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EAN : 9782020612586
460 pages
Seuil (05/09/2003)
4.23/5   11 notes
Résumé :

Frédéric Rousseau raconte la Grande Guerre comme on ne le fait pas d’ordinaire : à hauteur d’homme. Une question centrale s’impose à nous, quatre-vingts ans plus tard : comment ont-ils fait ? Comment ont-ils tenu ? Contre les interprétations vertueuses mettant trop facilement l’accent sur le patriotisme, l’auteur avance des explications plus terre-à-terre mais plus authentiques. Les « poilus » ont tenu — du moins ceux qui ont survécu à l’immense massacre... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'auteur est un historien, et a donc traité son sujet avec rigueur. Quel sujet ? Sa problématique repose sur une chose : comment les soldats européens, entraînés dans un terrible conflit, ont-ils tenus ?
Car pour l'auteur, un des aspects les moins traités est le moral des soldats. Ce qui implique pour le connaître de lire leurs correspondances, leurs journaux intimes et leurs romans. L'auteur va tout passer en revue, la bibliographie est bien fournie. Il rappelle bien qu'un soldat, pour l'armée, ça se dresse. Ce n'est plus un citoyen, pour les armées de ce temps, mais un outil faisant la guerre. le soldat est déshumanisé.
C'est une des premières choses que la plupart ont dû mal à vivre, n'être traité que comme du bétail. C'est une caractéristique très forte chez les Français, éduqués dans le culte de la République et de l'égalité entre les citoyens. Or, à l'armée, un soldat ne vaut pas un officier. Au-delà du grade de capitaine, l'officier est nettement moins exposé au feu. le corpus littéraire de l'auteur a de nombreux écrits de sous-officiers, ou d'officiers, n'allant pas au-delà du grade de capitaine (comme un certain De Gaulle). le besoin d'écrire des combattants leur permet d'exorciser leur quotidien. Et par le courrier, ils conservent le lien avec leurs proches, avec le monde de l'arrière, le monde normal. Cela implique plusieurs choses dans l'étude : les soldats savent que la censure peut les lire, les soldats se veulent souvent rassurant pour leurs proches, enfin ils sont assez patriote dans leur courriers. Pourquoi cette dernière précision ?
Car ce sens du devoir est cultivé par la propagande à l'arrière, et s'il ne veut pas être incompris des siens, le soldat doit leur parler de ce qu'ils peuvent comprendre. Ce qui explique aussi la grande difficulté de dire l'indicible : l'horreur des combats. Notamment, les cas où un soldat relate avoir tué un ennemi, décrit même ce combat, son peu nombreux. Il y a un tabou à parler des tueries, du meurtre. le soldat à besoin de cette correspondance, et il la garde avec elle et meurt avec elle : après la bataille, les paquets de lettres s'envolent.
Le soldat a besoin d'être informé, et il souffre énormément d'être conduit à l'aveugle, recevant ordres et contre-ordres (les pires moments sont lorsque l'heure de l'attaque est retardée, et que l'on attend…). le soldat est conscient des besoins du secret de l'état-major, mais il ne supporte pas qu'on ne lui dise absolument rien. Surtout quand se sont des hommes faits, détestant être infantilisés. Pourtant des hommes comme Joffre insistent auprès de leurs officiers pour qu'ils causent à leurs hommes, on sait que le moral est important. Rommel note que des hommes informés d'une situation périlleuse donnent souvent le meilleur d'eux-mêmes au lieu de chercher à fuir, comme on semble trop souvent le croire. Fuir, le soldat le souhaite pourtant : fuir les massacres, cette mort sans gloire, brisant tous les mythes de la guerre. Alors on maintient le soldat sous oppression : on fusille les déserteurs (on hait le gendarme qui ratisse derrière les lignes), et surtout, en plein combat, on tire sur ceux qui fuient. Comment tiennent-ils ? Que par la peur des sanctions ?
Les soldats attendent beaucoup d'un chef, leur chef : c'est une lourde responsabilité. Qu'ils ne se montrent pas digne, et on l'abandonnera blessé sur le champ de bataille. Pourtant le courage est là. C'est dû au sentiment national, un fervent patriotisme ? C'est plutôt l'orgueil, l'esprit de corps : on tient pour les camarades, on lutte pour que les morts ne soient pas tombés pour rien. On se sait toujours sous le regard d'un autre. On ne veut pas être un lâche. Surtout qu'un lâche, un planqué, personne ne l'aidera en cas de problème. Pour survivre, le soldat à besoin de son groupe. Ce qui rend les deuils des camarades encore plus durs. Et la religion ?
