Pour donner suite aux réflexions sur la littérature moderne et contemporaine qu'Oe Kenzaburo expose dans les textes réunis dans « Moi, d'un Japon ambigu », je me suis plongé dans le livre d'Ozaki Mariko, qui couvre une vingtaine d'années d'éditions de romans, depuis 1987 à 2007, date de la parution de son ouvrage au Japon.
Ozaki Mariko est journaliste et était (?) responsable des pages culture d'un quotidien. Elle a connu la disparition des grands écrivains de la guerre et de l'après-guerre (décès de Abe et Ibuse en 1993, de Nakagami en 1992, d'
Inoue en 1991, Yoshiyuki en 1994), l'émergence d'une nouvelle génération, l'apparition des nouvelles technologies qui « ne peut qu'entraîner une profonde transformation de la littérature japonaise », et l'avènement du produit-livre.
1987 ?
C'est une date symbolique. Plus rien de sera comme avant…
En cette année 1987 paraissent « deux bombes » aux succès sans précédent : « Kitchen » (Yoshimoto Banana) dont l‘auteur remporte le prix Jeune Talent, et «
La ballade de l'impossible » (
Murakami Haruki) dont le premier tirage est déjà exceptionnellement de 200 000 exemplaires. Ce fut aussi cette année là le succès colossal du recueil de poésie, «
L'anniversaire de la salade » (
Tawara Machi) où l'auteur introduit le langage parlé. Au même moment, Oe publie ses « Lettres aux années de nostalgie », plus proche de l'autobiographie que d'un roman, lui qui remarque que son livre est écrit « dans un style propre à la langue écrite, […] devenue dès lors un style ancien et les deux écrivains que sont
Murakami Haruki et Yoshimoto Banana ont commencé à créer une nouvelle écriture de l'oralité ». Enfin, le prix Mishima nouvellement créé récompense Takahashi Genichiro. Tout ceci est raconté dans le premier chapitre du livre d'Ozaki : 1987, le début de la fin. Soit la fin de la littérature moderne et les débuts de l'ère post-moderne.
Quatre chapitres constituent cet ouvrage qui se fait donc l'écho des changements dans le roman au Japon. On s'aperçoit par ailleurs que la thématique sur la disparition de la littérature est une problématique universelle. La question de la mondialisation, et de fait de l'uniformisation, ainsi que celle de l'identité nationale sont aussi au coeur de ces mutations.
Je ne m'étends pas sur le second chapitre consacré au succès planétaire de Murakami.
Le troisième chapitre s'intéresse aux « Transformations dans le système de création », soit les mutations du monde d'édition (« tendance chez les éditeurs à vouloir soumettre, de plus en plus rapidement, de jeunes talents au jugement du public »), la multiplication des prix (l'auteur parle de surchauffe – qu'elle ne s'inquiète pas, on subit la même chose dans nos contrées ! - et de calcul tacticien du monde de l'édition). Cette tendance à l'abaissement de l'âge des candidats à l'activité d'écrivain est aussi un prolongement des activités de beaucoup sur les écrans (journaux, blogs etc). Enfin, elle cite des collègues pour qui les prix ne relèvent plus de la critique littéraire mais du journalisme : les prix littéraires « sont simplement devenus un de ces nombreux divertissement de salon qui animent la vie sociale ».
Le dernier chapitre est consacré à l'apparition des nouvelles technologies tant sur le plan technique (traitement de texte, échange auteur-éditeur via internet, rédaction des textes horizontalement alors, que l'écriture manuscrite traditionnelle, les idéogrammes, est verticale, ce qui enlève des spécificités identitaires à l'écriture) que thématique.
Ce livre n'a pas pour but de dresser un panorama complet de la vie littéraire au Japon pendant deux décennies, mais d'en saisir et de commenter les ruptures et les renouvellements, et que forcément au gré des traductions qui nous parviennent, nous avons des difficultés à comprendre et à contextualiser. L'ouvrage d'Ozaki Mariko est pour cela un outil précieux.