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EAN : 9782258202504
256 pages
Presses de la Cité (29/09/2022)
3.68/5   42 notes
Résumé :
Jean et sa petite sœur Ophélie vivent au pied des montagnes de Chartreuse, dans " la vieille maison ", avec leurs grands-parents Euphoisine et Jules, leur grand-tante Séraphie et leur aïeule, Adèle. De leurs parents, l'on ne sait rien, sinon des légendes que racontent les cousins. Quand toute la famille est réunie, pour fêter la fin des fenaisons, des paroles échappent aux adultes, qui baissent la voix en présence de la jeune génération. La maison elle-même, qui a s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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«Un secret croît avec la rage de dire»

Sarah Perret est la quatrième lauréate du Prix Jean Anglade. Ayant eu l'honneur de défendre ce premier roman en tant que membre du jury, c'est avec un plaisir redoublé que je vous invite à la découvrir à votre tour !

C'est une histoire de famille. de ces tribus comme il n'en existe plus beaucoup et qui rassemblent sous un même toit plusieurs générations. Nous sommes dans le massif de la Chartreuse au milieu de l'été, quand chacun apporte son concours aux travaux de la ferme. Autour de la table, présidée par le grand-père, on trouve ses fils Charles et Fernand et son gendre Albert. Les tantes, quant à elles, encadrent la grand-mère Euphroisine et sa soeur Séraphie, ainsi que l'arrière-grand-mère Adèle. Jean, l'aîné et sa soeur Ophélie, la petite qui donne son titre au roman, complètent la tablée avec leurs cinq cousins. Dans la suite du récit, on va apprendre que les deux enfants sont orphelins après le décès de leurs parents dans un accident et qu'ils sont élevés par leurs grands-parents.
Dans la famille, les valeurs de travail et de droiture sont sacro-saintes, et nul ne saurait y déroger. Et dans cet environnement hostile, on a appris à souffrir en silence et à ne pas poser trop de questions. «Il ne fallait pas penser au passé, pénétrer dans les cavités, remuer le sol des cavernes sombres et revoir les visages perdus. On ne se remettait jamais des deuils. Jamais. le passé n'était pas une page que l'on tourne. Il fallait le porter. Accomplir sa tâche de chaque jour et allumer sa lampe. Et résister aux assauts réguliers des vagues de chagrin, de nostalgie, aux ressacs. On devait avoir le coeur bien accroché, pour vivre.»
Alors Jean et Ophélie vont chercher par tous les moyens à se réapproprier cette histoire qui est aussi la leur. D'abord en s'accrochant aux histoires contées à la veillée. Livrées avec parcimonie et souvent entourées d'un halo de mystère, elles sont aussi révélatrices. Puis en explorant la maison familiale, qui date de 1835. Un jour, Jean découvre dans un petit coffre une correspondance signée par une religieuse qui a visiblement quitté la famille pour choisir les ordres et dont il n'avait jusque-là jamais entendu parler. Un choc qui va le pousser à poursuivre son exploration de ces histoires qu'il fallait mettre sous le boisseau. «Cependant, un secret étouffé est comme un homme bâillonné qui veut crier justice; sa violence croît avec la rage de dire. Telle la maison, qui laissait suinter malgré elle des révélations sibyllines.»
Sarah Perret nous livre un fort émouvant premier roman autour des secrets de famille, d'une enfant qui cherche à comprendre qui elle est et d'où elle vient, qui veut trouver sa place dans un monde duquel elle se sent bannie. Avec émotion et autour d'un microcosme fort bien rendu, elle s'inscrit dans la lignée de ces forts romans qui ont exploré la France rurale, sur les pas de Jean Anglade.
L'Auvergnat aurait sans doute été sensible à ce chemin au bout de l'enfance, derrière les secrets de famille, à cet itinéraire qui construit une vie. Comme le souligne fort pertinemment Jean Vavasseur, le président du jury de ce Prix dont j'ai l'honneur de faire partie, sous la plume de Sarah Perret «la gamine se répare, se recoud, se défend, patiente, encaisse, résiste, s'accorde goulûment aux paysages et aux personnages, et se mélange aux histoires des autres pour n'en faire qu'une.»
J'ajouterai que la primo-romancière, prof de lettres à Pézenas, a écrit une première version de ce roman à seize ans. Avec le temps, et en s'éloignant de la terre de ses ancêtres, elle aura trouvé la juste focale pour faire de ce roman un écrin de sensibilité aux émotions qui sonnent aussi fortes que justes.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Un livre qui nous entraîne dans les montagnes de Savoie et dans une ferme où cohabitent plusieurs générations. Il y a la petite, du titre, Ophélie qui est est orpheline, après l'accident de ses parents. Elle a été recueillie avec son frère aîné, Jean par les grands parents, Euphoisine et Jules, mais il y a aussi dans la vieille maison, la grande tante Séraphie et l'arrière grand-mère Adèle. Et il y a aussi les voisins et les habitants du village.
Un texte qui nous plonge dans le terroir, dans la vie et le travail de la terre. Au fils des pages, nous allons découvrir cette nature, de belles descriptions de la vie à la ferme, des mystères de la forêt, des légendes de cette région, nous allons aussi découvrir les comportements de chacun : que de personnages taiseux, qui gardent en eux des sentiments avoués, inavoués.
Beaucoup de mystères qui intriguent bien les enfants de la famille et la bande des cousins et cousines. de belles pages sur des découvertes de photos, de lettres, de journaux intimes dans une malle du grenier.
Puis, l'air de rien, l'auteure nous distille les mystères, les non dits, les secrets de famille.
De belles pages sur la nature (on frémit lors d'une tempête, avec les deux enfants cachés sous le lit, quand le vent souffle et que la vieille maison fait de drôles de sons) mais aussi de beaux portraits que ce soient les enfants, la touchante petite, qui essaie de se faire une place et qui tente de comprendre la vie, son frère, Jean, qui lui est plus dans la violence introvertie, le rejet ou les personnes âgées, ce grand père, taiseux, mais qui va se dévoiler et nous allons mieux comprendre ses comportements, les trois vieilles soeurs, qui organisent la vie dans cette grande et mystérieuse maison. l'auteure décrit aussi très bien la vie dans les petits villages, où tout le monde connaît tout le monde, où des secrets planent, où on préfère se taire, s'éviter.
Un texte avec des secrets lourds mais quelle sensibilité pour raconter ses secrets de famille et le rapport à la nature.
Ai pensé à certains écrits de Marie Hélène Lafon et en particulier, son dernier texte, "les sources" et vais glaner des textes de Jean Anglade car ce roman vient d'avoir le prix Jean Anglade.
#LaPetite #NetGalleyFrance
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Ce premier roman La petite de Sarah Perret est une immersion dans la Savoie du XXè siècle. Au coeur du terroir et des gestes ancestraux au savoir lié à la connaissance de la nature, les secrets s'installent et y prospèrent, égratignant les êtres les plus sensibles et fragiles.

