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EAN : 9782851948205
53 pages
Fata Morgana (19/01/2012)
5/5   3 notes
Résumé :
C’est d’une perfection simple et noble : comment, devant elle, ne pas songer irrésistiblement à Poussin ? Ce rappel semblera peut-être singulier. Que de fois pourtant il s’est imposé à moi devant tel ou tel thème que proposait un paysage du Jorat ! On ne peut ne pas rêver à quelque Orphée, à quelque Phocion refaits ici «sur nature», comme Cézanne l’eût souhaité, rêve dont rien encore, hélas, n’annonce l’exaucement.

Si l’œuvre poétique de Gustave Roud ... >Voir plus
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Dépassé le haut seuil où les eaux dans la ténèbre des forêts hésitent encore entre deux pentes opposées, qu’il est beau de voir peu à peu le paysage sortir de ses limbes obscurs, les sapins refluer vers les crêtes, les fermes et les villages apparaître, les jardins, les prairies et les froments! Cela se fait d’une manière insensible et douce. Les Cullayes, Montpreveyres sont pris encore à demi dans la gangue obscure, mais au long de notre descente vers le nord, tout s’allège et s’éclaire, et Mézières atteint, on peut dire que le Jorat tout entier a retrouvé un sens. Un rythme est né, un grand rythme pur et nu que tout épouse sans contrainte: la descente parallèle de trois vallons qui se rejoignent devant l’étroit resserrement de Moudon, puis sinuent, fondus en une seule vallée, jusqu’au seuil de la plaine payernoise, là-bas au bord du ciel. A la monotonie accablante, comme stagnante, du pays désordonné de tout à l’heure succède une vaste étendue dessinée, construite, orientée, heureuse, humaine, où le regard et les eaux retrouvent leur pente, un piège mélodieux, inépuisable, car ce thème fixe et comme essentiel, les saisons, les mois, le jour, l’heure même le parent indéfiniment de leurs changeantes sonorités.–
Mieux qu’à Mézières encore, c’est du faîte des hauteurs proches que l’on peut découvrir et goûter dans toute son ampleur cette musique de l’espace, cet immense accord né d’une terre et d’un ciel. Ici, sur cette épaule de colline au-dessus de Vucherens où nous sommes, on tient sous le regard un cercle immense d’horizon et l’on est pris en même temps dans ce lent mouvement de descente et de fuite des terrains. Double fête indéfinie – pour les yeux d’abord, puis pour tout l’être peu à peu, corps et âme, car la perfection de ce piège rythmique use d’un charme sans violence, mais dont la contagion n’opère que plus infailliblement. C’est un enchantement de même nature que celui que dispensent l’Orphée ou le Phocion de Poussin, telle fugue, tel mouvement d’un brandebourgeois de Bach. Grâce à lui, nous retrouvons au plus profond de nous-même notre temps essentiel, ce battement mystérieux sur quoi le sang et la pensée accordent le leur: nous rejoignons notre être originel dans sa plénitude paradisiaque presque toujours rompue, voilée, offusquée par les aveugles assauts du quotidien. Et si ce charme est sans violence, c’est que les formes et les rythmes dont il naît sont eux-mêmes tout proches de l’humain. De ce lieu où nous sommes (il s’appelle » la Croix » mais il n’y a plus de croix, un seul pommier que l’on voit de très loin se peindre en noir contre les longs crépuscules rougeoyants de l’automne), si l’on suit la descente vers Moudon de l’autre versant du val, on voit, oui, c’est comme une suite de beaux corps étendus, avec des inflexions qui reprennent et transposent au bord du ciel celles du corps humain, d’une molle hanche, d’une gorge ou d’une épaule, inflexions soulignées ici et là par un bref trait sombre de forêts. Les seules violences de rythme, ce seraient les montagnes qui pourraient les introduire dans ce paysage magique, mais elles sont très loin là-bas à l’horizon, adoucies par la distance et comme humanisées au fond du gouffre d’air transparent où elles baignent.-
C’est là, sur cette épaule de la Croix, que les plus beaux froments lèvent et mûrissent, car tout ce versant de colline est d’une riche terre à blé. Et la moisson y semble, elle aussi, plus belle qu’ailleurs, car elle s’y fait à hauteur de ciel : sur le char de gerbes, le moissonneur qui les échafaude plonge en plein, comme un grand nageur à la tête ruisselante, dans le bleu épais et sombre de cette mer aérienne. Et le faucheur qui y abat les seigles les taille en plein azur, comme une moisson du paradis.-
Ce faucheur, sa maison est toute proche… Pourquoi ne gagnerions-nous pas maintenant ce lieu très aimé, cette haute ferme solitaire dont le faîte flambe comme un feu de tuiles entre les cimes des noyers, sous le dôme d’argent d’un tremble que l’automne vient dorer comme du miel? Il n’y a qu’à reprendre à travers champs le chemin aux profondes ornières, rouge par places d’une tuile écrasée, où sur les deux rives les sauterelles bondissent parmi les touffes de cumin sec et les scabieuses tachées de petits papillons fauves. Et tout de suite nous voici sous les noyers, dans une lumière d’aquarium où brûle, tout au fond de l’avenue, le bouquet multicolore d’un vieux jardin.-
