Il s'agit à la fois d'un roman de science-fiction – on pourrait penser à
Jules Verne, en plus moderne –, d'un conte philosophique – sur le thème de l'émigration et du sort réservé aux émigrants – et d'une analyse de sociologie politique concernant certains cercles du pouvoir – politique et universitaire.
Les personnages principaux sont : Ondera, pilote de bathyscaphe ; le professeur Tadokoro, spécialiste de géophysique – les volcans, les séismes, les mouvements du fond des océans ; le premier ministre qui doit prendre des décisions qu'aucun dirigeant n'a jusqu'ici dû prendre ; d'une certaine manière, la terre elle-même, les mouvements de conduction des plaques tectoniques ; et l'ensemble de la population de l'archipel du Japon. Bien sûr, chacun de ces personnages est lui-même relié à d'autres personnages qui apparaissent et disparaissent.
En gros, l'intrigue est la suivante : Ondera est mêlé, par la force des choses, à l'enquête scientifique que dirige le professeur Tadokoro, lequel a l'intuition que le Japon est menacé d'être englouti. Quand ? Tadokoro a justement besoin d'un pilote de bathyscaphe pour aller voir au fond des océans ce qui se passe concrètement, pour vérifier que son intuition est fondée et préciser à quelle date la submersion ou l'engloutissement aura lieu. Toute une partie du récit consiste à décrire les efforts de Tadokoro et des collègues qu'il a réunis autour de lui, pour accumuler des preuves et des données pour tester sa théorie. Les preuves de cette intuition-hypothèse s'accumulent peu à peu, au fur et à mesure que des îles, d'abord de petite taille, sont englouties, que des tremblements de terre d'intensité croissante ont lieu, accompagnés de leurs raz-de-marée dévastateurs. Mais pour analyser la signification de ces « données », il faudrait plus de temps. Une course contre la montre se joue entre, d'un côté, les efforts intellectuels de Tadokoro et son équipe, et, d'un autre côté, les mouvements de convection qui traversent le manteau terrestre.
L'auteur cite de nombreux lieux et donne de nombreuses informations liées à la structure des fonds marins, aux plaques qui correspondent au Japon, aux points de friction, etc. Il rappelle que le Japon est constitué d'un grand nombre d'îles formant un immense arc de cercle de 1700 km de long. Des éruptions volcaniques, des mouvements de fond ont lieu un peu partout. Ainsi, une île inhabitée, non loin de l'île Tori, a été totalement engloutie en moins de quelques heures – le fond de l'océan s'est enfoncé de 200 m d'un coup, tandis que l'île Tori proprement dite s'est enfoncée d'un mètre ; des séismes ont eu lieu aux Rochers de la Bayonnaise, à l'est de la fosse Ogasawara, sur Honshu (dite aussi Hondo) où de terribles incendies ont éclaté ; le volcan du Mont Amagi s'est brutalement réveillé, comme celui du mont Asama ; par ailleurs, la température de l'air s'élève, les gens transpirent, tandis que les poissons meurent dans les lacs et que les oiseaux migrateurs ne reviennent pas ; rares sont ceux qui font le lien.
Justement, le premier ministre voudrait comprendre et réunit des spécialistes, dont l'incontournable Tadokoro. Seul ce dernier ose mettre les pieds dans le plat, les autres tenant des discours lénifiant. Il n'hésite pas prédire l'imminence d'une catastrophe, sans pour autant, malheureusement, pouvoir le prouver maintenant.
« Il est possible qu'un phénomène puisse avoir lieu dans l'avenir même si l'on n'en trouve pas d'exemple dans les observations faites jusqu'à présent. Notre histoire des observations faites jusqu'à ce jour est très courte » (p. 82/83).
Tadokoro met en garde le
Premier Ministre et ce dernier, après un temps de réflexion, lui répond : « Mr Tadokoro vous m'avez dit qu'un homme d'État doit être résolu à faire face au pire danger. Que dois-je penser ? »,
ce à quoi Tadokoro répond :
« Peut-être vaut-il mieux envisager le cas d'une destruction du Japon » (p. 83).
Au lieu de négliger cette mise en garde, le
Premier Ministre s'y accroche et commence à envisager sérieusement de « sortir du Japon ». L'option semble irréalisable, mais d'un autre côté, il devient indéniable que l'intensité et le nombre des éruptions et tremblements de terre ont pris des proportions inhabituelles.
Le chef du gouvernement organise alors un projet d'évacuation dans le plus grand secret. D'un côté, il donne les moyens à Tadokoro de déterminer le plus vite possible la date à laquelle la submersion devra se produire. Comme les savants de l'équipe ministérielle sont peu nombreux, Tadokoro a l'idée d'utiliser un journaliste scientifique comme espion pour apporter des informations et des résultats en provenance des autres équipes de scientifiques.
Et d'un autre côté, il envoie de nombreux émissaires de par le monde, y compris à l'ONU, pour négocier avec chaque gouvernement l'installation des Japonais. L'Australie, par exemple, est prête à accueillir jusqu'à 2 millions de Japonais, mais pas en une fois et pas n'importe comment. Ils se voient bien profiter de cette arrivée massive de main d'oeuvre pour réaliser une ligne de chemin de fer est-ouest qui traverserait le centre désertique du pays. D'autres tractations ont lieu pour transférer massivement des avoirs, pour mettre à l'abri des oeuvres d'art, etc.
