Les chiens d’Asnières
On enterre les chiens on enterre les chats
on enterre les chevaux on enterre les hommes
on enterre l’espoir on enterre la vie
on enterre l’amour – les amours
on enterre les amours – l’amour
on enterre en silence le silence
on enterre en paix – la paix
la paix – la paix la plus profonde
sous une couche de petits graviers multicolores
de coquilles Saint-Jacques et de fleurs multicolores
il y a une tombe pour tout
à condition d’attendre
il fait nuit il fait jour
à condition d’attendre
la Seine descend vers la mer
l’île immobile ne descend pas
la Seine remontera vers sa source
à condition d’attendre
et l’île naviguera vers le Havre de Grâce
à condition d’attendre
on enterre les chiens on enterre les chats
deux espèces qui ne s’aiment pas
—
Raymond Queneau (1903-1976)
Il faut entendre ce texte dit par Philippe Noiret, à retrouver sur le site de France Inter, "La prochaine fois, je vous le chanterai" de Philippe Meyer, en date du 9 février 2013.
lien : http://www.franceinter.fr/emission-la-prochaine-fois-je-vous-le-chanterai-hors-les-murs-la-banlieue ( +/- à 9'15" du début de l'émission mais tout s'écoute avec infiniment de plaisir.).
Bien à vous,
Phil
Le Chien à la mandoline
LES HÉRULES SONT LÀ
Jujule
où as-tu mis la pâte de jujube
dis-moi
où l'as-tu mise cette absulde pâte de jujube
ce jujube qui pullule habituellement entre tes doigts
entre tes pattes
ah Jupatte
toujours le même
toujours le même
toujours le même sale con
ah ça Jujule
faut que je te jugule
faudra bien qu'un jour je te jugule
Jujule
que je t'attrape par la jugulaire
et que je te traîne dans la poussière
que je te mette la lunule en l'air
que je te dédore la pilule
ta pilule de sale con
au fait Jujule
où as-tu mis les pilules
où est-ce que tu as mis les pilules qui pullulent
— qui pullulent entre tes doigts de con
les pilules de Jujube
les si bonnes pilules de Jujube
que l'on fabriquait au temps de l'empereur Jules
mais Jujule ne le sait pas au juste
et moi je m'appelle Romulus Augustule
p.262-263
Poèmes inédits
Les nuages ont percé leur abcès transatlantique
la pluie, la longue pluie, infiniment tombe
lignant le ciel de ses longs fils gris
En violet les maisons et les boutiques
Elle ronge les métaux rouillés
et coule le long des murailles.
Là-bas, la mer si lointaine
confondu avec le ciel indéfini,
vert et bleu uniformément.
Le Soleil périclite et s'écroule
derrière la foule
Les nuées.
Les franges de l'Océan
troublé par les vents
roulent les galets,
bruit des peupliers
balancés en longues théories
Encore un automne et les feuilles
Couleur de chevreuil
mélancolies durant la pluie
le vent de Novembre
qui vient souffler jusque dans ma chambre
Octobre 1919-février 1920.
p.725
Poèmes inédits 1919-1939
S'AMUSER SANS SE FATIGUER
Une femme de vache à la tête d'orange
Étrange étrange étrange
Dérobait du susucre à un vétérinaire
Qui fabriquait un cercle avecques des losanges
Étrange étrange étrange
Lorsqu'il eut aperçu ce méfait sublunaire
Le bonhomme enleva sa tête de rechange
Étrange étrange étrange
Et s'assit sur un lit perpendiculaire
p.749
Poèmes inédits 1919-1939
La Guerre et au-delà
Le petit chaperon gris Il pallia par des palliatifs
mangea beaucoup de aux émétiques incisifs
ficelle de la traversée des ponts
mais ventre saint gris roses
quelles belles aisselles où le tanguoche* le ren-
dait tout chose
Essaya-t-il d'envoyer
des lettres à la Portu- Avait-il des diamants ?
gaise ? Oui plein les dents
Ou fut-il le dévoyé N'avait-il pas des dia-
de la morale anglaise ? mants
Oui certainement
le petit chaperon gris allait à la chasse aux papillons de
nuit
il les mettait dans une casserole
faisait bouillir les incongrus
comme des profiterolles
p.799
* « Tanguoche » est formé à l'aide d'un suffixe populaire à partir de
« tangage »
Jacques Jouet & Laurence Kiefé -traduire Harry Mathews - "Les derniers seront les premiers" - à l'occasion de la parution de "Les derniers seront les premiers", d'Harry Mathews aux éditions P.O.L traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laurence Kiefé et Jacques Jouet , à Paris le 6 février 2024 et où il est question, notamment, de Harry Mathews, de traduction à deux, de contraintes et de haïkus, de Georges Perec et de l'Oulipo, de Raymond Roussel et de Raymond Queneau.
"On peut dire de la plupart des poèmes rassemblés ici qu'ils ont des origines biographiques, imaginaires ou d'ordre procédural.
Une fois établies ces catégories simples, il est indispensable de ne pas tarder à les bousculer voire à les détruire. En fait, presque tous ces poèmes entrent dans plus d'une catégorie et parfois dans les trois."
Harry Mathews
-"Collected Poems 1946-2016", de Harry Mathews est publié en anglais chez Sand Paper press
-"The Solitary Twin", de Harry Mathews est publié en anglais chez New directions
-"Case of the Persevering Maltese", de Harry Mathews est publié en anglais chez Dalkey Archive press
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