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EAN : 9782020043502
250 pages
Seuil (01/02/1976)
3.95/5   29 notes
Résumé :
La poésie moderne " enfonce " le monde et l'esprit pour y appréhender un sens enseveli. Elle naît de la profondeur multiple ; elle la mime, l'anime et l'opère, comme physiquement, par le jeu de son langage.
Ces essais, consacrés aux œuvres de Nerval, Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, s'efforcent de saisir un moment originel de la création littéraire. Ils tentent d'analyser les quelques bonheurs d'expression à travers lesquels tout écrivain découvre sa voix et ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Le livre s'intéresse à quatre poètes, Nerval, Baudelaire, Verlaine et Rimbaud. Je n'ai pas lu le chapitre consacré à Nerval, et n'ai presque aucun souvenir de celui sur Verlaine, lu il y a quinze ans.

Jean-Pierre Richard propose une sorte de phénoménologie poétique cherchant à montrer, à travers les écrits de ces poètes, leur vision du monde et la façon dont la poésie parvient à la retranscrire, à travers leur appréhension de la profondeur (y a-t-il quelque chose, une essence, à rechercher derrière la surface des choses ? comment combler la distance entre les choses, les êtres ? etc.)
Cette démarche repose sur une analyse très minutieuse des images récurrentes et une grande subtilité dans l'étude du vocabulaire : par exemple, Richard distingue, au sujet de Baudelaire, éclat et splendeur, celui-ci trop violent, celle-là qui laisse percevoir une profondeur cachée mais voilée.
Ainsi, Richard souligne les obsessions de Baudelaire pour la profondeur, l'approfondissement qui creuse les choses, mais en même temps la hantise du gouffre, de l'abîme qui sépare les êtres et les choses, et son goût de la ligne sinueuse ou des parfums (émanation issue de la profondeur des choses) qui les réunissent. Mais il montre aussi l'unité entre la poésie de Baudelaire et ses théories sur l'art, notamment l'idée que les correspondances bien connues ne sont pas seulement plaisirs raffinés d'esthète, mais une façon de donner une unité au monde, de faire résonner une harmonie universelle.
De Rimbaud, Ricard s'intéresse surtout aux Illuminations, et montre peu d'intérêt pour les Poésies, car selon lui elles n'ont pas encore une forme aboutie, et le recours fréquent à la scatologie, à la vulgarité, est une façon pour Rimbaud d'invalider ses propres illuminations, de s'empêcher d'être tout à fait Voyant. Cependant, Ricard montre aussi une profonde unité dans son oeuvre, fondée sur l'idée, un peu adolescente, de jaillissement, d'élan spontané hors de soi qui fait du Je un Autre. L'on comprend dès lors l'intérêt de Rimbaud pour la route (ligne droite) et les métamorphoses. Mais comment appréhender une réalité devenue autre ? Richard, après avoir affirmé la réussite de Baudelaire, conclut à l'échec de Rimbaud, qui explique sa renonciation à la poésie. En effet, il n'est pas parvenu à « changer le monde », si ce n'est dans sa poésie-même, qui en fait le premier poète moderne.

Ces essais ont été pour moi une lecture éclairante ; ils m'ont semblé mettre des mots sur certaines de mes propres impressions de lecture, tout en fournissant une analyse stylistique rigoureuse permettant de les justifier.
C'est cependant à mon avis une lecture exigeante, qui nécessite une bonne connaissance préalable de l'oeuvre de ces poètes, d'autant plus que les références aux poèmes et les notes de bas de page sont imprécises et renvoient à des éditions anciennes.
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J'avais évidemment travaillé sur les parties consacrées à Baudelaire et Nerval mais j'ai là trouvé celles consacrées à Verlaine et Rimbaud très intéressantes.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Reste [chez Baudelaire] le choix du virtuel : arrêter l'intensité en elle-même, faire que la puissance soit toujours en puissance, et ne succombe jamais à la tentation de l'acte. L'intense s'y replie sur soi ; il s'assoupit dans la conscience d'une vigueur intacte et à chaque instant mobilisable ; il s'entretient et se préserve dans l'imagination jamais réalisée d'une intensité future. C'est l'amour des navires à l'ancre, pleins de promesses de voyage, des femmes endormies, riches de réveils érotiques, de chats surtout, "puissants et doux", aux griffes enfoncées, aux "reins féconds, pleins d'étincelles magiques", et en qui sommeille une terrible détente :

Retiens les griffes de ta patte...
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s'enivre du plaisir
De palper ton dos électrique...

