Avec la plume piquante, légère, cocasse et imagée de Paasilinna, nous voila dans un roman, une épopée, qui vient l'air de rien nous conter l'histoire de la Finlande. L'histoire-géo, même.
J'ai regretté de n'avoir pas sorti l'Atlas ou plutôt la carte du pays pour l'avoir sous les yeux pendant ma lecture. Ce pays m'a l'air riche en peuples, en paysages, en météo aussi, autant qu'en légendes ou en faune vêtue de blanc, sans parler de ses frontières variées du bout du nord. J'ai aimé suivre comme un quelconque acte du quotidien la forte Linnea et sa chaloupe phoquière, tiens, même le correcteur orthographique de Gougoule ne connait pas ce mot, la chaloupe phoquière. Ben voilà c'est comme ça, au petit dèj Linnea se paye une petite chasse au phoque, dans l'horizon silencieux nimbé de blanc, puis elle rentre pour accoucher une voisine ou une amie, et entre temps, elle fait des rêves et prédit l'avenir. Ah, et de temps en temps, tout à fait illégalement, elle va caresser de sa coque phoquière la haute coque d'un cargo, pour récolter en petit trafic des bonbonnes d'alcool dont elle fera bon usage. A la ville voisine, il y a un port, des vastes épiceries, des chargements et déchargements de denrées, des belles institutrices, des ouvriers qui parfois se mettent en grève, des mammas qui font des enfants, des mariages d'amour, des voisins médisants, des abrutis agressifs ou des épouses épuisées. Il y a la crise de 29 née au coeur de New York et ses répercutions jusque dans les plus petits villages de Laponie, il y a la lutte entre la gauche et la droite, il y a, par le grand nord, des voisins suédois ou même norvégiens tout là-haut tout là-haut, qui se font soit amis soit belligérants, ou le plus souvent compagnons de commerce. Il y a des chevaux qu'on requinque, des belles autos qu'on fait vibrer, des pontes qu'on promène et de l'alcool à foison. Et tout ça forme de la vie ordinaire, de la vie qui ne dit pas son dernier mot même en dernier mot... de la vie aux couleurs blanc bleu pour la touche exotique.
Parlant d'exotisme d'ailleurs, qu'est-ce que j'aime tous ces noms chantants, les inen qui finissent la moitié des noms, et puis les voyelles enlacées pour arrondir les sons, je pense que la Finlande est le seul pays où lire l'annuaire peut devenir une création musicale...
Et puis il y a les guerres. Les chevaux y meurent, les vaches y meurent, les hommes y meurent. le grand voisin russe, puis sovièt, n'en finit pas de se déchaîner contre tout ce qui lui désobéit. Et la Finlande désobéit à la Russie ou l'Urss, la Finlande tient à rester la Finlande, alors régulièrement, le grand voisin s'offre un bain de sang. le sang de son propre peuple, pour faire couler le sang des autres. Tiens donc, comme hélas à présent ça nous semble familier. le livre a été écrit en 2006 et parcourt un siècle, depuis la fin du XIXè jusqu'à la fin du XXè et du bloc soviétique. On est fier pour eux, les Finlandais, qu'ils aient réussi, avec peu de troupes, à repousser la chair à canon dix fois supérieure des Russes et leurs affidés, on aime définitivement que le petit David réussisse à terrasser l'affreux Goliath. Mais on oublie souvent le détail, c'est-à-dire le nombre de vies envolées pour en arriver là.
Et cet infernal recommencement. L'ogre semble ne jamais s'estimer repu.
"Les troupes mal entraînées de Finlande subissaient de ce fait des pertes effroyables. La mort fauchait cependant sa moisson la plus cruelle dans les rangs de l'ennemi. Côté soviétique, l'individu n'avait aucune valeur en soi. le soldat n'était que de la chair à canon, bon à se ruer sous la mitraille."
En fait c'est effrayant.
Et puis la plume piquante, légère, cocasse et imagée de Paasilinna nous raconte que ainsi va la gloire du monde, que les petits évènements se mêlent aux grands pour faire une vie. Une vie en Finlande, donc, bercée par les vagues qui balancent les chaloupes phoquières dans des paysages silencieux nimbés de blanc.
Commenter  J’apprécie         00
Quand une chaman entre en transe sur une mer en furie, le monde est pris de vertige. Les mouettes heurtent les vagues et les sternes sanglotent.
En cette venteuse journée d'automne de 1917, la harengère, accoucheuse et devineresse Linnea Lindeman relevait ses nasses dans la baie de Bonnie. Avec ses trois verveux et sa chaloupe phoquière de trente pieds, elle pêchait en général sur les hauts fonds de Trullögrunder, à six milles au nord d'Ykspihlaja. Elle avait pris la mer de bon matin. Au fil de la journée, le vent avait forci, mais Linnea n'avait pas peur du gros temps, elle aimait les puissantes tempêtes d'équinoxe.