La petite raconte la vulnérabilité d'une petite fille sous l'influence de secrets familiaux qu'elle ne fait que subir.

Jean, âgé de plus de 7 ans que Ophélie, surnommée La Petite, évoluent dans cette ferme à l'architecture particulière entre la maison du haut et celle du bas.

Dans ce lieu solitaire, les adultes sont des personnes âgées : une aïeule, l'Adèle, et trois sexagénaires, Euphroisine, l'aînée, Jules son mari et Séraphie, sa soeur.

La Caisse à savon, la plus petite chambre, est le règne de Jean. Pour Ophélie, souvent dans l'ombre de sa grand-mère, tout est son royaume tant elle aime rêvasser dans un univers qu'elle seule connaît.

On les dit frère et soeur, et pourtant la méchanceté que Jean témoigne envers Ophélie est à l'opposé de la confiance qu'elle lui porte et du souhait qu'il la protège.

La liberté des enfants est totale et pourtant, les mots sont comme interdits autant pour eux qu'entre les adultes.

Alors quand Jean découvre lettres et photos dans un vielle boite en fer au grenier, les morceaux du puzzle vont s'assembler, au fur et à mesure, du récit.

Sarah Perret démontre la puissance de destruction des secrets : avec la jeune femme Claudie, mais aussi avec La petite.

Les enfants grandissent en essayant de trouver du sens dans les signes que les adultes font semblant de ne pas dire, alors que leurs gestes et leurs attitudes démontrent le contraire. Jean va partir à leurs recherches laborieusement jusqu'à la fin, montrant la solidité des liens affectueux qui unissent les membres de cette famille.

La petite décrit avec beaucoup de poésie cet univers paysan, rude et robuste, qui sait aider à grandir sans aider à se construire.

