Une histoire politique du ring noir, un titre qui met sérieusement l'eau à la bouche. Si en plus ce livre sort dans la collection Radical America de chez Syllepse, ça devient – à titre personnel – un livre à posséder absolument. Alors quand la Masse Critique de juin l'a proposé, j'ai même pas regardé les autres titres en lice.
Tant que j'y suis, j'en profite d'ailleurs pour remercier Babelio et les admirables éditions Syllepse.
Une histoire politique du ring noir lance immédiatement les hostilités (car il s'agira bien de ça tout au long de l'ouvrage) en nous dressant le portrait de Tom Molineaux. Ancien esclave, il est affranchi par son « maître » grâce à la boxe qu'il va rapidement pratiquer en professionnel du côté de la Perfide Albion. On est à l'aube de 19e siècle et la boxe est un sport bien peu apprécié, décrié même. Quant aux pugilistes, ils sont encore loin d'être considérés au titre de sportifs professionnels, mais si en plus ils sont noirs, ça tourne vite à la tentative d'interdiction de tout combat.
Et puis finalement, Angleterre, États-Unis, Australie, France... les matches plus ou moins légaux se poursuivent un peu partout alors on édite de nouvelles règles, officielles cette fois : les rounds auront une durée bien délimitées et puis terminées les « victoires à la 45ème reprise », la réglementation devient plus carrée pour en arriver à celle qu'on connait aujourd'hui. Par contre, ce qui va mettre du temps à changer, c'est l'idée qu'un noir puisse être champion du monde et encore plus dans la catégorie reine que sont les poids lourds. Et là, le credo est d'airain : que les champions blancs (Jack Dempsey, James Jeffries, Tommy Burns...) refusent systématiquement de remettre leur titre en jeu face à un adversaire noir (la fameuse color line, une frontière nauséabonde à ne pas franchir, officiellement pour ne pas s'abaisser à partager le ring avec « la race inférieure », officieusement sous peine d'humiliation sévère en cas de défaite). Nombreux seront les boxeurs noirs qui se casseront le protège-dents à réclamer malgré tout des rencontres qui resteront ring mort.
Méprisés et diffamés, la plupart de ces boxeurs, empêchés dans leur art, connaîtront tous un parcours difficile avec une conclusion souvent tragique comme nous le raconte
Chafik Sayari en nous brossant entre autres les portraits de
Peter Jackson, Jack Johnson, Joe Louis... et bien sûr, Muhammad Ali !
De sa victoire olympique à Rome en 1960 qu'il dédiera à sa chère patrie, son pays, sa nation qu'il aime tant : l'Amérique (!!) avant de prendre en pleine figure toute l'idéologie ségrégationniste que même un champion olympique ne peut espérer dépasser au légendaire Rumble in the Jungle, son mythique combat contre George Foreman à Kinshasa en 1974.
Avec tout ce que l'on sait des évènements séparant ces 14 années mais dont le plaisir à (re)lire est toujours aussi vif : sa rencontre avec
Malcolm X puis le désamour après son entrée à la Nation of Islam, le refus de d'aller se battre au Vietnam, ses combats
sur le ring et en dehors... On passe peut-être un peu plus de temps avec Muhammad Ali qu'avec les autres grands noms noirs de la boxe mais il est le Greatest of all Time ou pas ?
Au delà du sport, c'est le racisme ordinaire des
Jack London, de Coubertin,
Churchill... à la recherche perpétuelle du great white hope (ce boxeur blanc qui pourrait récupérer le titre dont un noir aurait réussi à s'emparer malgré la color line, les arbitres racistes et autres embûches condamnant toute potentielle victoire) ainsi que toute l'injustice dont ils étaient victimes que, chacun à leur manière, ces boxeurs ont tenté de dénoncer.
L'Histoire des États-Unis d'Amérique est une histoire complexe, souvent émaillée par la haine de son prochain (pour une nation aussi croyante, quel paradoxe !), mais l'opiniâtreté de ces sportifs que
Chafik Sayari nous dépeint à travers des portraits fouillées et minutieusement documentés a apporté une pierre à l'édifice d'une nation plus égalitaire. Il reste encore beaucoup à construire mais nul doute qu'ils ont largement participé à ce chantier sans fin.
Une Histoire politique du ring noir est une lecture riche et passionnante qui fait patiemment attendre octobre* et la sortie du prochain Radical America : l'autobiographie d'
Elaine Brown !! J'en tremble des doigts rien qu'à l'écrire... Vivement !
*Sortie repoussée au 27 janvier 2022, patience, patience...