre plus rien, on vérifie, on contrôle, nie et confirme, on confronte les images et les idées à la "réalité"; ce que je vais faire en dernier ressort, c'est voir si le Japon existe bien, comme si, dans une salle de cinéma, un spectateur grimpait à l'intérieur de l'écran pour s'asseoir à la table des héros.
Tandis que nous "remplissons" un jardin, un Japonais le vide afin que l'essence des choses devienne visible. Le vide en tant qu'art
Avec ma mentalité de gamin, jamais je ne cesserai de m'étonner que des êtres qui viennent tout juste de sortir de la mer en rampant aient à choisir, à une altitude de dix kilomètres, entre du veau ou du poulet...
Né en 1933 à La Haye, Cees Nooteboom s'est imposé comme l'un des plus grands écrivains européens contemporains. Romancier, poète, essayiste, il a reçu les plus hautes distinctions littéraires aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche et en Espagne.
*Adieu**, composé en partie lors du confinement du printemps 2020, est marqué par l'impossibilité et la mort. Au fil des pages, le lecteur accède aux paysages silencieux de l'auteur, à sa cosmogonie poétique sur laquelle se déploient l'aile d'un ange, l'empreinte d'une absence et celles des silhouettes aimées.
Merci au Nederlands Letterenfonds dutch foundation for literature [Fonds des lettres néerlandaises] et à Margot Dijkgraaf pour la réalisation de cette vidéo.
**L'Oeil du moine** suivi de **Adieu** de Cees Nooteboom : https://www.actes-sud.fr/catalogue/loeil-du-moine-suivi-de-adieu
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