Messieurs, c'est bel et bien la guerre que je vous déclare.
J'attaque plus fort que moi, j'attaque le sexe fort, tandis que je fais partie du sexe faible ; je dois donc avoir pour moi les gens de cœur toujours prêts à secourir le faible contre le fort.
Vous autres, messieurs, vous attaquez bien souvent les femmes dans vos clubs, dans vos cercles, dans vos réunions ; médire d'elles, les calomnier est un de vos plaisirs favoris.
Vous les attaquez, les insultez même, dans vos écrits, dans vos journaux, oubliant complétement qu'insulter qui ne peut vous répondre par un bon coup d'épée s'appelle, dans la langue française, d'un fort vilain mot !
Vous faites bon marché de nos défauts, de nos travers, de nos vices, de notre réputation.
De nos vices, de nos défauts, de nos travers, vous vous raillez impitoyablement.
Notre réputation ! Pour satisfaire à une petite vengeance, pour faire un mot spirituel, par désœuvrement même, vous la ternissez, sans songer que la bonne renommée est à la femme ce qu'est le parfum à la fleur.
Sans songer que l'Évangile dit : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas que l'on vous fit.
Sans nul doute, vous n'aimeriez pas que l'on calomniât, diffamât, ou que l'on médit de votre mère, de votre sœur ou de votre fille... et pourtant, l'on vous voit toujours disposés à mal parler des femmes.
Sur l'annonce de mon livre, un aimable et spirituel confrère m'a dit dans le Figaro-programme :
« Vous allez écrire la Guerre aux hommes ! De grâce, réfléchissez y bien pendant qu'il en est temps encore. Soyez clémente et méditez ce vers fameux de Legouvé, père de Wilfrid :
« Respecte au moins ce sexe à qui tu dois... ton père ! »
Eh bien ! mais, cher confrère, voyez comme cela se rencontre, j'écris précisément ce volume pour dire aux hommes :
"Respecte au moins ce sexe à qui tu dois... ta mère !"
(…)
Les hommes disent : « La femme est un être faible. »
Eh bien ! je veux me ranger de leur avis, et je reconnais que la femme est un être faible !
Ceci admis, il faut avouer que les hommes sont bien peu logiques en bien des choses, en celles- ci entre autres :
L'enfant est, avec raison, reconnu comme un être faible ; aussi le monde, les lois sont, pour ses fautes, remplis d'indulgence.
Et vous imposez à la femme, que vous appelez un être faible, l'infaillibilité.
Tandis que vous autres hommes, le sexe fort, le sexe barbu, vous vous reconnaissez le droit de faillir, en disant :
"L'homme est si faible !"
Pour la femme qui a failli, le monde, les lois sont implacables ... à tous les « mais… », vous répondez, vous les juges, « elle ne devait pas faillir ! » C’est-à-dire qu'il faut que cet être, que vous appelez faible, soit plus fort que vous autres, qui vous dites forts... Il faut qu'elle soit infaillible !...
Pour cet être, réputé faible par vous autres, point de merci, point d'indulgence... Aucune circonstance atténuante n'est admise par vos lois ... Elle ne doit pas pécher !... Mais, vous autres hommes, vous autres formant ce sexe fort... Vous vous êtes fait une morale des plus faciles... Pour vous autres, vous êtes remplis d'indulgence, vous excusez toutes vos actions par ces mots :
« L'homme est faible... »
Avouez, au moins, que votre logique n'est pas grande !
Avouez qu'abusant de la position de maître souverain que vous vous êtes faite dans le monde, sous prétexte que la force et l'intelligence étaient pour vous, vous vous êtes réservé le droit de tout faire...
Vous avez semé plaisir et roses sous vos pas... et avez jeté sur notre route, à nous, pauvres femmes , des ronces et des cailloux à pleines mains... toujours sous prétexte, sans doute , que nous sommes de faibles créatures ! ...
Est-ce logique ?
Un homme voit une jeune fille, bien jeune, bien naïve ... Pour la séduire, il met en œuvre tout son génie infernal, son expérience du mal.
S'il réussit, si la jeune fille succombe, voilà une action blâmable commise, un crime aux yeux de la morale. A ce crime, deux complices, l'homme qui a entraîné la femme, a d'abord eu l'initiative, qui l’a séduite…
Mais voilà que le blâme reste en entier au moins coupable des deux... La jeune fille porte seule la peine de la faute : pour elle, le déshonneur, le blâme, le mépris... Pour lui, rien ! un triomphe de plus.