Faute de mettre des mots sur les maux, les morts obsèdent chacun jusqu'à provoquer des amnésies, des fragilités incommensurables et même de la violence.

Sarah Perret a su ressusciter avec poésie l'univers paysan de cette région de montagne, avec sa nature bienveillante. Mais, quelque fois, les descriptions, trop nombreuses, lassent. C'est la seule réserve pour moi concernant ce roman qui a d'importantes qualité.

Pour ce premier roman, Sarah Perret a su créer pour raconter l'histoire de la Petite une ambiance, un environnement familial où les secrets peuvent fragiliser les plus vulnérables. Un roman sensible et empreint d'une poésie nostalgique.
Lien : https://vagabondageautourdes..
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Je ne dirais pas que je suis sortie de ma zone de confort pour ce roman car c'est le genre de livre que je lisais avant. On y parle d'une région que j'adore la Savoie et j'ai reconnu des lieux déjà visités.

J'ai beaucoup aimé la plume de l'auteure ( à savoir que c'est son premier roman ). C'est une plume avec un vocabulaire très élaboré qui m'a rappelé mes années lycée et mon bac littéraire. On y parle aussi le patois et même si cela est parfois plus compliqué à comprendre (je suis normande) , je trouve que cela donne du cachet au roman. On se sent plus proche des personnages, on vit le roman.
J'ai vécu une réminiscence de mon passé grâce à Sarah et je l'en remercie pour cela. Comme le grand père qui fait une croix sur le pain avant de le couper , les jeux des enfants… Tant de passages m'ont rappelé les déjeuners chez mes papis et mamies avec mes cousins.

La petite c'est Ophélie une jeune enfant née orpheline. Elle vit avec ses grands parents , son frère Jean , l'arrière grand-mère. C'est une enfant fragile pour laquelle j'ai eu beaucoup de peine. Elle se sent rejetée par son frère . C'est une enfant chétive qu'on a envie de prendre dans ses bras et de câliner. Il existe un très beau lien entre elle et sa grand-mère. On comprend au fil de notre lecture pourquoi son frère la rejète même si il a de l'affection tout de même pour elle. Ce roman nous montre que ce n'est pas parce qu ‘on ne montre pas notre peine qu'on en a pas.

Dans ce roman il faut savoir qu'il y a plusieurs secrets de cachés. Les secrets se cachent dans tous les mots du roman et le pouvoir de l'auteure est qu'on ne découvre les secrets que lorsqu'ils sont écrits. On ne peut pas les deviner avant. La petite est tout le mystère du roman.


On voit aussi le pouvoir des femmes dans ce roman. Des femmes qui ont connu les deux guerres, qui ont connu le non amour, les souffrances , la violence, les deuils. Elles ont puisé leurs forces dans tous ces malheurs.

Je peux vous assurer que la fin est vraiment bouleversante. J'ai lu ce roman en une journée. Je me suis attachée à Ophélie et aux autres personnages. J'en ai détesté deux. Et c'est ce que j'aime dans mes lectures : avoir des sentiments qu'ils soient positifs ou négatifs pour les personnages.

Si vous chercher un roman qui mêle secrets, terroir, sincérité des personnages lisez ce roman. Je ne pense pas que vous serez déçu.

