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EAN : 9782721007049
352 pages
Editions des Femmes (17/10/2019)
4.43/5   7 notes
Résumé :
Jessica Stern, spécialiste reconnue en matière de terrorisme, met en regard pour la première fois son remarquable parcours professionnel avec un parcours personnel soigneusement tu jusque-là, marqué lui aussi, comme elle le révèle, par la terreur: celle d’un viol subi à l’âge de quinze ans, mais aussi celle d’un trauma générationnel lié à la Shoah.
Dans ce récit inédit, l’autrice reprend peu à peu possession de son histoire, notamment en remontant la piste de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Jessica STERN ou la volonté de comprendre

Spécialiste du terrorisme reconnue, Jessica STERN est l'auteur de livres de référence, dont un best seller de 2015 (non traduit en français) sur l'organisation "Etat islamique", appelée aujourd'hui plus couramment "Daech" et en anglais "Isis", écrit en collaboration avec JM BERGER. Début 2020, elle fait paraître un livre issu de deux ans d'entretiens dans sa prison en 2014-16 avec Radovan KARADZIC, théoricien et organisateur d'actions génocidaires en Bosnie, dont le fameux massacre de Srebreniça en 1995. Celui-ci est une des références majeures des suprémacistes blancs auteurs de massacres de masse de ces dernières années en Norvège et en Nouvelle-Zélande.
Elle s'explique ainsi sur son site face à ceux qui l'accusent de "complaisance" :

https://jessicasternbooks.com/why-listen-to-evil-men/
Cette volonté de comprendre peut-elle nous armer contre la répétition des actes violents ? Avant de répondre à cette question, se pose celle des effets de la violence subie.

Tel est l'objet du livre "Déni" qui part d'une violence subie personnellement : le viol de Jessica Stern et de sa soeur chez elles par un inconnu, jamais retrouvé, alors qu'elles avaient quinze et quatorze ans, en 1973.

Ce n'est qu'en 2006, qu'après avoir consulté une thérapeute et ainsi appris qu'elle "souffrait peut-être d'un état de stress post-traumatique (ESPT)" (p 12), qu'elle se décide à revenir sur cette affaire et à demander copie du rapport de police.
C'est le début d'une longue enquête doublée d'une prise de conscience des différents dénis qui ont suivi cet événement.
le livre rend scrupuleusement compte du ressenti de l'autrice aux différentes étapes, ainsi que des révélation collatérales qui accompagnent son enquête.
J'apprécie particulièrement le va et vient entre ce vécu et la théorisation progressivement exposée des effets et des causes de la violence sexuelle qui permet d'élargir le champ à toutes les expériences comparables.
C'est ce qui rend ce livre à la fois prenant et éclairant.

Je prends ainsi conscience de la force du déni qui s'exerce à tous les niveaux.
"J'ai vite réalisé que j'avais oublié la plupart des détails du viol, même si je n'étais pas une enfant en bas âge au moment des faits."(p 13-4)
"Apparemment, la collectivité toute entière était en situation de déni. Les policiers avaient bâclé l'enquête. Ils avaient rapidement abandonné les recherches. Ils ne nous ont pas crues, ma soeur et moi, quand nous leur affirmions ne pas connaître notre agresseur. Et le viol sous la menace d'une arme était une chose inimaginable dans la petite ville de Concorde, Massachusetts, en 1973."(p 14-5)
Et ce déni existe aussi dans l'entourage des victimes "qui veut reprendre sa vie". (p 15)

Or, ces dénis ont différentes conséquences. le déni personnel se traduit par un mélange d'hypo et d'hyper-sensibilité ( ce qu'on appelle des états dissociés) . le déni policier par de nombreux viols potentiels d'enfants supplémentaires. le déni familial par le renforcement d'autres dénis antérieurs et leurs compensations pathologiques (recherche du danger par exemple).

