Du premier roman de l'auteure,
Special K, j'avais trouvé - et écrit - qu'il était un "roman policier profondément singulier".
Après lecture de son petit frère, je crains de ne pas beaucoup me renouveler sur le fond : je pourrais dire exactement la même chose de
Vena Amoris. En fait, je pourrais reprendre toutes les qualités citées pour le premier opus (soin particulier apporté à l'écriture, développement des personnages secondaires comme on le rencontre rarement dans le polar, langueur descriptive, ...) et y ajouter quelques plus-values qui s'esquissaient déjà dans
Special K, et s'imposent désormais pleinement dans ce deuxième (et on n'espère pas second !) tome.
Je ne suis pas spécialement fan du cadre rural et provincial pour les polars, lui préférant la noirceur et le bruit du milieu urbain, mais ici la plongée dans les marais de Brière, plus vraie que nature, permet de reprendre son souffle, une bouffée de nature et grands espaces pour mieux encaisser sur la longueur (car le roman est d'une taille non-négligeable) un récit aux scènes parfois douloureuses. Cela offre au lecteur une respiration très agréable, renforcée par l'amplitude que l'auteure donne à son style.
Comme c'était déjà le cas pour son ainé, ce cadet propose une enquête impeccablement menée bien que présentée de façon non-linéaire, aux rouages et enjeux encore plus tortueux et diaboliques que la précédente. Même si les nombreuses digressions sur les personnages pourront perturber les puristes les plus indécrottables du polar (dont je ne fais définitivement pas partie, donc joker sur ce point), personne ne pourra reprocher à l'auteure un manque d'application quant à la crédibilité de l'intrigue, tant dans son déroulement qu'à propos des procédures décrites. Les thèmes scientifiques (la reconnaissance ADN) se mèlent aux questionnements sociétaux (l'insémination artisanale, le droit ou le non-droit biologique à la parentalité...) et s'articulent dans un ballet de connaissances qui fait que ce roman n'est pas qu'un divertissement : la fiction devient alors prétexte à pédagogie, ou réinvestit tout simplement des questionnements de la vie. On en revient à la fonction première de la littérature noire, sans le côté pontifiant d'un docu société... Pour autant,
Vena Amoris n'est pas un pensum, reste neutre et non-jugeant quant aux thèmes qu'il aborde grâce aux fils tenus par une palette très éclectique de personnages. Tous sont différents mais tous sonnent justes, à commencer par les secondaires, sur lequel un formidable travail est encore réalisé. Et puis il y a Céleste...
Je dois avouer que c'est surtout sur elle que j'attendais l'auteure au tournant, n'ayant pas du tout accroché avec elle dans
Special K et regrettant la distance qu'elle renvoyait, impénétrable. Cette fois, au travers d'une intrigue secondaire, qui ne prend jamais le pas sur l'enquête principale, mais la rejoint intelligemment,
Céline de Roany nous permet de la découvrir plus intimement, au sein du couple de mamans qu'elle forme avec sa compagne Marie et dans ses tourments les plus profonds, et de mieux la cerner... même si elle reste un personnage très ambivalent et porte en elle quelque chose de très sombre qui n'est ni feint ni artificiel, loin des caricatures de flics torturés jusqu'aux tréfonds de leur âme, à tel point qu'ils ne cherchent plus à laisser rentrer la lumière. Ce qui la rend quelque part (certes un peu moins) antipathique à mes yeux fait d'elle un personnage principal intéressant car non-manichéen et qui, même si on ne l'apprécie pas, nous entraîne à sa suite. Dans
Vena Amoris, je retiendrai sa position dans une scène d'une injustice effroyable, qui me tiendrait scotchée à partir du milieu du roman et aurait pour effet de ne plus me relâcher avant la dernière ligne. Avec ce deuxième opus, une partie de moi s'est bel et bien sentie connectée et en empathie avec elle, alors que je ne l'apprécie pas particulièrement. Sacré tour de force...
Tout est quoi qu'il en soit cohérent. La psychologie de Céleste et ce qu'elle reflète rejoignent finalement le style de son auteure qui, il est vrai, privilégie toujours la technicité à l'émotion, parti pris utilisé à bon escient. L'écriture de Céline de Roany, toujours aussi chiadée, a aussi basculé sur un mode plus "binaire" : douce et prolixe de bout en bout auparavant, elle alterne désormais avec plus de brutalité, gagnant en puissance sur la longueur.
En bref, j'ai passé un très bon moment de lecture et ne doute pas que ce sera également le cas si suite il y a... mais suite il y aura, n'est-ce pas ? ;)