Page 198
De nombreux phoques jouaient dans les vagues. Linnea, riant de bonheur, les regarda se pourchassaient. Jamais elle ne les avaient vus aussi confiants. Auraient-ils senti qu'elle n'était pas là pour les tuer, cette foi ? Peut-être faisaient ils juste la sarabande parce qu'ils n'avaient pas eu depuis longtemps l'occasion de s'ébattre en eau libre. Ils en n'avaient fini de vivre dans l'obscurité sous la glace et de devoir percer des trous pour respirer.
- Adieu les amis-, leur dit tendrement Linnea.
Quand une chamane entre en transe sur une mer en furie, le monde est pris de vertige. Les mouettes heurtent les vagues et les sternes sanglotent.
En cette venteuse journée d'automne de 1917, la harengère, accoucheuse et devineresse Linnea Lindeman relevait ses nasses dans la baie de Botnie. Avec ses trois verveux et sa chaloupe phoquière de trente pieds, elle pêchait en général sur les hauts-fonds de Trullögrundet, à six milles au nord d'Ykspihlaja. Elle avait pris la mer de bon matin. Au fil de la journée, le vent avait forci, mais Linnea n'avait pas peur du gros temps, elle aimait les puissantes tempêtes d'équinoxe. Sur le chemin du retour, elle posa les rames et laissa sa barque dériver vers son port d'attache, vent en poupe, sur les vagues crêtées d'écume.
Soudain son corps robuste fut pris de tremblements. Elle ferma les yeux et entra en contact avec la face cachée de la réalité. Telle la lumière d'un phare, son esprit balaya l'étrange océan secret de la clairvoyance. Une certitude la frappa, issue des hauteurs insondables du ciel, jaillie des nuées d'orage sous les traits d'une orfraie, d'un immense aigle de mer bicéphale ! L'oiseau était porteur d'un envoûtant message, avec deux dates précises. Le 8 janvier suivant, Linnea aiderait à mettre au monde un garçon. Et ce garçon ne mourrait qu'à l'été 1990. Quand une chamane s'endort, son cerveau reste en éveil.
De temps à autre, les déflagrations de l'artillerie lourde de l'ennemi illuminaient les forêts désertes et, chaque fois, les yeux de centaines d'infatigables chevaux finlandais se teintaient de reflets émeraude. Aucun d'eux ne laissaient échapper le moindre bruit, aucun ne s'ébrouait ni ne hennissait. Fidèles et imperturbables, ils maintenaient l'allure sur le sinistre sentier de la guerre, tirant derrière eux les corps des héros tombés au champ d'honneur.
Les deux femmes avaient beau être seules dans la grande villa, Sonja baissa la voix. Linnea ne pourrait-elle pas utiliser son don de voyance pour lui dire quel genre de mari l’avenir lui réservait ? Ce n’étaient pas les candidats qui manquaient, plus empressés les uns que les autres, mais comment une jeune fille sans expérience pouvait-elle savoir avec qui s’engager pour la vie ?
La devineresse réfléchit avant de parler. Dans un domaine aussi sensible, la sagesse s’imposait. Elle ferma les yeux et décrivit le futur époux de Sonja. Brun, grand, natif de Kemi, matelot à bord d’un bateau qui transportait du bois d’œuvre jusqu’en Allemagne et en Angleterre. Encore jeune, guère plus de vingt ans.
« Il boite un peu, mais pour le reste c’est un garçon solide et facile à vivre.
— Ivrogne ? souffla Sonja.
— Ni buveur ni joueur, mais pas non plus très pieux. »
La jeune fille était curieuse de savoir comment s’appelait ce mystérieux fiancé, mais Linnea déclara ne rien pouvoir prédire d’aussi précis en matière d’hommes. Sonja découvrirait sûrement son nom en temps utile. Mieux valait, pour ce genre de questions, ne pas se précipiter.
« Il porte un pantalon à la hussarde, une veste verte, de belles bottes. Non seulement il est travailleur, mais il te sera fidèle quand vous vous serez trouvés. Vous aurez six enfants et tu auras mon âge avant d’être veuve. »
Linnea ne put s’empêcher de prêter au promis de la naïve Sonja d’autres traits séduisants. Elle lui confia qu’il avait un grand et beau nez sous lequel il cultivait une épaisse moustache. L’été, il se coiffait parfois d’un élégant panama. Il avait un accordéon, mais n’en jouait pas très bien.