Certes, l’amour des fleurs existe ailleurs qu’au Jorat; et l’on trouve ailleurs aussi, sans nul doute, de ces jardins paysans ou vignerons qui dès la fin de l’hiver jusqu’au premier gel vous proposent chaque jour avec une simplicité non jouée, un naturel inimitable, une fête de couleurs aussi personnelle qu’un visage humain ou une voix. Mais celui-ci, que de fois, penché sur sa barrière entre deux rosiers de vieilles roses mousses, n’ai-je pas essayé de surprendre son secret ! Et pourtant la vive paysanne au parler savoureux qui le soigne ne peut avoir, elle, d’autre secret que son goût profond pour les fleurs, mais d’où vient alors qu’elle ne puisse faire voisiner deux plantes sans créer aussitôt un accord inattendu et charmant? En avril, au-dessus des violettes et des hépatiques (qu’on appelle joliment ici des filles avant la mère parce que les fleurs viennent avant les feuilles) joue le pâle jaune du jasmin à fleurs nues; puis le poirier du Japon rose avec le bleu de la bordure de myosotis. Le carré de tulipes – l’ancienne tulipe à calice étroit, parfaite, et dont on n’arrache pas les bulbes en automne – chatoie dans le soleil comme un grand fichu de soie à ramages. Et les très vieilles roses venues de France aux anciens temps, celle de Provins, la rose capucine, la toute petite, une pâquerette à peine, qu’on appelait le pompon Saint-François, se mêlent, mais toujours musicalement faudrait-il dire, aux roses récentes, aux corymbes énormes des églantiers américains. Rien ne semble voulu : cette constante réussite naïve éclate comme un défi aux soucieuses harmonies machinées par les jardiniers. Et c’est la maison maintenant qui nous accueille, dégagée des feuillages, avec l’arche haute de son pont de grange qui enjambe le chemin. Le banc nous attend près du seuil, au bas de la façade où la vigne vierge en torsade épaisse découpe ses festons de feuilles sur le mur de neige pure. Que d’heures ici passées au long du temps! Pourquoi ne remonterions- nous pas à travers les ans vers la plus belle, celle que seule pouvait nous donner cette chose de plus en plus précaire et menacée et qui – dans ces régions du moins – irrémédiablement agonise : le dimanche paysan ?-
Il y a dans une lettre d’Alain-Fournier un passage parmi les plus déchirants qui se puissent. Fournier écrit à ses parents d’un bourg de la Sologne où d’exténuantes grandes manœuvres l’ont amené. Avant de venir ici, leur dit-il, nous sommes entrés à deux dans une cour de ferme demander du lait. Le village, pourtant, n’était que quelques toits dans un bouquet d’arbres au milieu de l’horrible plaine brûlante ; mais appuyé à la commode, entre la huche et la grande pendule, je sentais tout le grand calme du dimanche paysan m’envahir. Calme, fraîcheur, repos. N’est-ce pas ainsi que nous finirons tous notre vie?-
Et qui de nous ne s’est écrié ainsi? Qui de nous n’a senti au profond de lui-même ce désir jamais exaucé? Laissons-nous envahir à notre tour par ce calme et ce repos, sur le banc de ferme, au bord de la route fraîchement balayée où le balai a dessiné de grands arcs dans la poussière, comme une faux. Notre ami le faucheur sort du jardin où il surveillait ses ruches (car c’est le temps des essaims) et vient s’asseoir près de nous. Son fils qui s’ébrouait là-bas au-dessus du bassin dans un grand bruit d’eau froissée et de soupirs se redresse et jaillit hors de l’ombre, longe le pavé, s’arrête, bâille et sourit dans le soleil, lavé de toute fatigue, pur et nu comme l’Adam du sixième Jour. Il s’adosse à la barrière, un bras replié sur son fauve gonflement, l’arc d’un églantier en fleur à son épaule comme un tendre bras de chair, et sa poitrine profonde, luisante sous les coulures d’eau, d’ombre et de lumière boit la première gorgée d’air du monde nouveau-né. Juin va finir ; les foins sont finis ; la faucheuse dort sous l’arche du pont, rouge et bleue. Un chat passe au chemin, tout aussitôt frôlé de furieuses hirondelles. La cloche d’une chapelle sonne, puis deux, puis trois. Puis elles se taisent, et l’on entend de nouveau la fontaine sous le tremble et tout à coup, dans la touffe du cerisier proche, un rauque roucoulement de ramier. C’est un dimanche matin d’autrefois, l’heure épanouie comme une rose parfaite que le soleil va lentement brûler – cette heure qu’en vain nous chercherons désormais de ferme en ferme, de village en village, et qui n’aura bientôt plus qu’un seul refuge: dans notre cœur.
