Faisant partie des (nombreux) descendants (indirects) de
Victor Schoelcher, quelqu'un trouva logique de m'offrir un jour ce livre. Que fit cet homme exactement ? Il abolit l'esclavage. Mais à l'époque où il écrit ces lignes, c'est encore un riche dandy voyageant pour son plaisir… Ou presque. En fait, l'esclavage est déjà au coeur de ses pensées, et ce voyage fait partie d'une vaste enquête sur le sujet qu'il mène à travers le monde. Mais ce n'est pas son unique préoccupation, et sur bien des points on découvre un esprit d'un modernisme assez stupéfiant.
Dès la traversée, il s'insurge contre les conditions de voyage des passagers les plus pauvres. Il parle régulièrement de la condition de la femme, qui visiblement lui tient également à coeur. Il ne manque jamais de comparer les agissements des pays d'orient à ceux d'Europe. Il est visiblement totalement athée, et met toujours en regard islam, christianisme et judaïsme…
Mais il ne faut tout de même pas tomber dans l'anachronisme, et sur certains points la pensée d'un homme des années 1850 n'est pas comparable à la notre. En particulier on découvre qu'à l'époque, faute des connaissances nécessaires en génétique en endocrinologie, la question des couleurs de peau pose un problème à peu près insoluble. Sur ce sujet et sur d'autres, on découvre combien un esprit intelligent peut être handicapé quand il lui manque les savoirs et les outils logiques nécessaires pour bien interpréter ce qu'il observe. On mesure combien les limites que la technologie posent au raisonnement sont importantes pour contextualiser. Et on se demande : quels sont les sujets qui paraitront évidents à nos descendants, et où ils s'apitoieront de notre ignorance…
C'est également un observateur minutieux de l'Égypte, alors en pleine mutation sous l'influence de son nouveau dirigeant, Méhémet Ali. Il est horrifié par la brutalité et l'arbitraire total du pouvoir en place. le sort des paysans est pire qu'en Europe au pire du Moyen-Age, la corruption omniprésente, la brutalité des officiels sans limite. Les raids esclavagistes contre le Soudan sont d'une violence inouïe.
Une critique qui n'a pas été facile à écrire, tant il est difficile de résumer cette plongée saisissante dans la mentalité d'un progressiste du XIXème, mais également dans l'Égypte du règne de Méhémet Ali, et dans les rapports entre l'Europe et le monde arabe aux débuts de la colonisation. A lire si l'un des trois sujets vous intéresse…