Après avoir terminé il y a quelques jours ce premier roman de
Léna Pontgelard, je me suis remémoré tous les titres de littérature contemporaine qui m'ont laissé une marque indélébile. Ces expériences de lecture si intenses que je les poursuivais en tout lieu dès que j'avais un moment et qui m'ont tant habité que je me souvient précisément où et quand je les ai finis. Des oeuvres qui se sont fondues en moi.
C'est à ça que je reconnais l'un de mes grands moments de littérature. Quand le livre m'a ouvert, que j'y ai versé un peu de moi et qu'il m'a rempli en retour.
Une si Moderne Solitude s'ajoute désormais à cette liste restreinte de mes alchimies littéraires.
C'est un livre qui m'a ravi par son écriture, bouleversé par son regard, et fendu l'âme par ses propos multiples chargés d'émotions originales.
Au départ, l'autrice nous propose un décor et une matière première en apparence simples : un jeune couple aisé, Marie et Léon, dans l'Est Parisien, en proie à leurs conflits de désirs, et devant se remettre d'une fausse couche.
Sauf que dès les premières lignes, la façon dont ce matériau de base est traité, malaxé, relaté par Marie, qui nous conte toute cette histoire, a quelque chose de troublant. de troublé aussi …
Marie ne voit pas cet ensemble de paramètres ordinaires comme vous et moi. Elle ne les fantasme pas non plus pour ce qu'ils ne sont pas. Elle les regarde de biais. C'est son regard et sa voix qui vont donc transformer cet amas de paramètres banals en dissections « cynico-philosophiques » sur toute une série de thèmes majeurs : le trio de tête, ce sera l'enfant, l'enfance et la parentalité. Mais Marie et le roman nous emmène bien au-delà de ce triangle central.
Est abordé le rapport aux autres, le rapport aux conventions sociales, le désir, l'adaptation d'un individu (dans ce que ce processus du vivant peut avoir d'attractif pour viser la survie, et de répulsif pour viser la vie choisie) … Grâce au prisme de Marie, ces thèmes essentiels nous sont contés sous un nouveau jour. Et m'ont personnellement conduit à me poser pas mal de questions.
J'ai vu dans ce livre un conte sur le Volume. L'espace. Les vides et les pleins. Cette toile de fond de physique élémentaire pour analyser des sentiments si complexes comme l'Amour, la Différence et le désir d'enfant est à la fois bouleversante et jubilatoire.
L'Amour, chez Marie et Léon, occupe un volume donné. Alors que de l'espace s'était provisoirement et naturellement fait pour accueillir un nouveau paramètre, voilà qu'un incident de parcours vient dérégler la nouvelle volumétrie. L'équilibre entre les vides et les pleins est ébranlé. Et Marie passe son temps à questionner cet équilibre.
Quel espace faut-il laisser à un désir naissant ? Quel espace faut-il prendre à ses voisins pour assumer une différence ? Comment reconnaitre un vide en soit à combler ? Au contraire, comment repérer un vide voué à rester vide ?
Léon et Marie ne savent pas comment les autres jonglent spontanément avec ces équations. Alors ils décident d'expérimenter. Les frontières entre ce qui remplit un être et ce qui le vide sont brouillées lorsqu'ils commencent leurs essayages sur le terrain.
Le travail, un vide ou un plein ?
L'altérité, un vide ou un plein ?
L'Amour au sein du couple, un vide ou un plein ?
Perdre involontairement un enfant non désiré, un vide ou un plein ?
Elever et s'occuper d'un enfant, un vide ou un plein ?
Certains résultats seront surprenants tant pour le couple que pour le lecteur. En effet, on pourrait croire en première approche que le conte inviterait à une forme de détachement progressif de la société (exit le travail, les conventions sociales, les contingences matérielles) pour retrouver la quintessence de la vraie Vie, à travers le couple et surtout, sa création.
Mais cette première lecture, insidieuse dans le style, perfide dans la façon dont les personnages la traversent, est bien entendue à creuser. Certains calculs sont erronés pour parvenir à cet équilibre artificiel de vides et de pleins, qui demeure instable du début à la fin.
Chacun, sans doute, l'expérimentera différemment dans sa lecture, et c'est ce qui est fascinant avec ce roman.
Qui, au-delà d'explorer si intelligemment ces thèmes, le fait avec une écriture magnétique, apte à soutenir les expérimentations subatomiques à l'oeuvre dans l'histoire, oscillant et mêlant sans cesse observations cliniques et espoirs poétiques.
J'ai été impressionné et transporté par ce ballotement hypnotique entre l'hyper réalisme désincarné du style (souvent réjouissant et drôle !) et le pur paysage émotionnel qu'on contemple et qui nous imprègne de bout au bout, presque sans que l'on s'en rende compte.
Si vous cherchez une voix originale pour vous transporter entre mystique et acide, pour vous faire chausser des lunettes déformantes sur le monde tout en vous ouvrant le regard en vous-même, je ne peux que recommander cet ouvrage.
Personnellement, ça faisait un moment que j'attendais ça…