Merci aux @ pour ce roman j'ai vraiment passé un agréable moment de lecture

Bye Alex
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La petite Ophélie est élevée par ses grands-parents et voue une admiration sans borne à son frère et ses cousins. La petite est discrète et solitaire, et aimé par-dessus tout écouter les histoires des grands. En mal d'amour, elle suit partout les garçons malgré toutes les méchancetés qu'ils lui font. Sous le vernis de cette existence savoyarde paisible au coeur des montagnes, de lourds secrets de famille vont ressurgir et bouleverser la petite.
J'ai beaucoup aimé la plume à laquelle je suis attachée tout de suite. Elle est immersive, on sent vraiment cette ambiance de vie campagnarde, ces us d'un autre temps, ces moeurs qui appartiennent à une autre époque mais qui survivent grâce aux grands-parents. Que ce soit par le biais du vocabulaire utilisé, par les habitudes des grands-parents, ce livre est un véritable retour en enfance lors des après midi entre cousins chez mamie.
Le texte est très descriptif mais cela ne m'a pas dérangé. Les mots utilisés justes, on voit très bien les personnages et les lieux.
De lourds secrets de famille se dévoilent petit à petit et contrastent avec la douceur de vivre qui transpire de ce texte.
Je me suis beaucoup attachée à la petite, qui se fait toute petite d'ailleurs pour être aimée. Son frère est terrible avec elle. La fin m'a ressentir beaucoup d'émotions.
Bref, c'est un livre que je recommande.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Les premières pages du livre
« Un, deux, trois, quatre… »
Louis, une main sur les yeux, s’était mis à compter, et tous les cousins avaient quitté la pièce comme une volée de fauvettes, en direction de leur « planque ».
La petite resta un instant paralysée. Où irait-elle se musser ?
« Cinq, six, sept, huit… »
Les battements de son cœur s’accéléraient. Elle voyait Louis de dos, en bermuda beige et chemise à carreaux, qui scandait les secondes sur le frigo, de sa main libre. Le four électrique, au-dessus du réfrigérateur, vibrait sous les pulsations. Vite, il fallait se sauver. La crainte d’être découverte se mêlait à une trouble jubilation en son cœur.
« Neuf, dix, onze, douze… »
Elle fit du regard le tour de la pièce. Sous la table ? Il la trouverait aussitôt. Dans le bas du placard, à côté des pantoufles du grand-père ? Les battants grinceraient, en s’ouvrant.
« Treize, quatorze, quinze… »
Elle avait enfin trouvé. Elle avança sans bruit pour se dissimuler sous les patères, dans l’angle formé par le mur et la porte ouverte aux trois quarts. Elle s’apprêtait à se glisser derrière la veste bleue du pépé, qui sentait fort la sueur et la vache, quand elle sursauta. Raphaël y était déjà et lui faisait signe de se taire, en roulant ses gros yeux bleus. Un fichu de la grand-mère, qu’il avait fait choir en se dissimulant, jonchait le parquet.
« Seize, dix-sept, dix-huit, dix-neuf… »
L’estomac contracté et l’esprit en ébullition, elle se détermina pour l’unique cachette possible : entre le fourneau et le placard de l’évier, dans la petite remise où la grand-mère rangeait sa batterie de cuisine.
« Vingt, vingt et un, vingt-deux, vingt-trois… »
Louis ralentissait le comptage avec un plaisir sadique. Elle manœuvra délicatement la porte pour qu’il ne l’entendît pas, se coula à pas de chat, se tint accroupie, entre les poêles et les casseroles, et referma soigneusement le loquet.
« Vingt-quatre, vingt-cinq, vingt-six, vingt-sept, vingt-huit, vingt-neuf, trente ! J’arrive ! »
Son cœur battait encore la chamade ; elle le sentait cogner contre ses tempes. Essoufflée comme après une course, elle tentait de maîtriser sa respiration pour ne pas se trahir. Tout son sang avait afflué à son visage, et ses joues étaient brûlantes. Elle se tenait en boule, bras autour des genoux et genoux au menton. Elle devinait dans son dos la tige de l’écumoire et, contre son mollet, le contact glacé de la cocotte en fonte.
