Je me suis réconciliée avec la géographie.
L'
atlas d'un homme inquiet, au joli titre, est un atlas bien particulier, il est vrai.
Quelque 70 nouvelles, comme les perles d'un collier baroque, enfilées- semble-t-il, de prime abord- sans le moindre ordre, toutes époques, tous continents, toutes tonalités mêlées...
Le seul fil conducteur apparent est constitué par une modeste anaphore au passé simple -le présent littéraire du passé- "JE VIS" qui , en tête de chaque nouvelle, donne l'illusion d'un témoignage objectif car visuel, et en même temps - voilà que je macronise! au secours!- d'une résurgence irrépressible et littéraire de la mémoire.
On passe de l'île de Pâques à la Muraille de Chine, d'un désert sud africain plein de sacs en plastique colorés à la chambre d'un blanc glacé, la cellule surveillée par une caméra et aux fenêtres condamnées, d'un hôpital psychiatrique autrichien isolé au milieu d'une forêt sauvage....
On revoit le tsunami de 2004, on ressent le tremblement de terre qui souffla d'un coup les lumières de la grande ville grecque de Kalamata..
Mais ce ne serait qu' un carnet de voyages artificiel, décousu et un peu vain - suite de miscellanées élégantes, album de voyages multiples arrachés à l'oubli par un chromo choisi,- sans la puissance spirituelle et philosophique des thèmes abordés, sans la concordance des liens invisibles entre les nouvelles, que l'on s'amuse à chercher, à saisir, , sans la subjectivité émouvante de cet atlas qui pas à pas, discrètement, avec pudeur, trace peu à peu le portrait d'un homme inquiet: l'écrivain lui-même.
Et tout ceci ne serait rien sans la magie hypnotique de la phrase,- longue, sensible, enroulée, pleine de détours, de retouches, d'apartés - qui essaie toujours de retrouver au plus près la sensation, le souvenir, de ne pas l'enjoliver, de lui garder son étonnante fraîcheur de fleur entre les pages d'un herbier, d'en redonner la force d'impact originelle...
Je reste touchée par une sorte de grâce- voilà que je me prends pour Claudel maintenant, ça va vraiment mal!- oui, n'ayons pas peur des mots.
Je viens de voyager longuement et lentement entre les pages d'une sorte de journal intime et universel à la fois- non, je ne dirai pas "en même temps"!- où il suffit qu'une petite soeur glisse sa main dans celle de son frère pour que chiens, orages et tempêtes de neige, étrangement convoqués dans la même scène de panique absolue, s'évaporent comme par enchantement, où les étoiles s'allument en même temps que les villes s'éteignent- ça y est, je l'ai encore dit!- où les arbres et les baleines ont plus d'humanité que les hommes, où le fleuve (de sang?) des Khmers ...rouges inverse son cours comme une image "luctable" du destin, où un petit enfant écrit sur les berges d'un lac tibétain toute la sagesse du monde, où le toit d'un grenier s'envole, dévoilant comme le couvercle brusquement enlevé d'une boîte diabolique, les trésors secrets de deux enfants...et les turpitudes de toute une nation, où... .
Mais il faut que j'arrête: faites vous-même votre moisson d'images, constituez votre propre album dans ce livre dépaysant et en même...( non! je résiste!) - et également familier, envoûtant et détaché, ironique et bouleversant.
Merci Booky, encore une fois, pour moi , à l'origine d'une belle découverte!