On dit avec un sourire : "C'est un don Juan."
Il [le bon égoïste] est trop bon, dit-il hautement, pour pouvoir supporter la vue de la souffrance et du malheur ! Il recherche les gens gais, heureux. Il aime à se persuader qu'il n'y a de par le monde que des gens ayant, comme lui, cent mille francs de rente et jouissant du bonheur le plus parfait. Cette idée sourit à son égoïsme ! N'allez pas lui dire : « Untel meurt de faim ! » Il vous répondrait d'un air de mauvaise humeur et d'incrédulité : « Allons donc, est-ce qu'on meure de faim autre part que dans les romans ? » Si de sa fenêtre il aperçoit un pauvre galetas où règne la misère, il fait murer cette fenêtre pour ne pas être attristé par cette vue. Si dans la rue il aperçoit un pauvre mendiant les traits bleuis par le froid et tiraillés par la faim, bien vite il détourne la tête de peur que ce triste spectacle ne l'impressionne désagréablement. Volontiers il dirait qu'un gouvernement sage devrait supprimer les pauvres, les estropiés, les malheureux qui ne sont bons qu'à troubler le bonheur des gens heureux, riche et bien portant.
Un homme est amoureux d'une femme, il lui fait la cour. Pour arriver à se faire aimer, il emploie tous les moyens: il devient un diplomate excellent, il déploie toutes les ressources de son esprit, toutes les grâces séductrices que Dieu lui a données. Quand il est parvenu à se faire aimer, il persuade la femme que l'amour sanctifie tout, même l'adultère. Il plaide avec art, avec passion, il feint le désespoir, il parle de se brûler la cervelle, de s'expatrier si celle qu'il aime ne lui prouve pas son amour. Eh bien! S'il parvient à rendre la femme coupable, lui-même, un jour, dira d'elle : "Ah! Ce n'est pas une femme vertueuse!" Si elle résiste, il y a gros à parier qu'il deviendra son implacable ennemi ou que, pour masquer sa défaire, il se targuera d'une bonne fortune qu'il n'a pas eue. Avouez que c'est mettre les femmes dans une triste alternative!
La liberté que je réclame est une liberté plus sérieuse, plus digne d'un être raisonnable, intelligent, d'un être égal à l'homme. C'est d'être traitée par les lois, par le monde, comme un être intelligent et non comme un enfant. Car, en France, la femme est toujours en tutelle: l'homme est son tuteur de droit. En vrai tuteur de comédie, il use, le plus souvent, de sa position pour dépouiller, pour opprimer sa pupille. Je réclame pour elle l'égalité devant la loi: son émancipation est dans les choses sérieuses.
Volontiers les hommes disent et croient que la pensée du divin Créateur a été manifeste, qu'il a créé l'homme comme le roi de la création, et qu'il a créé la femme inférieure à lui ... Ils ajoutent que l'ordre suivi dans la création l'indique, du reste.
[...]
A présent, examinons l'ordre qu'il a suivi dans la création des être animés : les poissons, les oiseaux, les animaux qui peuplent la terre, l'homme et la femme.
Trop souvent confondue avec son homonyme révolutionnaire Olympe de Gouges ou tout simplement oubliée, Olympe Audouard est pourtant une figure de proue du féminisme sous Napoléon III, qui n'a cessé de transgresser les normes en vigueur en franchissant la frontière de la sphère privée, seul espace autorisé aux femmes.
Au coeur de la vie intellectuelle du Second Empire, elle a fondé pas moins de trois quotidiens, écrit une trentaine de livres et ferraillé avec la plupart des intellectuels et hommes de pouvoir contemporains, de Barbey d'Aurevilly à Zola en passant par le préfet Haussmann. Maîtresse d'Alexandre Dumas et de Victor Hugo, protégée de Théophile Gautier, ses combats contre « le sexe barbu », notamment pour le droit au divorce, résonnent encore aujourd'hui.
Celle que l'on surnomme la « Papillonne », du nom de son premier journal, est également une aventurière chevronnée : juchée sur les premiers chemins de fer, elle a observé de près la conquête de l'Ouest américain, les mouvements nihilistes russes, failli périr noyée dans un naufrage entre Alger et Marseille, affronté une tempête dans le désert avec Abd el-Kader…
Un destin hors du commun, une figure qui a marqué son époque et que la nôtre gagnera à redécouvrir.
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