Heartstones
Traduction :
Solange Lecomte
ISBN : 9782253050032
Un roman court et l'un des plus inquiétants de son auteur. Elvira et Despina, dite Spinny, sont les filles de Luke et d'Anne Zoffany, lui enseignant notamment le grec et la théologie et elle, mère au foyer. Atteinte d'un cancer du sein ou de l'utérus (la chose n'est pas précisée avec netteté), Anne refuse la mutilation imposée par l'opération et préfère se laisser mourir. Les deux filles, quinze et treize ans, se retrouvent seules avec leur père dans l'immense maison tapie à l'ombre de la cathédrale. Une maison en vieilles pierres, qui rend bien leurs politesses aux gargouilles de l'église voisine, et lourde d'une sombre histoire de sorcière : au XVIème ou au XVIIème siècle, une jeune femme avait été accusée de ce forfait et condamnée à mort tandis que son "familier" - un chat - était tué et enterré sous les fondations de la maison que l'on s'apprêtait à bâtir. Deux ou trois autres histoires de fantômes viennent s'ajouter à cela mais, dès la mort de sa mère, Spinny affirme voir le fameux chat et entendre même une voix féminine qui l'appelle, elle, par son prénom, la nuit, aussi bien dans ses rêves que dans la réalité. Ses cris réveillent alors toute la maisonnée et un changement de chambre n'a aucun résultat positif.
Au premier abord, la famille semble avoir toujours été anticonformiste. C'est ainsi que les filles appelaient leurs parents par leur prénom et l'on ne tarde pas à se rendre compte que, en tous cas dans la première partie du livre, Elvira, flamboyante mais anorexique, nourrit envers Luke une espèce de "complexe d'Electre" ou alors "d'Antigone." Elle tient un journal, au style un peu alambiqué - c'est elle-même qui le dit - et suit des cours qu'elle prétend menés de façon extraordinaire dans un collège où Spinny la rejoint lors de la rentrée suivant le décès de leur mère. En dépit de son intelligence et de sa finesse d'analyse, le personnage paraît au lecteur assez peu sympathique, trop imbu de son importance et de ses qualités intellectuelles et certainement très narcissique.
Aussi ne s'étonne-t-on guère de sa réaction lorsque Luke annonce son prochain remariage avec une jeune femme qu'il a rencontrée à l'Université où il exerce, Mary Leonard. Aux yeux d'Elvira, ce mariage ne peut ni ne doit se faire. Et elle est prête à tout pour faire échouer ce beau projet.
De fait, visitant, avec l'accord du Doyen, la façade de la cathédrale alors en rénovation, Mary Leonard fait une chute mortelle. Mais voilà qu'Elvira, quoique intérieurement ravie, ne se rappelle vraiment ni avoir tranché quelques cordes çà et là, ni avoir poussé Mary dans le vide.
Luke, c'est compréhensible, tombe alors en pleine dépression et sa fille aînée mange de moins en moins. La fièvre apparaît, le délire et une sorte de coma tandis que son corps se recouvre peu à peu d'une espèce de fourrure blonde : c'est l'anorexie dans toute sa redoutable gloire - on notera au passage que Spinny, elle, présente l'autre face de la maladie, la boulimie - et elle se retrouve hospitalisée ...
Le traitement semble réussir et la jeune fille revient à la vie et au bon sens. Mais, du coup, en retrouvant les pages de son "Journal", elle a honte et se remet en question, ne comprenant plus ni les pensées, ni les agissements qu'elle avait couchés à l'époque sur le papier. En outre, côté mémoire, rien ne s'est arrangé, au contraire, mais, en parallèle, les écailles qui aveuglaient Elvira sur les qualités de son père, qu'elle voyait jusque là sans défauts, tombent et se dissolvent. Elle n'en arrive pas à le traiter de "beauf", surtout qu'il n'a pas raté son suicide mais on n'en est pas loin ...
Dans la seconde partie du livre, Elvira reprend son journal intime mais nous assistons alors à un effort sincère pour essayer de comprendre ce qui s'est passé. Et là, l'éclairage devient tout autre ...
La fin donne l'un des frissons les plus agréables que j'aie jamais ressenti en lisant ce type de littérature d'autant que, avec l'immense talent qu'on lui connaît,
Ruth Rendell parvient à maintenir le doute jusqu'au point final : chez qui la Folie est-elle véritablement nichée ?
Oui : chez qui ? Et pourquoi ? Et comment tout cela va-t-il réellement se terminer une fois que nous, lecteurs, aurons tourné la dernière page et abandonné les deux soeurs à leur destin ? ...
Lisez, vous verrez bien. ;o)