Agrippine , pas la mère de Néron, ni celle de Caligula, mais la créature torride et sous-cultivée, créée par Claire Bretécher au siècle dernier, déclara un jour "Mozart, c'est nul … sauf la musique du film", référence au film "Amadeus" de Milos Foreman. Je conserve précieusement le dessin, bien en vue juste à côté du coffret des oeuvres complètes du prodige, édité pour les 250 ans en 2006.
Mutatis mutandis, le clone d'Agrippine, éventuellement dans sa version génération Y mais la restriction n'est pas indispensable, ne dirait-il pas que Les Comédies de Shakespeare, c'est nul … sauf les dialogues du film, ici le "Shakespeare in Love" de Joseph Maden. On pense notamment aux vers de Valentin, extraits des Deux Gentilshommes de Vérone :
"What light is light, if Silvia be not seen? Où est la lumière de la lumière, si l'on ne voit pas Silvia?
What joy is joy, if Sivia be not by? Où est la joie de la joie, en l'absence de Silvia?
Unless it be to think that she is by A moins d'imaginer qu'elle est là,
And feed upon the shadow of perfection. Et de se nourrir du fantôme de sa beauté.
Except I be by Silvia in the night, Si je ne sens pas Silvia près de moi dans la nuit,
There is no music in the nightingale." le rossignol est privé de musique.
Traduit par Henri Suhamy pour la Bibliothèque de La Pléiade, avantage Shakespeare.
On trouve là à l'évidence les prémices de Roméo disant Juliette.
Dialogues ou monologues, c'est la même musique des mots, musique d'émotions. Mozart, Shakespeare même combat. Agrippine, tu es des nôtres car tu as ressenti l'essentiel, le reste est culture.
En fait, la guêpe n'est pas si folle, le reste n'est pas que culture, opopoï, une fois!
Car il faut bien avouer que l'intrigue de Les Deux Gentilshommes de Vérone laisse perplexe.
Jugez-en, je vous la fait semi-courte:
Deux amis à Vérone: Valentin, que le vent du large attire part découvrir le vaste de monde … à Milan. Protée fait scotchi scotcha avec Julia et se verrait bien à Vérone pour la vie.
A Milan, Valentin tombe raide dingue de la fille du duc, Silvia, qui réciproque. Opopoï 3 fois, le père mariera sa fille à Thurio et personne d'autre .
Le père de Protée veut envoyer son fils apprendre à vivre au loin...donc à Milan. Y arrivant fissa, celui-ci se voit présenter Silvia par Valentin; incontinent, il tombe en obsession . Ni une, ni deux, faisant fi de l'amitié, il entreprend de ruiner Valentin en dénonçant au duc son projet de fuite avec Silvia. Démasqué, Valentin est banni; quittant Vérone, il tombe sur des brigands ...qui, sans barguigner, en font leur capitaine.
A Vérone cependant, le duc, qui ne manque pas d'idées, charge Protée de convaincre Sylvia d'aimer Thurio. Protée en profite pour avancer ses pions, sans succès d'ailleurs, la belle étant fidèle. Débarque Julia déguisée en garçon qui prend du service auprès de Protée et découvre le pot aux roses.
Sylvia s'enfuit pour retrouver Valentin mais est interceptée en chemin par les brigands. Protée qui, avec les autres, s'est lancé à sa poursuite la délivre, et, ayant déjà consommé la totalité de son self control sinon sa moitié, se met en tête de la violer; Valentin qui n'était pas loin l'en empêche et comprend que son ami l'a trahi.
Mais, bonne pâte, et comme Protée s'excuse, il lui pardonne sans états d'âme et, pas rancunier, juste un peu mac -entre copains, on partage tout- lui "donne" Silvia pour le consoler. C'est alors que Julia se fait reconnaître et que Protée la recalcule.
Sur ces entrefaites, le duc arrive et accorde finalement à Valentin la main de Silvia -celle-ci ayant complètement disparu du circuit, et Thurio viré.
Mouais…
Comme toujours avec Shakespeare, il faut être prêt à accepter les invraisemblances, incohérences et artifices plus ou moins habiles du scénario. Cela peut demander une certaine abnégation, surtout dans les comédies où personne ne meurt, particulièrement pour les inconditionnels d'Arnie.
L'intrigue n'est bien entendu qu'un prétexte à mettre en situation le genre humain. On égayera ceux que ça barbe, et les autres -ça c'est plus fort- avec des intermèdes en rupture, les valets Speed et Lance sont là à cette fin sans parler du chien Crab dont le film de Maden a quasiment institutionnalisé le rôle, sept oscars mérités!
Les "Deux Gentilshommes" sont comme une ode anacréontique illustrant en les parodiant le cas échéant, et déclinant selon les caractères des protagonistes, les amours et amitiés, eros ou filia, la fidélité et la trahison éhontée, le pardon et la rédemption.
Je vous en propose ici un schéma parmi d'autres possibles:
Valentin, c'est l'amoureux du 14 février- le jour de la Saint-Valentin connoté amoureusement a son origine au XIVe siècle en Angleterre, Geoffrey Chaucer mentionne dans ses écrits qu'on croyait alors que les oiseaux s'appariaient ce jour-là; c'est aussi l'ami parfait. Opopoï deux fois, c'est un amoureux et un ami passablement benêt, mais il suscite des amours féminines profondes, allez comprendre. Le thème de l'amoureux est d'ailleurs littérairement métaphorisé de long en large sous la forme "l'amour rend aveugle" alors que sa mise en scène par la pièce orienterait plutôt vers "l'amour rend idiot". La place me manque ici pour démentir catégoriquement ce glissement sémantique.
Protée, c'est le charmant opportuniste, l'ami léger, gâté par la nature, en fait odieux, prêt à tout pour servir ses intérêts, si agréable de compagnie et en société, même après qu'il a été démasqué; il retombe toujours sur ses pieds.
Silvia, c'est la grande dame, maline et coquette à ses heures mais pourtant sincère, loyale et fidèle, les hommes en rêvent.
Julia, c'est plutôt une petite bourgeoise, pas malhonnête ni désagréable mais qui défend trop âprement son bien, fût-il de matière humaine, les hommes devraient s'en méfier.
Ces ingrédients, savamment mixés, prestement touillés et harmonieusement liés avec les mots par le druide, constituent un brouet bienvenu qui revigore.
Et l'humour toujours, dans cette étonnante langue de Shakespeare- bien plus proche du français que l'anglais d'aujourd'hui- et la jolie traduction d'Henri Suhamy:
Thurio
And how quote you my folly? Et à quoi mesurez-vous ma folie?
Valentin
I quote it in your jerkin A votre tunique, faite sur mesure
Thurio
My jerkin is a doublet Ce n'est pas une tunique, c'est un pourpoint
Valentin
Well, then, I'll double your folly Et bien, à brûle-pourpoint, je dirai que votre sottise est unique
Agrippine, for ever, William too!
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