Le titre annonce la couleur :
Frédéric Saenen a choisi de nous raconter son enfance, son enfance unique, son enfance d'enfant unique, « ce bruit de fond de toute une vie », ces racines, plantées dans un drôle de terreau invisible qui furent l'amont de son existence, son temps, son ancien monde.
Plantons le décor : un petit pâté de maisons ouvrières au pied d'un terril dans une ruelle en cul-de sac de Grâce-Hollogne en Belgique, un paysage d'ancien crassier du charbonnage La Vieille Montagne où la nature a repris ses droits depuis longtemps. Un fief de petits pensionnés où tout passe, sauf le temps. Frédéric est né là et porte le même prénom et le même nom que son grand-père. Enfant d'une fille-mère, fils d'un absent, un « macaroni » qui l'a jeté là dans le grand débarras de la vie, il sera élevé certes par sa mère, mais surtout par ses grands-parents, ce « couple d'aieux qui aujourd'hui hantent sa mémoire, l'accompagnent en spectres bienveillants et le flanquent invisiblement du pas de leur démarche chancelante de vieux anges ».
Sept ans en 1980, huit ans en 1981, neuf ans en 1982, dix ans en 1983… les années s'egrennent au fil des pages avec leurs lots de souvenirs, d'odeurs, de bruits impossibles à traduire en onomatopées, de couleurs inqualifiables parce que passées par le filtre de la mémoire, de rituels comme autant de ponctuations minuscules, mais cruciales des jours, des soirs et des heures.
Frédéric Saenen les raconte dans une langue magnifique, la sienne, mais à laquelle il mêle sa langue première, le wallon, celle qu'il n'utilise plus, mais dans laquelle il fut en immersion totale au moment où son cerveau d'enfant fonctionnait comme une éponge. Et l'on se régale et l'on se replonge à notre tour dans notre propre enfance parce qu'ici et là, des bribes de souvenirs, des expressions, des matières, des chansons, des feuilletons frappent à la porte de notre mémoire, se faisant les échos d'un passé qui tout à coup remonte à la surface.
Il y a dans ce livre de très belles pages, que l'on se plaît à reprendre pour écouter la musique que les mots y font. Une symphonie de sons qui racontent le parcours d'un enfant grassouillet, aimé, cajolé, arrivé comme un don suite à un abandon de père et qui résonnent au plus profond de chacun de nous. Enfance unique ? Peut-être pas tant que cela…