J'avais eu le plaisir de découvrir
Sophia de Mello Breyner-Andresen dans la très belle Anthologie de la poésie portugaise contemporaine éditée chez
Poésie Gallimard. Je retrouve la grande poétesse portugaise au travers d'un très court recueil publié aux Éditions de la Différence,
Navigations.
D'origine aristocratique,
Sophia de Mello Breyner-Andresen est un personnage infiniment respecté au Portugal (les Portugais l'appellent par son seul prénom), tant pour son oeuvre littéraire que pour son engagement politique. Auteure de poèmes, de nouvelles, de contes pour enfants, distinguée en 1999 du célèbre Prix Camões, elle s'est engagée très tôt contre la dictature de Salazar fondé. En 1975, un an après la révolution des Oeillets, elle a été élue députée socialiste. Elle s'éteindra en 2004 à Lisbonne à l'âge de 84 ans.
Dans des textes en vers, écrits de 1977 à 1982,
Sophia de Mello Breyner-Andresen développe le thème des voyages des explorateurs portugais du XVème siècle partis en mission vers les terres lointaines et inexplorées. Voyages au long cours, au travers des océans et des latitudes, expéditions téméraires sur des voies maritimes et vers des terres toutes insoupçonnées. Dans de nombreuses variations, le regard de la poétesse se porte au loin pour éprouver au plus près la sensation de l'instant.
« Là nous contemplâmes la véhémence du visible
L'apparition totale exposée en entier
Et ce dont nous n'avions même pas osé rêver
Était le vrai »
La poésie de Sophia de Mello Breyner-Andresen a quelque chose de très touchant, elle est comme un charme qui sans cesse opère. Elle est pleine d'épure et de sensualité, elle est comme placée au centre d'un lent mouvement perpétuel. C'est par certains aspects, une poésie métaphysique mais qui ramène toujours à ce qui fait les jours ordinaires. Sous sa plume, les mots recouvrent une liberté et viennent donner aux lieux une dimension insoupçonnée. Ainsi, ce très beau poème intitulé « Lisboa » dédié à la ville de Lisbonne :
« Je dis :
« Lisbonne »
Quand je traverse - venant du Sud – le fleuve
Et la ville où j'arrive s'ouvre comme si elle naissait de son propre nom
Elle s'ouvre et se dresse dans son étendue nocturne
Long scintillement de bleu et de fleuve
Corps amoncelé de collines -
Je la vois mieux parce que je la dis
Tout se montre mieux parce que je dis
Tout montre mieux son être et sa carence
Parce que je dis
Lisbonne avec son nom d'être et de non-être
Ses méandres d'insomnie de surprise et de ferraille
Son éclat secret de chose de théâtre
Son sourire complice de masque et d'intrigue
Pendant qu'à l'Occident la vaste mer se dilate
Lisbonne oscillante comme une grande barque
Lisbonne cruellement construite le long de sa propre absence
Je dis le nom de la ville
- Je dis pour voir »
Navigations laisse entrevoir la belle et subtile écriture de Sophia de Mello Breyner-Andresen. C'est déjà beaucoup mais trop peu. Je reviendrai vers cette grande dame de la poésie portugaise, qui en nous emmenant sur les voies de l'océan, nous parle aussi de tout ce qui est resté à terre, la vie des hommes.
« À travers ton coeur passa un bateau
Qui ne cesse sans toi de suivre son chemin »