Elle tendit l’oreille, comme un animal traqué. Les pas de Louis étaient inaudibles. C’est à peine si elle l’entendait s’exclamer : « Trouvé ! » Tous les bruits lui parvenaient assourdis, comme si, à la distance, la ténèbre de la remise ajoutait l’enveloppe d’une épaisseur ouatée. Elle percevait le lointain brouhaha des adultes qui prenaient l’apéritif. Parfois, elle reconnaissait le rire de gorge, proche du roucoulement, de l’oncle Albert, qui fumait sans doute, près de la fenêtre, avec l’oncle Fernand. La petite s’y projetait en imagination. Les femmes s’affairaient. Tante Claudie sermonnait sa mère, toujours prête à se lever pour servir, jusqu’à s’épuiser à la tâche ; ses belles-sœurs ouvraient le placard pour sortir la cruche et les assiettes et dresser le couvert. La petite les voyait comme si elle s’y trouvait. Et le soleil miellé de ce jour d’août finissant coulait à flots entre les vitres ouvertes, ambrait le vaisselier où l’on rangeait les verres et les mazagrans, mollissait le vernis du bois qu’elle aimait gratter d’un ongle, rendait le papier peint plus orangé. Les faisceaux lumineux, où dansait la poussière, floutaient les coins, si puissants était leur éclat, en sorte que l’aïeule, dans cette pulvérulence dorée, semblait une apparition, les pieds campés dans ses chancelières, son corps lourd arrimé au fauteuil, un demi-sourire flottant sur son visage où les lunettes fumées dessinaient deux trous aveugles.
Soudain, la vitre en verre dépoli vibra. Louis avait dû ouvrir la porte qui donnait « d’en bas », comme disait le grand-père.
« Y f’rait beau voir qu’y m’cherche noise, et j’l’attraperais ! Y vaut pas mieux qu’son père, çui-là ! »
La voix du grand-père tranchait sur la rumeur familiale.
« Papa, ne remue pas le passé, je te prie », suppliait Claudie.
La porte avait claqué dans son chambranle. À nouveau les voix des adultes n’étaient plus qu’un lointain murmure. Mais les paroles du grand-père s’étaient insinuées dans le cou de la petite, comme un vilain courant d’air.
Elle revint mentalement dans le jeu. Elle recensa toutes les cachettes dans son esprit, en les comptant sur ses doigts. Il y avait, en face de la salle à manger d’en haut, au-delà du petit couloir d’entrée, qui servait aussi d’accès à l’étage, interdit aux enfants en pleine journée, une pièce servant de resserre et de buanderie, qu’on appelait « l’autre côté » et qui donnait accès aux toilettes et à la salle d’eau, étonnamment fraîches. Cela faisait trois cachettes au moins. Autour de la maison, on pouvait aussi se plaquer derrière le mur, de part et d’autre de la façade, ou s’enfermer dans le hangar, l’ancien four à pain, avec les outils du grand-père, ou encore derrière le muret du jardin, sans piétiner les salades.
Enfin, restait la cave.
À moitié troglodyte, creusée dans la côte, en face de la maison, close par une lourde porte de bois. La petite n’aimait pas cet endroit, à l’obscurité plus épaisse que la remise où, à travers le cadre de la porte, se faufilait un jour mince. Quand on passait l’entrée de la cave, en plus de l’odeur âcre d’humus, de vin vieux et de pomme, c’est ce trou noir, où l’on ne discernait rien et dont on ne mesurait pas la profondeur, qui sautait au visage. De quelles créatures était-il peuplé ? Une souris, parfois, passait entre les jambes du grand-père lorsqu’il allait y chercher du vin. Qui sait si ces ténèbres sans fond ne recelaient pas des monstres ?
Une nuit, la petite avait fait un odieux cauchemar : le grand-père la traînait par le bras en la menaçant de l’enfermer à la cave pour la punir de quelque faute. Elle suppliait, pleurait, hoquetait, criait, en proie à une angoisse terrible. Mais le grand-père demeurait ferme et la livrait aux mille dangers de l’ombre. La panique était telle que la petite s’était réveillée en sursaut, dégoulinante de sueur, haletante. Plusieurs minutes avaient été nécessaires pour qu’elle s’apaisât enfin.
Ce souvenir la fit frémir. Elle observa la pénombre où elle se trouvait à présent avec une crainte nouvelle. La remise n’était guère plus rassurante que la cave. C’était l’espace compris sous l’escalier menant à l’étage. Étaient-ce bien des poêles, des marmites et des casseroles qui étaient rangées ici ? L’ombre se jouait des objets d’usage courant, qu’elle remodelait en de sinistres anamorphoses. La petite, posant une main au sol, crut sentir sous ses doigts de la toile d’araignée. Elle frissonna et enfouit son visage entre ses genoux.
Ce fut soudain comme si le fil qui la retenait au monde se rompait, comme si elle chutait dans le vide. Happée par les ténèbres de la soupente, elle oublia le jeu.
