Innocent et Innocent Rouge furent deux séries un peu hors norme et dont la longueur s'est étalée sur plusieurs longues années pour l'auteur. Il n'était peut-être donc pas facile pour lui de trouver comment conclure sans trahir son oeuvre et il s'en est globalement fort bien tiré, conservant toute la puissance métaphorique qu'il y avait insufflée.
Quand on découvre ce 12e tome, la première chose qui frappe, c'est sa couverture rouge sang, comme les sombres heures de la Révolution qui vont être au coeur de cet ultime page du récit. Pourtant, l'auteur ouvre sur un ton qui se veut faussement léger. S'étant pris au jeu de la métaphore temporelle et du déplacement du récit dans notre monde, il montre au potentiel lecteur lycéen japonais le parallèle (discutable, certes) qu'il y aurait à faire entre la situation de
Marie Antoinette en 1793 et une lycéenne populaire qui perd tout. C'est audacieux, inattendu, perturbant mais la puissance de ce qu'il veut raconter et transmettre est bien là. Surtout, heureusement, il n'abuse pas du procédé et repasse rapidement à une histoire plus traditionnelle dans l'ensemble. Mais le malaise est là.
Le malaise, c'est le maître mot de ce tome. Shin'Ichi Sakamoto démontre bien la violence et l'arbitraire du régime de la Terreur à travers ce dernier épisode de la famille Sanson. La mise à mort de
Marie Antoinette est presque une parenthèse où le temps se retrouve suspendu et où on admire la courage de cette femme, bravache et fière jusqu'au bout. Je sais que c'est un personnage controversé mais personnellement je l'ai toujours appréciée et elle n'a été qu'une victime de plus ici, instrument d'une famille et d'un pouvoir qui la dépassait, mais au final seulement femme et mère, ce que l'auteur rend très bien. Mais la violence est quand même là.
Cette exécution devient en effet le déclencheur de toute la suite car les hommes au gouvernement n'attendait qu'un prétexte pour s'en prendre à notre fière Marie Josèphe et le parallèle entre le martyre des deux femmes est évident. le mangaka notre brosse alors un portrait rude mais réaliste de la mauvaise tournure prise par la Révolution, une fois
Robespierre et ses amis au pouvoir. Avec beaucoup de théâtralité, il faut le reconnaître, il décrit l'arbitraire lâche et violent dont ils font preuve pour se préserver mais aussi leur peur des femmes et du pouvoir qu'elles pourraient gagner qu'ils entreprennent donc de saquer. Marie Josèphe est l'exutoire parfait et pour nous lecteurs, elle sera notre icône, mais dans la réalité ce sont des femmes comme Olympes de Gouge, dont l'auteur parle, qui font en souffrir. On se retrouve ainsi, derrière les multiples couches d'artifices de l'auteur, avec quand même une histoire fidèle et puissante porteuse d'un vrai message.
Message que l'on retrouve imminemment dans la relation
Charles-Henry / Marie-Josèphe qui nous accompagne depuis le début. Elle, la rebelle, lui, l'idéaliste, ne pouvaient que faire des étincelles ensemble et ce sera le cas jusqu'au dernier moment. On est frappé par la violence qui rythme jusqu'au bout la vie de Marie. Les dernières atrocités qu'elle vit ont été insoutenables pour moi, l'auteur est allé trop loin à mon goût. Mais cette violence se retrouve aussi dans la vie de
Charles-Henry, peut-être encore plus subie s'il n'en faut, car lui était une âme encore plus sensible, même si je n'aime pas établir d'échelle. Ainsi leurs échanges silencieux tout au long de leur vie sur leur désir de paix et de liberté prennent toute leur mesure ici, avec une très belle mise en scène de la violence subie par l'un et de la fatigue écrasante ressentie par l'autre. le pont se fera par l'incroyable Zéro, cette enfant si longtemps cachée et observatrice, qui revêt un rôle essentiel pour les aider à tenir l'un l'autre. Elle m'a fascinée.
Ainsi la puissance des idées de Shin'Ichi Sakamoto n'a jamais failli malgré sa mise en scène totalement rococo, parfois un peu grotesque et souvent terriblement percutante. On ressort de cette lecture lessivé, épuisé, plein de doutes et d'envie de liberté mais aussi de lutte contre l'oppression. Il a réussi à porter son discours pacifiste et féministe jusqu'au bout avec une superbe conclusion douce-amère, le tout sans trahir la grande Histoire malgré ses effets de style. Innocent et Innocent Rouge resteront donc de très grandes lectures à conseiller vivement à qui s'intéresse à la place de la femme mais aussi à la peine de mort, mais également à qui aime les expériences graphiques impactantes, les récits bien bâtis et les personnages charismatiques mais déchirants. C'est une oeuvre essentielle.
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