Un élément fondamental de ces différents dénis est la honte.
Honte que l'on va retrouver du côté des proches de l'auteur du viol, une fois celui-ci découvert grâce à l'action d'un policier qui réouvre l'enquête.
Car celui-ci est finalement identifié post-mortem. Et on lui attribue rétrospectivement pas moins de 44 viols commis entre 1971 et 1973 sur des jeunes ou très jeunes filles de 9 à 19 ans. Il a été en fait poursuivi, 10 jours après le viol de Jessica et sa soeur et incarcéré pour trois d'entre eux, bien qu'il nie toute responsabilité. de fait, la plupart de ses crimes restent non élucidés pendant 33 ans. Après sa libération, dix-huit ans plus tard, il revient dans sa ville natale de Milbridge, Massachusetts, où il vit dans un état de semi-clochardisation sous la surveillance de la police locale. Il finit par se pendre à l'âge de 59 ans, en 2006, dans la maison de sa mère.
Suit une longue enquête de l'autrice sur son entourage pour tenter de reconstituer son itinéraire et ses motivations. Puis auprès de ses autres victimes.
On partage avec elle également son auto-investigation sur les effets de ce viol sur elle et sur les réactions de son entourage à elle, qui permet de mettre au jour les autres traumas familiaux : enfance de son père dans l'Allemagne nazie, mort prématurée de sa mère...
Il en ressort peu à peu que le violeur est lui-même certainement en état de stress post-traumatique : "Les personnes qui ont connu Brian Beat dans sa jeunesse le décrivent comme un garçon "beau", "brillant" et "sympa" la plupart du temps. Mais ce garçon était aussi capable d'actes de cruauté imprévisibles et gratuits, surgissant à l'improviste, comme s'il se transformait subitement en un autre individu." (p 328)
Les éléments biographiques recueillis induisent différentes hypothèses sur les traumas qu'il a pu subir : il apprend qu'il est un enfant adopté "dans une cour de récréation de la bouche d'un enfant qui cherchait à le blesser et sans plus de précisions", "bien qu'il ne fût pas ouvertement homosexuel (...) il fréquentait les bars gays et avait été exempté su service militaire en raison de son homosexualité alléguée", "il avait grandi dans une partie du Massachusetts qui était un point de chute pour prêtres pédophiles (...) L'église que fréquentait sa famille, en particulier, a été marquée par une série de prêtres prédateurs(...) Il existait des rumeurs d'abus sexuels au sein de son école élémentaire du temps où il y était scolarisé"(p 329).

Dénis sociaux et institutionnels

Quelques éléments de contextualisation sont apportés. Tout d'abord sur la pédophilie dans le diocèse de Boston. le scandale n'éclate qu'en 2002. Jessica Stern en rencontre une victime qui s'attache à transformer la honte en rage. Car si l'Eglise a finalement retiré son ministère au prêtre qui l'a utilisé comme objet sexuel pendant des années, "apparemment elle ne considère pas la pédophilie comme un péché suffisamment grave pour justifier une excommunication. Voici les crimes qui constituent les péchés les plus graves aux yeux de l'Église : tenter d'absoudre une personne ayant commis l'adultère, subir un avortement, violer le secret de la confession, blesser physiquement le pape. Mais persuader un enfant, de façon répétée, que se laisser sodomiser par un prêtre est un acte d'amour, non." (p 277) le prêtre violeur est même invité par l'évêque du Texas une fois mis en cause (ibidem).
On trouve ici en filigrane encore une fois l'idée universellement répandue que la victime a fait preuve de faiblesse, voire de complaisance envers son agresseur. Cette pensée maligne alimente le déni social et institutionnel. Elle contribue à entretenir la honte et le silence.
On retrouve la rage face à ce déni avec le récit d'une autre victime de Brian Beat que Jessica Stern finit par retrouver et rencontrer.
"Quand je lui ai remis la liste des viols commis dans son quartier en 1971, Lucy était furieuse. Si seulement la police avait informé la population locale, a-t-elle dit, elle n'aurait sans doute jamais été violée.A ce moment-là, il y avait déjà eu onze incidents dans un périmètre restreint autour de l'Université de Radcliffe." (p 322)
La raison avancée par le commissaire de Harvard consulté par Lucy : "c'était une autre époque. le viol n'était pas considéré de la même façon que maintenant." (ibidem)
Et en effet, on revient de très loin sur cette question. Et le chemin n'est pas terminé à voir les différentes réactions à des affaires récentes.

Du viol aux victimes de guerre

On aborde enfin, à travers la notion d'état de stress post-traumatique (ESPT) la question de l'universalité des réactions aux traumas.
Jessica Stern rencontre un soldat revenu d'Irak pour répondre à la question : "Est-il réellement possible, comme l'affirment les spécialistes, que le viol ou la "violence relationnelle" à long terme, pour reprendre le jargon psy, puisse avoir des effets comparables à la terreur de la guerre ?" (p 331-2)
Erik a été gravement blessé par un EEI (Engin Explosif Improvisé) en 2007. Il avait dû s'engager dans l'armée pour 4 ans en 2002 afin de rembourser ses études de cusinier haut de gamme. Une fois son temps terminé, il est rappelé pour être remis sur le terrain : c'est alors qu'il est blessé.
A son retour, une fois les dégâts physiques plus ou moins réparés, il doit attendre plus d'un an avant d'obtenir une consultation psychologique. Elle dure demi-heure et le psy le renvoie en lui disant : "Vous pouvez gérer. Vous ne faîtes pas partie des pires. Vous allez bien en fait."(p 359)
A lire la liste des symptômes qu'il détaille, on se demande comment vont "les pires".