Elle se sentit seule, abandonnée de tous, son cœur devint froid et minéral comme une planète inhospitalière. Les garçons l’avaient oubliée. Comme toujours. Elle croyait les entendre rire. Ils se moquaient d’elle, ou, pire, son existence leur était indifférente. Personne ne viendrait la chercher ici. Elle mourrait de faim et de chagrin. Aspirée dans le couloir de la peur, elle sentit bourdonner ses oreilles et vit éclore dans son imagination des fantasmagories semblables aux œufs monstrueux du crétacé. Des êtres informes, bouillie d’humanité, visqueux fantômes aspirant à se détacher de l’obscurité qui leur faisait une matrice commune, hurlaient dans le silence. La petite n’éprouvait pas seulement de l’épouvante à leur contact mais aussi, de manière inexplicable, de la honte. Comme si la seule vue de ces créatures pouvait la souiller. Et tout à coup le loup apparut. Tel un chien galeux, l’œil jaune et les dents suintant de bave, tous ses muscles bandés, il s’approchait de la petite. Il était là, dans la soupente. Il allait la déchiqueter et la dévorer.
« Eh ben, qu’est-ce qu’elle fait là, la p’tiote ! C’est-y pour cligne-musette ? » s’écria Séraphie en la tirant vigoureusement par le bras. La grand-tante avait la poigne solide et bienveillante, et la chair moelleuse. Dans ses yeux gris-bleu se lisait la bonté des vieilles femmes qui ont su traverser les tempêtes, en puisant du réconfort dans les bienfaits de la terre, les travaux et les jours, les floraisons, la douceur des bêtes et des couvertures de laine.
« C’est pas plus lourd qu’une poupée de son ! » ajouta-t-elle en lui pinçotant la joue, sans se douter qu’elle arrachait l’enfant aux griffes de la nuit. Elle attrapa ensuite le coquemar pour mettre à chauffer de l’eau sur le fourneau.
La petite Ophélie restait silencieuse à côté de Séraphie, presque surprise d’être à nouveau dans le monde des vivants. Dans sa petite robe amande à fleurettes, elle avait l’air en effet d’une poupée auprès de la grand-tante Séraphie, charpentée comme un homme, « une grande bringue », disait le pépé. Cette dernière saisit le crochet pour déplacer le cercle de fonte, dans un bruit de raclement. La petite contempla les étincelles, autour des bûches qui achevaient de se consumer.
Les garçons rentrèrent à cet instant, en groupe braillard et pressé.
« Ben, t’étais où ? » fit Raphaël, tandis que Jean feignait de ne pas la voir, cette petite sœur qui semblait l’importuner. Boris, Pierre et Côme, qu’on appelait Coco, jouaient des coudes pour arriver les premiers. Louis et Christophe devisaient sagement.
« À table ! » cria la tante Claudie, et les enfants s’engouffrèrent d’en bas, dans le brouhaha des adultes.
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La grand-mère, en effet, vénérait la vie sous chacune de ses formes. La vie qui n'est pas figée, univoque, ni rectiligne, mais ondoyante, chatoyante et sauvage. Aussi prenait-elle soin de toutes ses manifestations. Au printemps, elle avait été, comme chaque fois, émerveillée en découvrant la portée de chatons que Mirette, sa chatte tigrée, avait cachée dans le bûcher, contre le mur de la grange du vil-lage. Avec Ophélie, elle avait fabriqué un berceau au moyen d'une cagette et des grandes culottes usées du pépé. Elles avaient contemplé toutes deux Les grouillantes petites bêtes, aux yeux mi-clos, qui couinaient comme des souris et tenaient à peine sur leurs frêles pattes.
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Tant d’amertume refluait avec son souvenir… Mais il ne fallait pas penser au passé, pénétrer dans les cavités, remuer le sol des cavernes sombres et revoir les visages perdus.
On ne se remettait jamais des deuils. Jamais. Le passé n'était pas une page que l'on tourne. Il fallait le porter. Accomplir sa tâche de chaque jour et allumer sa lampe. Et résister aux assauts réguliers des vagues de chagrin, de nostalgie, aux ressacs.
On devait avoir le cœur bien accroché, pour vivre.
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Mais la vieille maison résistait aux assauts. Elle gardait les secrets de la famille, telle une malle bien close, un cercueil, à la manière de chacun de ses hôtes, savoyards taiseux, portant le poids de la honte. On ne disait jamais un mot de trop. Chaque parole était patiemment pesée. L'Adèle avait toujours prôné le silence et la discrétion : « Derrière cises et buissons, faut pas dire sa raison », déclarait-elle.
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 Car la petite, aussi frêle et vulnérable qu’elle fût, avait elle aussi un sixième sens, une empathie singulière. Elle percevait la méchanceté des gens, le mal. Un bonjour qui tarde, un regard torve, ou juste ce grouillement dans son ventre en présence d’un adulte malintentionné, étaient des signaux d’alerte. Il aurait fallu fuir ou crier, mais elle n’en avait pas la force. Cette fois le loup allait la dévorer.
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