Ce « roman » nous conte l'itinéraire d'un dénommé Rubi, un « raté » (c'est son père qui le dit) dont la vie est une étonnante et incohérente trajectoire : il fut tour à tour Camelot du roi, partisan de la République espagnole, résistant, volontaire au STO, SS français, déserteur, interné à Dachau, planqué dans une famille allemande, arrêté après la guerre puis emprisonné par les autorités françaises, pour finir avec un flirt avec le PCF. Et pour couronner le tout poète.
Ce parcours tumultueux se mêle à celui du narrateur, tout aussi non exempt d'incohérences, qui eut une liaison avec la fille de Rubi.
Voilà un livre étonnant, un livre qu'on ne lâche pas, qui pose bien plus de questions qu'il ne donne de réponses, à commencer par celle-ci : ce Rubi a t-il existé ? J'ai cherché à y répondre avec l'aide du net, et je n'ai rien trouvé. Or on ne trompe pas Google. Je répondrai donc non ! Et pourtant j'ai un sacré doute. Mais je suis un « bon » lecteur, un lecteur qui joue le jeu et se laisse prendre volontiers. Diabolique ce bouquin !
Commenter  J’apprécie         70
Avec ce livre qui déroule le parcours de Rubi, j'ai eu la drôle d'impression de lire l'envers du parcours de ce cher Boro photographe et reporter, héros emblématique de la série aux multiples tomes, de Dan et Vauntrin .
Je m'explique : Rubi comme Boro ont traversé la guerre d'Espagne de 36, ont connu le Front populaire, la montée du fascisme, l'antisémitisme et le pétainisme. Et pour chacune de ses grandes causes et manifestations de l'histoire, les opinions de Rubi sont le négatif de celles de Boro ou celles de Boro sont le positif de celles de Rubi.
C'est assez bien fichu, car si nous lecteur, nous parvenons à faire abstraction de l'extrême contradiction portée par les choix pour lesquels opte Rubi au cours de sa vie, il nous sera alors possible de mener une réflexion très poussée sur la nature des engagements politiques.
Quels sont les moments dans une existence où on bascule pour tel choix ou tel autre, qu'est-ce qui a motivé les orientations prises à tel moment de l'histoire?
Et puis, malgré les polémiques soulevées par les partis pris par Rubi, c'est une manière originale d'aborder cette période tourmentée de l'histoire, qui a déjà, tant de fois, servi de toile de fond dans la littérature et le cinéma.
Commenter  J’apprécie         00
La fille du SS, dès lors, subit une implacable dictature. C'est Cosette. Il lui est strictement interdit, sur ordre de grand-père Albert, de proférer le moindre mot en allemand. Si elle dit "Brot", Albert ou Yvonne lui donnent une claque pédagogique, en lui rétorquant « pain ». Si elle dit "Wasser", elle reçoit une nouvelle claque, avec la traduction à la clef : « eau ». En trois mois, elle apprend ainsi le français, oubliant tout son allemand. C'est le but de l'opération : effacer en elle l'Allemagne, cette FAUTE ! Tant qu'elle parla allemand, elle en était la tangible incarnation ! Elle était la vivante preuve du péché de son père qui avait souillé le nom de la famille, sa réputation : n'était-il pas venu se pavaner en uniforme SS jusque sous les balcons de leur maison à Grasse, en 1943 ? Il les avait couverts, sciemment, de boue.
… Quand il a commencé à me raconter son séjour à Networschitz, ce camp militaire proche de Prague, Rubi a changé de comportement. Je l'ai senti ému, plus qu'il ne l'avait jamais été. Il blêmissait. Sa peau se tendait sur la structure osseuse de sa face. Entre ses yeux, la ride s'approfondissait. Et le débit de sa voix, parfois, s'alentissait. S'interrompait. Des blancs s'intercalaient entre ses mots. Des béances de silence. Et sa main droite était prise de tels tressaillements qu'il lui fallait la saisir, la maîtriser, avec son autre main.
« C'est alors que L'HORREUR » a commencé... », m'a-t-il dit.
Rubis, tel que le voyais, n'eût pas fait de mal à une mouche. Cet homme était perdu dans les mots, le verbe. Mais, en 1940-1945, ce verbe avait fait mouche. Et les mots, des morts. Le moment clef de son destin fut aussi celui où, derrière l'effervescence des mots, il devina soudain la consistance effrayante des choses. p.68
A peine esquissées, les liaisons amoureuses naufrageaient sur cet écueil : l'humour ! Pourquoi cette génération prenait-elle tout au pied la lettre, pourquoi cet esprit de sérieux, ce militantisme ? Elle était dans l'ICI, dans le MAINTENANT. P.29
… Ce n'est pas un roman qu'ici j'écris (j'en ai composé par ailleurs). J'essaie seulement, en tentant de remettre de l'ordre, ne serait-ce que chronologique, dans ce que je sais de la vie de Rubi, d'y voir plus clair dans la mienne.
Intervention de Morgan Sportès pour son roman "Les djihadistes aussi ont des peines de coeur" lors de la présentation de la rentrée littéraire 2021 à la Maison de la poésie.