Amélie Nothomb n'aime rien moins que les dialogues, les confrontations verbales, les duels linguistiques.
Et les rencontres improbables qui sont le sel d'un bon roman de divertissement. En particulier les importuns de tout poil, les pénibles au premier regard, les empêcheurs de tourner en rond.
Dans
les Catilinaires, un voisin quasi muet (Palamède Bernardin) venait s'incruster entre cinq et sept chez ses voisins, de paisibles jeunes retraités qui ne demandaient qu'un peu de tranquillité dans cette douce campagne. Ici, le gêneur n'a pas sa langue dans poche.
La loi est mal faite.
Si quelqu'un vous bouscule ou vous touche simplement, vous pouvez appeler la police.
Si l'on vous incommode par un bruit un peu trop sensible, il vous est toujours possible d'alerter la maréchaussée.
Dans certains cas, des remugles pourrissants peuvent être objet de sanction.
Mais contre la parole, rien.
Si votre tortionnaire reste poli, n'élève pas la voix et ne profère pas d'insultes ni de propos désobligeants, vous ne pourrez rien. A part la fuite.
Lorsque vous êtres coincé dans un aéroport en attente d'un vol qui a prit du retard, on ne sait pour quelle raison (à l'arrivée, comment peut-on avoir du retard : il n'y a pas d'embouteillage dans le ciel que je sache – au départ, c'est encore moins explicable), vous devrez supporter la logorrhée d'un indélicat qui vous a choisi pour psy.
Pire : le système de réservation dans les Tgv vous oblige à endurer les borborygmes stomacaux d'une vieille dame assise à vos côtés, les questions sans fin du gamin de cinq ans qui découvre le monde sur le siège face à vous ou bien le récit complet et détaillé de la vie quotidienne d'une confondante banalité d'une dame qui semble passer sa vie à raconter la sienne au premier venu.
On comprend mieux pourquoi dans les rames ferroviaires d'aujourd'hui, la majorité des usagers arborent des écouteurs.
Jérôme Angust est ainsi agressé verbalement par Textor Texel. Amélie possède la science des patronymes. On se souvient de Prétextat Tach, l'écrivain misogyne et misanthrope d'
Hygiène de l'Assassin. Une prédilection donc pour les prénoms incluant le motTexte. On ne se refait pas.
L'encombrant voisin du hall d'aéroport va lui confier son amour pour une jeune fille qu'il commence par violer avant de l'assassiner.
Puisque nous sommes chez Nothomb, la fille est d'une beauté renversante (bien que cette fois, l'auteure ne s'appesantit pas sur une description physique vaine – c'est elle-même qui le dit : à quoi servent ces pages de peinture des traits, couleur de cheveux, forme du nez, profondeur du regard, délicat arrondi du lobe d'une oreille...). Tout commence par l'ingestion de pâtée pour chat – encore ce rapport à la nourriture si particulier chez Amélie.
Mais surtout, l'humour noir qui, allant du viol au meurtre, décape tout sur son passage. Encore une référence au Hollandais ferroviaire de sa petite nouvelle (qui lui, voyageait dans le Paris-Bruxelles).
Bien sûr, il y a une chute. Mais chut ! Je vous laisse le soin de tomber, vous aussi, dans le panneau.