Un livre très précis, plein de détails et de documents, qui raconte, après une courte introduction sur l’avant-guerre, toutes les actions du général de Gaulle, presque au jour le jour, à partir de la bataille de France jusqu’à 1942 (peu à peu le récit des évènements devient moins chronologique et plus thématique). Ce sont des mémoires de guerre et donc beaucoup de batailles sont relatées, que ce soit en France, en Afrique, au Moyen-Orient ; certaines sont rébarbatives ou purement informatives, d’autres sont captivantes, comme la bataille de Bir-Hakeim. Mais ça ne me parait pas le plus important.
Dès que de Gaulle a été appelé au gouvernement en juin 1940 son travail principal a été d’organiser l’éventuel transport du gouvernement français en Afrique du Nord pour continuer la guerre, car la France ne se résumait pas à sa métropole (déjà perdue lors de la bataille de France) mais s’étendait aussi à son empire colonial. Elle avait toujours des moyens considérables et notamment une marine intacte qui lui auraient permis de continuer la guerre, ce que souhaitait Paul Reynaud. Pétain en prenant le pouvoir le 16 Juin a changé tous ces plans et de Gaulle ne l’a pas du tout accepté.
A partir du 18 juin, il va chercher à affirmer au maximum son autorité et à centraliser le pouvoir autour de lui pour former une alternative crédible à Pétain. Il va s’évertuer à constituer un Etat parallèle, car ce n’est pas à la formation d’un simple « gouvernement français londonien » à laquelle on assiste mais d’un Etat ! Un Etat avec son armée, son administration, sa diplomatie, son économie, et même, et surtout, ses territoires (en Afrique équatoriale, dans le Pacifique, au Moyen-Orient). Un travail énorme, une organisation impressionnante. Et il faut du courage pour se porter à la tête d’un Etat qui n’existe plus pour le reformer. Je ne sais pas si c’est pire que d’être à la tête d’un Etat à l’agonie, comme le raconte de Gaulle au sujet de Paul Reynaud, mais tout de même, se retrouver, au mois de juillet 1940, isolé, avec à peine 7000 hommes sous ses ordres et de très maigres perspectives quant à l’avenir et continuer à se battre, cela mérite le plus profond respect.
Personne ne niera qu’il a eu un destin fulgurant, mais un destin tient à peu de choses. Il n’aurait rien pu faire si Paul Reynaud ne l’avait pas nommé au gouvernement et permis de rencontrer Churchill. Et sans le soutien des Anglais, ou sans l’intérêt immédiat qu’ils avaient à voir la France continuer le combat, rien n’aurait été pareil ; de même, lors de cette semaine fatidique du 16 au 22 juin 1940, si le général Noguès avait persisté dans sa première intention de continuer la guerre, c’eût été lui le chef de la résistance et de Gaulle serait certainement resté dans un relatif anonymat. Mais la France avait besoin d’un chef à forte personnalité, notamment pour faire valoir ses droits et ses devoirs.
Les relations diplomatiques sont d'une importance capitale pour de Gaulle, dans le but de se faire reconnaitre comme le légitime représentant de la France. De ce côté-là il adresse en fin de compte peu de reproches aux Anglais et à Churchill, même si leurs intérêts ont pu diverger, en particulier dans l’affaire tendue de la Syrie et du Liban. Il ne reproche rien non plus aux autres pays d’Europe envahis par Hitler, et même s’il n’est pas dupe du totalitarisme de Staline il reconnait qu’il a au moins pu traiter avec lui. Par contre, quelque chose n’est pas passé avec Roosevelt qui a préféré, dans un premier temps, l’ignorer et essayer de traiter avec Pétain. Au sujet des relations franco-américaines, je recommande de lire les documents réunis en fin d’ouvrage autour de l’affaire Saint-Pierre et Miquelon et ce qui s’ensuit, car de Gaulle ne dit pas tout dans ses mémoires. Les différents sur le Levant avec l’Angleterre et la politique américaine révélée au grand jour après l’affaire Saint-Pierre et Miquelon sont les deux conflits diplomatiques les plus importants de ce premier tome.
