extrait 5
Il faut changer de lumière pour voir à l’intérieur. L’absence de soleil nous montre déjà ce qu’il ne nous éclairait pas. Car le soleil n’éclaire que l’extérieur du monde. Avec la lumière de ce soleil nous ne voyons qu’en surface le monde qui nous éclaire.
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extrait 6
Il faut changer de soleil, le soleil dans le ciel nous cache le ciel, il délimite le monde et le referme sur lui-même. Si nous tournons sans cesse autour du soleil, c’est parce que nous cherchons une issue. Une issue à notre temps de vie sur la terre, mais aussi à nos yeux que le soleil éblouit.
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extrait 1
C’est quand nous ne voyons pas d’où vient la lumière qui nous éclaire que nous voyons l’intérieur des choses. Le soleil éclaire le ciel mais il éteint l’infini qu’il contient, il éclaire la terre mais il éteint l’univers. Le soleil nous a recouverts de peau pour pouvoir nous chauffer sans nous brûler. Nous sommes devenus visibles et intouchables mais la terre s'est retournée de l’autre côté où le soleil avait disparu, et nous sommes devenus invisibles et touchables ; et, en touchant, nous avons pu sentir l’intérieur du monde qui nous entourait et l’intérieur de notre corps qui battait et qui vivait.
Si la terre n’avait pas tourné sur elle-même, du côté nuit les hommes auraient pris conscience de l’existence de l’infini, et du côté jour ils ne sauraient même pas qu’il existe.
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extrait 4
Si nous ne voyons jamais nos yeux comme nous ne voyons pas le soleil, une fois sur deux, c’est parce que nous n’avons jamais quitté l’intérieur du monde et que nous tournons toujours avec la nuit, dans la nuit. Comme si le jour et la vision du soleil dans le ciel étaient juste un arrêt dans le temps qui nous permettait de reprendre notre souffle pour vivre ici.
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extrait 2
Sur une planète immobile, il faudrait que les hommes se déplacent, courent tout autour de la terre, pour retrouver ce mouvement qui nous fait prendre conscience de l’endroit où nous sommes. Nous marchons, nous nous déplaçons pour connaître ce que nous n’avons jamais vu, ni jamais su. Mais le monde tourne et avance autour de la lumière, et c’est ce mouvement continu qui nous a permis d’avoir un cerveau et une pensée. Sans la nuit d’un côté et sans le jour de l’autre côté, nous ne saurions rien et nous n’existerions pas où nous sommes. Nous serions perdus dans l’espace. C’est parce que le monde tourne que nous savons et que nous tenons sur la terre, car si elle était immobile sous nos pieds, nous tomberions dans le vide.
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CARTE BLANCHE À BERNARD NOËL - LA PLACE DE L'AUTRE
Avec Bernard Noël, Jean-Luc Bayard, Léonard Novarina-Parant, Jean-Luc Parant, Laurine Rousselet, Esther Tellermann & autres invités
Né en 1930, Bernard Noël signe son premier livre Les Yeux chimères, en 1953 et en 1958, Extraits du corps. Ce n'est que dix ans plus tard qu'il publie son troisième ouvrage, La Face de silence. La publication de ces poèmes lui ouvre alors les portes de l'édition où il travaille comme lecteur, correcteur et traducteur. À partir de 1971, Bernard Noël prend la décision de se consacrer entièrement à l'écriture. Il compose ainsi une oeuvre majeure, où s'exprime une révolte contre toute tentative de “sensure” - oeuvre couronnée du Prix National de la Poésie en 1992, du Prix Max Jacob en 2005, du prix international de poésie Gabriele d'Annunzio.
Salué par Aragon, Mandiargues et Blanchot, son oeuvre, immense par son engagement et son exigence, compte près d'une centaine de titres (dont le Château de Cène, roman érotique qui lui vaut d'être l'un des derniers écrivains français à subir un procès pour outrage aux bonnes moeurs), ainsi que de très nombreux livres d'artistes.
Dans le cadre de la Périphérie du 36e Marché de la Poésie
À lire - Bernard Noël, le poème des morts, Fata Morgana, 2017 - La Place de l'autre, Oeuvres III, P.O.L., rééd. 2013 - Comédieintime, Oeuvres IV, P.O.L., rééd. 2015.
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