Les désarçonnés

Dans cet opus de « Dernier royaume VII », P. Quignard nous propose de découvrir les « désarçonnés » au sens littéral d'abord, les personnes qui, tombant de cheval eurent une révélation comme Paul de Tarse sur le chemin de Damas ou Montaigne qui , après un accident de cheval, pense que son temps est compté et se met à écrire les Essais. Or, l'ouvrage lui-même est désarçonnant car il essaie d'y relier son propos de l'homme qui se retire du monde et rejoint celui des anachorètes en donnant telle ou telle origine des mots qu'il emploie, la philologie, toujours.

Les grands mystiques sont les grands désarçonnés, les grands renversés, les grands emprisonnés, les grands excommuniés : Maître Abélard, Maître Eckhart, Hadewijch d'Anvers, Ruysbroeck l'Admirable, Jean de la Croix.

Les désarçonnés sont ceux qui ne se retrouvent pas dans la société des hommes, cruelle, dévorante, impitoyable, société de chasseurs qui ne cesse de se rassasier. le langage lui-même est devenu suspect, destructeur.

Les fêtes humaines sont toujours des mises à mort qui prétendent à chaque fois, dans le langage, léguer autre chose aux participants que les proies qu'ils dévorent.

Impossible bien sûr de résumer l'ensemble à la fois traité philosophique de l'absence au monde, du replis – ce qui fait l'unité de la fresque « dernier royaume » -propos illustré par l'érudition incomparable de l'auteur qui va puiser à la source de l'histoire des grands désarçonnés jusqu'à la préhistoire, aux peuples primitifs en passant par la Révolution Française, l'explication plausible des meurtres, de la Terreur.
Et de convoquer tout ce qui peut « désarçonner », le rappel d'un jadis dans le temps devenu cyclique, l'amour, la mort. le présent est expliqué par le passé, tout revient par cycles et l'homme doit se préparer au voyage de l'imprévisible dans un temps en continuelle construction :

L'homme doit regagner l'imprévisible comme sa patrie. L'imprévisible, rien d'autre.
L'imprévisible veut dire le temps, l'obscurité, la giclée de sperme, le site originaire, la terre, la lumière solaire, la beauté imprédictible de la nature, le fond du ciel qui explose.
Le Sans-essai.

Les mots et les phrases de Pascal Quignard résonnent dans le silence du lecteur mais il a fallu passer par des animaux pour lesquels j'ai apriori peu d'affinités : le cheval et le chien. Sinon, la lecture pousse à la réflexion, au retour sur soi et à ses propres convictions. Malgré tout ce n'est pas le tome que je préfère dans « dernier royaume ».