La virtualité s'incarne exactement dans la félinité : rien ne s'y accomplit mais tout, souplesse de la chair, énigme du regard, électricité de la pelure, annonce que quelque chose pourrait, va se produire. La paresse semble y mûrir le bond. L'intense y est doté d'une beauté conditionnelle ; il enrichit le réel de toute l'élasticité du possible ; c'est demain que la vraie vie commence : aujourd'hui appartient au seul loisir.
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Autour des objets les plus opaques, les plus neutres, l'exaltation lyrique va étendre une limpidité merveilleuse qui éclairera comme par contagion leur transparence intérieure, et qui les rendra perméables à tout un jeu d'associations et de significations nouvelles. Point ici d'objet privilégié ; c'est l'insignifiant qui se creuse, qui incarne soudain « toute la profondeur de la vie » et qui en devient le « symbole ». « A travers le milieu magique de la rêverie », dans «les épaisseurs transparentes » de l'opium ou du langage, s'opère alors cette ouverture réciproque des divers objets du monde qui fait de tout grand poème baudelairien une véritable annonciation sensible. Mots, rythme, images, sentiments, tout y devient poreux, résonnant, translucide. Tout s'y charge d'échos, s'y échappe et s'y rejoint en tout ; et tout s'y déroule dans ce climat de solennité qui distingue pour Baudelaire la grande poésie. C'est la noblesse d'une opération sacramentelle, d'un déroulement magique, d'une harmonie en train de naître, d'une unité sensible en voie de construction mais qui ne peut sans doute se réaliser pleinement qu'une fois le poème achevé et dans le parfait silence où il s'anéantit. Le poème est alors comme un brouillard qui se dissipe, comme une opacité qui se finit en transparence. Mais cette fin est aussi un dépassement : la grande poésie a, nous dit magnifiquement Baudelaire, la démarche lente des grands fleuves « qui s'approchent de la mer, leur mort et leur infini ».

(« Profondeur de Baudelaire »)
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C’est ce même moment, cette même fulgurante naissance de la pensée à elle-même que décrit aussi la fameuse lettre du Voyant : « JE est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute… » Un autre, on ne sait comment issu du JE, mais qui « bondit » d’un seul coup de la profondeur intérieure sur le « devant de la scène » et l’emplit de sa frénésie. L’ancienne, la morose unité du moi éclate soudain et se métamorphose en une multiplicité véhémente. Et dans le même mouvement les choses se libèrent aussi ; elles échappent à l’empire de l’habitude ou de la raison ; elles jaillissent et s’éparpillent aux quatre coins d’un ciel tout neuf.

("Rimbaud ou la poésie du devenir")
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Le pessimisme fantastique de Poe débouche donc sur un optimisme de la raison qui le situe, dans l'échelle des déchiffreurs d'énigmes et des explorateurs de mondes, tout près de ces deux autres pionniers de l'invisible que furent Jules Verne et Conan Doyle. Poe les dépasse seulement par le caractère métaphysique de son ambition : toute son œuvre, écrit Baudelaire, est emportée « dans une incessante ascension vers l'Infini », « une entraînante aspiration vers l'Unité », un mouvement passionnément rationnel qui voudrait toujours dépasser la diversité des probables, et découvrir, au fond du gouffre des possibles, le point fixe où gît l'unique vérité.
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Une seule rêverie consolante, celle de l'orage – "Eau, quand donc pleuvras-tu ? Quand tonneras-tu, foudre ?" – réussit à réunir en elle le double désir d'une irrigation par l'eau et d'un réveil par le feu. Et ces deux rêves apparemment contradictoires ne traduisent au fond qu'une seule nostalgie, celle d'une fécondité intacte, ou, pour user du vocabulaire baudelairien, d'un luxe intérieur retrouvé.
Ce luxe existentiel, nul doute que la "vaporisation du moi" ne le compromette dans la mesure même où elle le manifeste. Toute expression est aussi une diminution.

(« Profondeur de Baudelaire »)
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