Impossibilité de fréquenter les lieux bondés ou bruyants, agressivité incontrôlable au volant, incapacité de se concentrer sur deux tâches à la fois, lenteur au travail, vertiges, alternance non contrôlée d'hyper et d'hypo-vigilance, troubles du sommeil...Il est clair qu'il est loin d'une vie "normale".
Or ces symptômes, atténués, sont les mêmes que rencontre Jessica Stern...plus de trente-cinq ans après son viol.

Quant "aux pires", il s'agit bien évidemment de ceux qui passent à l'acte violent. Il n'y a là cependant aucune fatalité si la prise en charge par la société à travers notamment la verbalisation des symptômes et leur mise en relation avec le trauma est faite. Et c'est bien l'un des objectifs du livre.
Cela suppose cependant de dépasser la honte en acceptant sa peur et toutes les émotions associées et en gardant ou reconquérant la capacité à aimer et être aimé. Ce que l'autrice appelle "ranimer des émotions" qui ont été enfouies pour résister au choc.
"A terme, le déni corrode l'intégrité – des individus comme de la société. Nous faisons payer un prix terrible aux personnes psychiquement blessées en devenant complices de leur déni." (p 420) Or, "le déni est d'un attrait presque irrésistible" (ibidem)...
Lien : https://vert-social-demo.ove..
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Si je peux le comprendre, je peux me débarrasser de lui

Dans sa préface, Jessica Stern indique : « Cela fait vingt ans que j'étudie les causes du mal et de la violence. Jusqu'à présent je ne me suis jamais demandé pourquoi ce travail m'intéressait, ni ce qui me rendait capable de le faire. Ce livre répond à une question qui m'est posée à chaque fois que je parle de mes recherches sur le terrorisme. Comment une « fille » telle que vous a-t-elle pu se rendre dans des camps d'entraînement terroristes au Pakistan ? N'aviez-vous pas peur ? La réponse, c'est que je n'avais pas conscience d'avoir peur – et ce livre explique pourquoi. Après une série de traumatismes, on peut perdre la capacité de ressentir la peur de façon adéquate. ».

L'autrice aborde son expertise du terrorisme, sa réaction singulière à la peur, « La peur me rattrapait néanmoins par d'autres biais », son ignorance des effets bien connus du traumatisme, l'état de stress post-traumatique (ESPT), le souvenir écarté de son viol, la compréhension des motivations profondes de ceux qui faisaient mal aux autres, « Au lieu de ressentir la terreur, je l'étudiais »…

Des questions autour de l'histoire du garçon avant le viol, de la menace de mort et des réactions, du calme ou de l'engourdissement au lieu de la terreur, de la sécurité ressentie dans des situations, des bruits et des odeurs et des effets d'effroi…

« L'histoire s'est révélée avoir une portée qui dépassait de beaucoup le viol de deux adolescentes. Apparemment, la collectivité tout entière était en situation de déni. Les policiers avaient bâclé l'enquête. Ils avaient rapidement abandonné les recherches. Ils ne nous ont pas crues, ma soeur et moi, quand nous leur affirmions ne pas connaître notre agresseur. Et le viol sous la menace d'une arme était une chose inimaginable dans la petite ville de Concord, Massachusetts, en 1973. J'allais découvrir que le déni est infiniment séduisant. Il est irrésistible pour l'entourage qui veut reprendre sa vie. Pour la victime elle-même, le déni et la dissociation sont ce qui lui permet de rester en vie au moment où la terreur s'exerce. Mais à long terme, le déni peut être dangereux. Dans notre cas, le déni collectif s'est soldé par de nombreux viols d'enfants supplémentaires – au moins quarante-quatre – et le suicide d'au moins une des victimes ». La séduction du déni, le déni et la dissociation…

« Ce livre retrace l'enquête menée par la police pour résoudre ce crime resté longtemps non élucidé, et ma propre enquête pour tenter de découvrir comment son auteur en est arrivé à devenir un violeur d'enfants ». L'effroi de mener une enquête au coeur de sa propre histoire…