On assiste nombreux aux messes, mais c'est pour le spectacle, et voir des femmes. Car la peur semble plus forte que la foi. On a peur, tout le temps, surtout la nuit : on s'oublie sur soi, on claque des dents, etc. Mais la peur, du moment que l'on fait face, fait le poilu, affranchit le bleu. N'importe qui peut craquer, même Jünger, pourtant apologue de la guerre. Ceux qui ne peuvent surmonter leur peur, qui se réfugient dans le mutisme, se coupent du monde, la médecine les réveille à grands renforts d'électrochocs.
En Autriche, il y aura tout un procès, où Freud viendra prôner la psychanalyse plutôt que l'électricité. Car le résultat, tous les médecins en conviennent : un type requinqué à coup de jus n'est plus en état. Il va remonter en ligne, mais la peur de l'hôpital va céder devant la peur du front.
L'auteur relate les cas de soldats pétant les plombs, ou courant au suicide, voir se suicidant : la vie du soldat n'est plus une vie, ils choisissent la mort. En plus de la peur d'être tué, il faut rappeler que c'est une guerre de charnier : il y a des cadavres partout, on creuse parfois des abris sous des cimetières de fortunes… Il n'y a plus d'hommes, plus que des charognes, des rats, des corbeaux et des mouches. Et les blessés gémissent, pleurent.
La guerre use. Si un soldat maintenu au front acquiert l'expérience et la connaissance du terrain, il s'épuise physiquement. le soldat attend sa permission, quand elle est reportée c'est terrible. le soldat se plaint des exercices réguliers en permission. Car l'état-major à peur que les hommes prennent goût à la paix, on les dégoûte du repos, à les fatiguer même. Pourtant, il faut bien reprendre des forces.
Dans sa déprime le soldat pense aux femmes. L'absence, l'abstinence est cruelle. On idéalise les femmes que l'on connaît, inversement on méprise la putain qui se donne, qui assouvit le soldat. Car si on se bat pour les femmes, orgueil masculin, elles sont aussi des planquées. La prostitution, on n'a que peu de documents militaires… mais beaucoup de témoignages de médecins. Car les maladies vénériennes déciment les troupes. Mieux, les gars cherchent les filles infectées, payent plus chers, pour qu'on les envoie à l'hôpital. La maladie vaut mieux que le front. Alors les armées organisent des bordels, où ils vérifient les filles, tout en faisant la chasse aux prostituées clandestines (surtout dans les gares, où l'attente est longue). Pourquoi y a-t-il autant de femmes qui se vendent : la misère.
La guerre fragilise le tissu social, celle qui viennent glaner quelques sous comme lavandières, ravaudeuses auprès des deuxièmes lignes, ne gagnent pas assez. Les jeunes soldats se dépêchent de perdre leur virginité, ils ne veulent pas mourir sans avoir connu de femmes. Mais le drame de l'éjaculation ante portas est récurrent. Car on attend en longue file devant la porte. Les femmes ne sortent pas grandies de la guerre, car les hommes au front n'en sont devenus que plus brutaux. Si le ton de l'auteur est parfois trop enjoué quand il parle de l'intérêt d'entretenir le moral du soldat pour le garder combatif, il compatit tout de même aux horreurs.
Et une chose est certaine : ce n'est pas l'amour de la patrie qui a fait tenir ou fait gagner. C'est le besoin de survivre coûte que coûte, notamment à l'encontre d'un dressage inhumain.
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Comment ont-ils tenu? La question est centrale : quatre ans de boucherie, des morts par millions, et jour après jour, ça continue. Cela semble absurde. Première réponse évoquée : le patriotisme. Mais une notion aussi abstraite que celle de patrie ne suffit pas pour affronter la mort au quotidien. Il faut autre chose. Les témoignages recueillis dans ce livre écornent le mythe. Si les hommes ont tenu, s'ils ont accepté de faire la guerre si longtemps, c'est d'abord parce qu'on les y forçait. Celui qui hésitait était un homme mort : procès expéditif ou exécution sommaire, voilà son sort. Mais la coercition ne suffisait pas pour tenir. La dépression, la folie et le désespoir rôdaient dans les corps des camarades tués. Si on continuait le combat, c'était aussi pour eux, pour que leur sacrifice n'ait pas servi à rien. Mais les nobles sentiments flanchaient eux aussi. Pour continuer quand même à affronter le front, il restait deux drogues, l'alcool et les putes. Loin de l'héroïsme traditionnel, ce livre montre que l'ensemble des armées européennes abusaient de mauvais alcool pour se donner un semblant de courage. Il montre aussi que les hommes, que leurs chefs n'avaient pas pu réduire au rang de bêtes de somme, devait satisfaire leurs pulsions. Partout pullulèrent les bordels de campagne, les files d'attentes, l'expédition de la chose, la syphilis. Bref, si les hommes ont tenu, c'est parce qu'ils étaient des hommes, avec tous les hauts et les bas que cela implique. La guerre les a transformés, les a détruits, les a marqués à vie, mais elle ne les a pas déshumanisés. Faut-il s'en réjouir?
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