Pourquoi engager la réflexion sur l'amour de la haine plutôt que, plus simplement sur la haine?
L'aspect paradoxal de l'expression accentue plusieurs traits qui peuvent dessiner, au delà d'une disposition affective, une figure de la haine.
D'une part, en effet, nous sommes trop enclins à penser la haine dans son opposition à l'amour, voire à fondre ce couple d'opposés sur le dualisme des pulsions de vie et de pulsion de mort. La notion d'ambivalence est alors hâtivement appelée à la rescousse: amour et haine seraient toujours mêlés dans des propositions variables. L'amour cacherait la haine, la haine un amour fou. En cette conception, qui tient plus du mélange des contraires que procès dialectique, l'ambivalence perd de sa vigueur conceptuelle, et s'estompe le visage de la haine, comme d'ailleurs celui de l'amour.
D'autre part, parler d'amour de la haine provoque la pensée à se saisir de la question de la haine là où
elle se pose le plus vivement, là où haïr parait être une exigence impérieuse, une condition vitale.
Certains individus, certaines collectivités, à tel moment de leur histoire, semblent bien n'être animés que par un besoin de haïr. On dirait qu'ils n'aiment plus qu'une chose: leur haine.
Reste à savoir que l'amant jaloux cesse d'être amant sans la présence d'un rival et que le raciste trouve son identité dans le mépris de l'autre.
L'amour de la haine: l'amour monstrueux que porte la haine; l'amour que nous portons à la haine qui nous vise... et même, peut-être, l'amour que nous porte la haine elle-même.
Ce livre est psychologiquement très riche.