Le temps passe, les tremblements deviennent quotidiens. Dans tout le Japon, la terre tremble plus de cent fois par jour. L'île principale d'Honshu est particulièrement touchée, Tokyo étant en proie à des secousses permanentes, suivies destructions de plus en plus massives, notamment lors de séismes de magnitude 8,5, dont l'épicentre se situe à 30 km de Tokyo. Un autre aussi intense a lieu au moment où les habitants sont dans les transports en commun, les Tokyotes meurent par dizaines de milliers, par millions. Les pluies de cendres allument des incendies. Honshu, l'île principale, s'enfonce à une vitesse croissante.
Une autre partie de l'ouvrage consiste à décrire les luttes de pouvoir entre scientifiques pour éclairer le Premier ministre et tenter de le convaincre, soit de croire Tadokoro, soit de le considérer comme un charlatan. Pour prolonger le suspens, l'auteur multiplie les disgressions, comme le fait que de plus en plus de pays étrangers envoient des espions, car ils perçoivent bien que quelque chose d'inhabituel se passe au Japon. Puis les choses s'accélèrent, le Premier ministre convoque les représentants des principaux journaux et leur annonce que le Japon va disparaître d'ici peu et qu'ils pourront l'annoncer, mais dans deux semaines. Entre temps, les membres du gouvernement peaufinent les démarches logistiques, la réservation de bateaux, d'avions, l'achat de terrains à l'étranger, peut-être pourra-ton sauver la moitié des 110 millions de Japonais. La destruction des infrastructures, les pénuries d'électricité, d'eau, l'interruption des approvisionnements, tout cela bloque totalement l'économie, les ports et aéroports sont à leur tour rendus inutilisables. À l'ONU on discute de la manière de répartir équitablement la population japonaise survivante, celle qui réussira à émigrer. La submersion définitive commence par Osaka, puis le Japon explose et disparaît. 65 millions de Japonais ont tout de même pu être préalablement évacués. Il restait 20 millions de survivants...
Publié il y a plus de 50 ans, cet ouvrage passionnant fascine autant par son originalité que par la justesse de ses anticipations. Ou plus exactement, il est possible, rétrospectivement, de le lire comme l'oeuvre d'un lanceur d'alerte, d'un scientifique conscient des catastrophes environnementales à venir. Certes, il n'évoque pas la hausse de la température moyenne du globe, causée par les activités humaines, mais les mouvements des plaques techniques d'ampleur exceptionnelles. Cependant, le résultat est très voisin : au lieu d'une hausse du niveau des océans, ce sont les terres qui s'enfoncent et il faut bien que les gouvernants trouvent des solutions, le plus souvent dans l'urgence, pour déplacer les populations. Situation qui concerne déjà les agglomérations de plusieurs pays, victimes d'avoir trop exploité les ressources de leur sous-sol : des quartiers entiers menacent d'être engloutis.
De même, la multiplication des incendies et des inondations, rendant des régions entières inhabitables et obligeant les habitants à fuir, n'est pas sans faire penser aux nombreux phénomènes exceptionnels sur venus ces 10 dernières années, un peu partout dans le monde.
Dès lors, ce qui fait le grand intérêt de cet ouvrage, c'est la justesse et la finesse avec laquelle l'auteur a su rendre compte des réactions des différentes catégories de décideurs. Au sein des élites politiques japonaises, on assiste aux mêmes tergiversations qu'aujourd'hui : si une partie des acteurs politiques seraient prêts à prendre les mesures nécessairement dérangeantes qu'il faudrait prendre pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, une autre partie préfère se convaincre qu'il est urgent de ne rien faire, se laissant influencer par les lobbies industriels ou les représentants d'autres États. de plus, l'auteur parvient à décrire, de façon très convaincante, les transactions secrètes que le gouvernement japonais doit mener avec les puissances internationales pour accueillir une partie de la population japonaise. Ce qui nous fait entrer de plein pied dans les débats très actuels concernant les migrants, la fermeture des frontières, l'exploitation des populations réfugiées, etc.
Tout compte fait, ce roman de politique fiction peut s'interpréter comme une expérience pensée, par laquelle un scientifique chercherait à modéliser les conséquences sanitaires, sociales, politiques et économiques, d'une catastrophe « naturelle » d'ampleur inédite, comme la disparition d'un État. de nos jours, cette expérience de pensée donne lieu à ce que l'on pourrait appeler des expérimentations grandeur nature, avec l'engloutissement programmé d'archipels, la désertification d'immenses territoires autrefois fertiles, sans oublier les violentes inondations qui ravagent des milliers voire des millions d'hectares de terres agricoles.
Autant il paraît, aujourd'hui, impossible d'agir sur les causes des tremblements de terre, autant les dirigeants du monde entier savent quelles sont les mesures à prendre pour limiter le réchauffement climatique. Faudra-t-il l'engloutissement d'un continent pour les amener à prendre ces mesures ?