La sobriété du style est ce qui me frappe le plus dans ce roman. Fred fait le boulot avec rigueur, abandonnant presque totalement le geste de marquer l'écriture de sa signature si singulière. Parfois, avec beaucoup de discrétion, il imprime son sceau par une figure de son cru, typique de sa plume, histoire de dire je suis là, c'est bien moi :
« Il riait à gorge déployée, la luette apparente, ses dents plantées comme des piquets sur une dune instable. »
……
« Il était comme une glace appétissante, coulant sur le dos de sa main par un be
au soleil de juillet, qu'on l'eût autorisée à tenir, mais pas à lécher. »
Mais à aucun moment il monopolise les feux de la rampe. À la façon d'un
Maupassant halluciné, il s'efface comme jamais, pour laisser entièrement la place à la sensibilité du lecteur. Il consacre son talent de conteur à la dynamique du récit. ll fait en sorte qu'il file droit au but, que la vivacité de son débit, que la noirceur de ses flots, emportent le lecteur irrésistiblement.
Il reste que
Frederic Soulier est l'un des rares auteurs capables de se lancer dans l'écriture de scènes diaboliquement sulfureuses et de les rendre si réalistes qu'elles flottent longtemps dans votre esprit. On le retrouve alors totalement, et au meilleur de son art, dans ces séquences de haute tension narrative.
Le jour du Seigneur est saturé par les effets dévastateurs que peut causer la religion dans un jeune esprit imaginatif dépourvu d'instruction, lorsqu'elle est assénée à coups de superstition et de terrorisme moral.
On pourrait tenir pour responsable des faits dramatiques qui se sont déroulés, tour à tour le cureton pédophile, la mère castratrice idolâtre de la sainte Vierge, l'instituteur inique et sadique, puis plus tard, la dureté des conditions de travail dans la carrière, et finalement, tout ça à la fois peut-être bien, une convergence de circonstances qui a contribué à contrarier la nature délicate du jeune Louis et à troubler sa psyché.
Mais gardons nous de juger à l'emporte-pièce. Car que savons-nous vraiment des forces surnaturelles qui gisent dans la pierre !
Ecoutons plutôt la sagesse de la mère Poulineau, une voisine portée sur le cognac certes, mais une brave femme, qui a bien connu le p'tit Louis Thiviers avant qu'il ne pète les plombs :
« Y a un démon en chaque homme, qu'est là depuis sa naissance, et qui gratte, et gratte, et d'mande qu'à sortir. Y en a qu'arrivent à le retenir toute
une vie, d'autres qu'attendent pas d'avoir du poil où j'pense. »