D’autres sujets mériteraient de longs commentaires : sur le déroulement de la guerre, bien entendu ; sur le fait que de Gaulle affiche une carrure d’homme d’Etat, persuadé qu’un changement de constitution était devenu indispensable ; et surtout sur le destin des colonies, en particulier le cas de la Syrie, qui me parait caractéristique de la politique gaullienne.
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D'abord, De Gaulle est un écrivain. On lui impute aujourd'hui tout et n'importe quoi (le faux du 18 juin, l'horrible massacre d'Oran, etc.) et les ralliements obscènes - tout comme le comportement indigne de certains qui ont prétendu capter l'héritage gaullien à leur profit - lui font encore plus de mal que la "famille". Mais Les Mémoires rappellent avec style que De Gaulle incarna tout de même, et malgré eux, la défense et l'illustration de la France, la France réelle, celle qui est au premier rang par le Bien, le Beau et le Vrai. Car la France n'est plus la France dans le mensonge médiatique, la laideur subventionnée, la corruption généralisée. Elle n'existe que par ce qu'elle a de meilleur et qui la distingue de toutes les autres nations, tandis qu'elle s'égalise en crasse avec les plus abjectes républiques bananières quand elle laisse parler ce qu'elle a de pire (l'"hexagone") C'est ça, une "certaine idée de la France". Il faut lire Les Mémoires de Guerre. Et se sentir, intensément, FRANCAIS. Et fier.
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incipit :
Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France... Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a, en moi, d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai, d'instinct, l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie.
Malgré tout, je suis convaincu qu’en d’autres temps, le maréchal Pétain n’aurait pas consenti à revêtir la pourpre de l’abandon national. Je suis sûr, en tout cas, qu’aussi longtemps qu’il fut lui-même il eût repris la route de la guerre dès qu’il put voir qu’il s’était trompé, que la victoire demeurait possible, que la France y aurait sa part. Mais hélas ! Les années par-dessous l’enveloppe avaient rongé son caractère. L’âge le livrait aux manœuvres de gens habiles à se couvrir de sa majestueuse lassitude. La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s’identifier avec le naufrage de la France.
Je dois dire que nos soldats, a mesure qu’ils arrivaient, faisaient la meilleure impression. Dans cet Orient frémissant, où des échos séculaires répercutaient la renommée de la France, ils se sentaient des champions. Les Égyptiens, au demeurant, les accueillaient particulièrement bien, non, peut-être, sans l’intention que leur bonne grâce a l’egard des Français, contrastât avec la froideur su’ils Montraient aux Britanniques.
"Pour moi, dans le drame national, la politique devait être l'action au service d'une idée forte et simple. Mais eux [les politiciens], poursuivant les mêmes chimères qu'ils caressaient depuis toujours, n'acceptaient pas qu'elle fût autre chose qu'une chorégraphie d'attitudes et de combinaisons, menée par un ballet de figurants professionels, d'où ne devaient en sortir jamais qu'articles, discours, exhibition de tribuns et répartition de places."
Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a, en moi, d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai, d'instinct, l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même; que notre pays, tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur.
Une balade radiophonique dans la bibliothèque de Charles de Gaulle (France Culture / La Fabrique de l’histoire). Photographie : Bibliothèque du Président Charles de Gaulle à “La Boisserie”, Colombey-les-Deux-Églises, novembre 1979. • Crédits : PIERRE GUILLAUD / AFP -AFP. Une visite de la bibliothèque de Charles de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, en compagnie d'Yves de Gaulle. Diffusion sur France Culture le 14 février 2017. Production : Emmanuel Laurentin. Yves de Gaulle, le petit-fils de Charles de Gaulle, a publié en 2014, chez Plon, “Un autre regard sur mon grand-père, Charles de Gaulle”, où il évoque toute la formation intellectuelle et toutes les discussions qu'il avait avec son grand-père, lesquelles se passaient principalement à La Boisserie.
Source : France Culture
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