Benoît Sokal peaufine depuis des décennies son univers animalier, que l'on aurait tort de croire à bout de souffle après 22 tomes publiés, tant l'imagination est une fois encore au rendez-vous, et que je qualifierais sans hésiter de chef-d'oeuvre absolu de la bande dessinée policière animalière franco-belge. L'inspecteur Canardo, mon canard de bédé préféré, loin devant Donald, Daisy, Picsou, Daffy, Gédéon et autres Saturnin, traîne ses pieds palmés, sa joie communicative (je plaisante) et son imper couleur mastic dans une aventure qui à première vue semble moins glauquissime que les précédentes.
Au programme prévu pour notre canard dépressif : une sortie ciné avec Marcel, son petit neveu accro aux jeux vidéo, puis une mission sous couverture simulant des vacances au soleil sur une île ! Mais, on s'en doute, les choses ne vont pas tarder à déraper, et les vacances se transformer en cauchemar.
La relève est aujourd'hui assurée. de façon assez incroyable, le scénario d'
Hugo Sokal, le fils de Benoît, parvient à mixer des sujets aussi divers que : la géopolitique, l'écologie, les méfaits de la colonisation, la pollution des océans, la dictature, les prises d'otage, la manipulation des médias, les conflits de génération, l'éducation, le racisme, le tourisme de masse, les lobbies agroalimentaires, le conflit wallons-flamands, l'hégémonie culturelle hollywoodienne, et j'en passe… le tout s'harmonise sans effort apparent et baigne dans un humour toujours efficace, à la fois pince-sans-rire, doux-amer, plein de finesse, mais, aussi, allant parfois jusqu'à provoquer une franche rigolade à se faire péter les zygomatiques et à se taper sur les cuisses.
Tout le monde en prend pour son grade : politiciens cyniques, promoteurs sans scrupules, écolos manipulateurs, révolutionnaires amateurs, bourgeois cupides, ados exaspérants… L'humour ravageur d'
Hugo Sokal n'épargne personne.
Le ton général de l'album n'est plus aussi noir ni aussi désespéré que dans les précédentes aventures. Avec les enquêtes de l'inspecteur Canardo,
Benoît Sokal nous avait habitués à toutes sortes de drames humains (meurtres, suicides…). Ici, l'humour omniprésent gomme le caractère anxiogène des situations et le scénario ne bascule jamais dans la tragédie (une catastrophe écologique ou une prise d'otage se terminant mal, par exemple, mais ce n'est que partie remise,
Sokal va bientôt remettre le couvert sur ces thèmes). le vieux canard et la mer bénéficie pleinement de ce changement de ton.
Par ailleurs, l'intelligence de l'écriture et la justesse des gags positionnent à mon avis cet album parmi les meilleurs de la série. Je n'avais jusqu'à présent lus que les premiers albums, imposant le style et les fondamentaux de la série, au ton assez différent, plus noir, et il me tarde maintenant de me procurer les albums manquants.
Le vieux canard et la mer prouve que le glas n'a pas encore sonné pour Canardo (NB : On retrouvera d'autres références à
Hemingway dans différents albums, comme une sorte de leitmotiv pour l'auteur). La série des Canardo est incontournable, et ce nouvel opus est pour moi une totale réussite, qui vous harponne dès la première page et à ne surtout pas manquer.