Après plusieurs lectures d'auteurs "professionnels" m'ayant laissé un sentiment pour le moins mitigé, je retourne donc vers un auteur "amateur" qui ne m'a quasiment jamais déçu, et encore une fois, je mesure à quel point être un "amateur" ou un "professionnel" ne veut pas dire grand-chose dans le milieu de l'écriture, si tant est que l'on sache trouver les bons "amateurs".
La dernière oeuvre que j'ai lue de Soulier, c'était son deuxième recueil de nouvelles, que, bien que très bon, j'avais trouvé un peu en deçà du premier, et je me souviens que j'avais conclu qu'il avait fait le tour de certaines outrances, qu'il n'avait pas besoin de ça pour être excellent, et qu'il était temps de passer à autre chose (ce qui était déjà fait avec "galeries", d'ailleurs, que j'avais lue avant alors qu'elle était postérieure).
Je suis très heureux de constater qu'il a persévéré dans cette direction, même si bien loin de moi l'idée de penser que c'est parce qu'il aurait suivi mon conseil, restons modeste.
Car oui, Soulier sans trash, Soulier sans scatophilie, Soulier sans pornographie, c'est non seulement excellent, mais c'est encore meilleur qu'avec.
J'ai lu ici et là que pour pleinement apprécier cet opus, il faut vraiment pouvoir y repérer les clins d'oeil et hommages répétés à Stephen King. Je confesse ne pas être Kingphile, et j'ai pourtant pris un pied de dingue. Je me suis enfilé le machin à vitesse grand V, ne le quittant que pour les obligations quotidiennes. Le personnage de Richard Bachman tient le haut de l'affiche, et l'on comprend pourquoi il fascine autant ses fans qu'il suscite l'amour et le respect de ses proches. Loin du connard abject et capricieux coutumier du show biz, il garde simplicité, orgueil (bien placé) et faconde qu'il met à profit pour des envolées de cynisme, d'humour noir et d'autodérision qui emportent aussitôt l'adhésion, voire l'admiration.
Si un jour j'étais affligé de cette saloperie de SLA, alias maladie de Charcot, – le sort m'en préserve – j'aimerais crever avec autant de panache.
À l'épisode 2, Richard Bachman a régressé dans la peau d'un gosse de 8 ans, mais en conservant toutes ses connaissances et ses expériences de sa vie antérieure de 67 ans, et, pris par le temps pour sauver sa mère, il n'hésite pas à le crier quasiment sur tous les toits, ce qui nous mène à quelques scènes cocasses avec ce gosse pas ordinaire.
Le personnage du grand-père est encore une fois excellent, et Soulier prospère décidément dans le papy gâteau un peu cabossé par la vie, ce qui me fait penser que j'ai Épilogue dans ma PAL qui raconte les tribulations d'un vieux en EHPAD, et qu'il va falloir que je le lise... La relation entre Bachman et son grand-père rappelle parfois celle entre les deux protagonistes de Transastral ZX08, ou d'un point de vue cinématographique, celle entre Dennis Quaid et Jim Caviezel dans Fréquence interdite, où il est précisément question d'une liaison radio entre un père et son fils, avec une génération d'écart, et le fils sauve le père en lui disant qu'il va mourir d'un cancer du poumon à cause de la clope.
Le cerveau pourtant pas si vieux de l'auteur doit abriter l'âme d'un ancêtre pour qu'il joue les vieux briscards avec autant d'authenticité.
Bon, j'avais assez rapidement deviné qui était le vrai meurtrier, mais en vrai, on s'en fiche complètement. Non seulement c'est très bien raconté comme d'habitude, mais l'entrelacs entre les continuum 2 et 3 est très bien mené techniquement.
À l'épisode 3, l'extra ball en fait baver à notre ami Bachman. Plus il fait d'efforts pour revivre son passé et corriger les anicroches, plus il s'en éloigne, et les anicroches mettent un point d'honneur à se produire quand même, foutre ! (Oui, Richard Bachman jure comme le faisait Jacques-René Hébert dans le Père Duchesne.)
Où l'on découvre progressivement que le continuum 3 est le monde que nous connaissons, alors que jusqu'à présent l'auteur laissait adroitement penser qu'il s'agissait du continuum 2. Ainsi, l'on fait la lointaine connaissance du véritable Stephen King qui récolte les lauriers à la place de Richard Bachman.
Là où je n'ai pas adhéré, c'est lorsqu'il tue, ou tout du moins, provoque sciemment la mort accidentelle de son cousin, si abruti soit-il. Le personnage conserve son tempérament et ses valeurs d'un continuum à l'autre et l'on voit mal comment il pourrait faire ça. Du moins devrait-il en être horrifié, et non pas l'assumer avec une certaine fierté.
Magnifique image symbolique que celle du vieillard s'incarnant dans son propre corps d'enfant, et tuant ainsi l'enfant qui était en lui. On ne devrait jamais tuer l'enfant qui est en soi, c'est bien connu, et dès lors, on comprend que tout cela ne peut que finir mal...
Tout étant relatif, le quatrième et dernier épisode est celui qui m'a le moins convaincu.
À cela, plusieurs raisons. D'abord, j'ai commencé à me perdre dans les continuums temporels, notamment quand Bachman se réincarne à deux reprises dans le même... Il y a peut-être une explication logique, je ne l'ai pas cherchée, j'étais malgré tout trop absorbé et trop pressé de connaître la fin.
Ensuite, à cause de la multiplication des références à l’œuvre de Stephen King, et pour cause, puisqu'on se retrouve dans un monde qui est un mélange des univers développés dans ses livres... Or, je l'ai déjà dit, je ne suis pas Kingphile.
J'avoue être un peu déçu par la fin qui pour moi s'est fait nébuleuse : je n'ai pas compris pourquoi il n'arrive pas à se suicider, vu sa situation et sa lassitude, je n'ai pas compris pourquoi il ne bute pas Subrahman purement et simplement, fin la plus logique dès lors qu'il est convaincu de sa monstruosité. Je n'ai pas adhéré à cette fin "quantico-intemporelle", je suis peut-être trop cartésien et pragmatique pour cela.
Malgré ces réserves, l'ensemble coule comme un torrent de montagne, d'ailleurs j'en veux pour preuve que j'ai sifflé le tout en 48 heures, qui plus est entre le 31 décembre et le 2 janvier. Le message de ce roman est universel : ça parle du destin, ça parle du deuil, ça parle de l'enfance. Et il a su aborder de façon originale un sujet pourtant mille fois rebattu chez les écrivains à la mode : l'écrivain, justement. L'écrivain et ses démons.
Soulier fait encore une fois preuve de son talent et de sa maîtrise, et j'aime beaucoup la nouvelle direction que prend son oeuvre, sans rien renier de son style malgré tout. Quelque chose de moins trash, de moins outrancier. Débarrassés d'un surplus de rugosité, ses livres sont pourtant loin de s'avérer plus académiques ou plus fastfood. Au contraire, ils n'en deviennent que plus puissants.
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