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La route noire, mate ou luisante, laquée par la pluie ou liquéfiant le paysage sous le soleil comme un sombre fer brûlant, n’est plus celle de jadis où boitaient, buvant la poussière d’une lèvre sèche, les rôdeurs aux sourcils, à la moustache feutrés de farine comme des meuniers. Les fleurs d’août restent fraîches, l’herbe riveraine est pure. Mais le voyageur poursuit sur cette nappe insensible une course malaisée. Quelque chose l’isole du monde, qui ne fait plus corps avec lui. Le bleu d’acier, le violet vulgaire, le noir sans richesse que sa semelle touche sont morts. Pour toujours a disparu cette chose frémissante où posait son regard sans pensée : la route ancienne sous le gel comme une dalle de marbre où le matin versait brutalement un flots d’ombres éclatantes ; la route après l’averse, grêlée comme une peau ; la route sous l’orage de mai où l’on enjambe des flaques de pétales, neige et rouille ; la route de novembre, quand le talon crève avec un cri rauque la creuse glace des ornières ; la route qui vivait.
[…]
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Cela ressemble au tumulte sonore des instruments d’orchestre avant le chef à son pupitre. Ici un pan de colline bref comme un trait de flûte; là le coup de trompette écarlate d’un toit de ferme, le sombre maugréement d’une tâche de sapins-violoncelle. Paysage incertain, paysage hésitant : des notes, et nulle mélodie; des mots, mais aucune phrase. Un vrai paysage est un piège. Ici nous ne sommes jamais pris. On le sent, cette région où les eaux entre le nord et le midi balancent, cette région n’est qu’un seuil. Il doit être franchi. Au-delà commencent l’accord et le concert, au-delà se déploie cette ample symphonie qui, elle, saura faire de nous, et pour toujours, peut-être, ses prisonniers.
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Double fête indéfinie – pour les yeux d’abord, puis pour tout l’être… Nous rejoignons notre être originel dans sa plénitude paradisiaque presque toujours rompue, voilée, offusquée par les aveugles assauts du quotidien. (…) … si l’on voit la descente vers Moudon de l’autre côté du val, on voit, oui, c’est comme une suite de beaux corps étendus, avec des inflexions qui reprennent et transposent au bord du ciel celles du corps humain, d’une molle hanche, d’une gorge ou d’une épaule, inflexions soulignées ici et là par un bref trait sombre de forêts…
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S’adosser. Selon les choses contre quoi le corps s’appuie, des pensées mortes ou vivantes en lui peuvent apparaître. Une moitié de moi-même épouse la terre et l’herbe, l’autre le tronc d’un jeune cerisier. Je sens battre la sève sous l’écorce comme du sang et les cerises parmi les feuilles prendre pulpe et saveur comme des pensées. Nos deux ombres sont confondues. Les mains de l’arbre vont caresser là-bas l’étendue de foin léger, ma couronne de feuillage joue avec les fumées de la route. Il faudrait la bêche, la pelle, la hache pour m’arracher.
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Vidéo de Gustave Roud
À l'occasion de la parution des oeuvres complètes de Gustave Roud aux éditions Zoé, découvrez la vie, l'oeuvre et le pays de ce grand poète suisse.
Avec Daniel Maggetti, co-directeur des oeuvres complètes de Gustave Roud, Bruno Pellegrino Ecrivain, chercheur en littérature de langue française, Claire Jaquier, co-directrice des oeuvres complètes de Gustave Roud
Retrouvez la collection : https://www.mollat.com/livres/2653451/gustave-roud-oeuvres-completes
Note de musique : © mollat [Winterreise] 7. Auf dem Flusse (On the River) © Youtue Audio Library Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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