Comme en prélude, Jessica Stern nous parle d'elle, de Chet, de grandpa, de sa soeur, de corps. Elle saute dans la mer des réalités et des rêves, de cette aide que personne ne peut lui apporter, d'une limace qui n'avait pas le droit d'être là, de l'exultation de nager et d'une sorte de peur, de vaincre la limace de mer de ses terreurs…

« Je sais que j'ai été violée. Mais voilà ce qui est étrange. Si ma soeur ne l'avait pas été aussi, si elle n'avait pas gardé le souvenir – si je n'avais pas, ce rapport de police devant moi sur mon bureau -, il se pourrait que j'aie des doutes sur la véracité de mon viol ». L'autrice revient sur ce fait que les uns et les autres n'avaient pas pris au sérieux, le déni et l'incrédulité, l'état dissocié, le trauma, la honte, « la protestation sourde de toutes les femmes violées et renvoyées à la honte et au silence », la peur d'être incapable d'aimer, les discordances en elle, cette petite fille « à laquelle j'essaye de m'accrocher », le moi retiré dans un espace de blancheur infinie, le criminel vu comme une victime, l'indifférence, « Indifférence est une maladie dangereuse »…

Le déni et la remontée dans le temps, le temps croisé d'autres dénis et d'autres « héritage », le temps du père et de la destruction des juifs/juives en Allemagne nazie, la première expérience sexuelle liée à un danger, « En relisant ces notes à présent, je ne comprends plus comment mon père et moi avons pu autoriser ces mots à exister réellement entre nous, à être prononcés à voix hautes, ces vérités terribles, pas faites pour être saisies avec des mots », la nausée, « Elle me vient quand il y a une émotion puissante qui n'est pas ressentie », les hontes qui se croisent et se regardent…

L'enquête est menée, le criminel se révélera aujourd'hui décédé, « le violeur, nous dit Paul, est mort ». Les éléments sont indissociables des dénis, de la honte, de la honte de la peur, des émotions contagieuses, de la dissociation, « Je parle d'une partie de moi qui est presque totalement autre, jumelle siamoise maltraitée, désormais méprisée, et qui a survécu à toutes les tentatives pour l'expulser ». La mémoire, des informations gardées pour soi, les recoins inaccessible de l'esprit, les mères malades, les loups qui occupent le terrain, les secrets, « les secrets qui ne sortent pas du silence, qui deviennent malfaisants à force de ne pas être dits », les attraits du déni, les réponses et les questions, « Cependant, les réponses que j'obtiens ne sont pas nécessairement liées aux questions que je pose. Et je ne suis pas toujours prête à les entendre »…

L'entourage et le déni (En complément possible, Sabine Moller, Karoline Tschuggnall, Harald Welzer : « Grand-Père n'était pas un nazi ». National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale), celles et ceux qui pensent et peignent le criminel en brave type. Je souligne quelques phrases fortes de Jessica Stern, des mots pour dire l'indicible :

« L'impact du viol se distille au ralenti, se répand comme une montre molle de Dali, devient une flaque de honte »

« Etre violé·e ou agressé·e ou menacé e de mort violente ; être traité·e comme un objet dans le rêve d'un prédateur, plutôt que comme sujet de son rêve à soi, c'est déjà assez dur. Mais quand l'entourage se fait complice de votre désir d'oublier, il se transforme lui aussi en agresseur »

« Une victime qui a souffert du déni des autres finit pas s'accuser elle-même de mensonge ».

Donc le déni aussi de la criminalité du violeur, le masque des mots et les soi-disant relations sexuelles, et, enfin quelqu'un qui rompt le déni, « Enfin quelqu'un qui n'éprouve pas le besoin de se protéger – et de me punir – à coup de déni ».

Je souligne aussi la force de certains échanges, « Je sens mes épaules se contracter. Je redoutais d'entendre ça. Je veux savoir, mais en même temps je ne le veux pas », ce qui autorisent « son statut de victime à occuper cette place centrale dans l'idée qu'il a de lui-même »…

Le déni aussi des prêtres catholiques pédocriminels, les enfants victimes, la transmission des dommages collatéraux, le poids des mots qui tirent vers le bas, les rituels associés à certains viols, le déni des effets des guerre, le tracé de douleur qui ne suit pas l'ordre temporel, l'accumulation des dénis, les effets persistants du traumatisme, « je sais que je ne serais jamais « guérie » », des terroristes et l'humiliation, l'importance possible des viols récurrents « dans les madrasa radicales » du Pakistan, les femmes et les hommes victimes, « Nous faisons payer un prix terrible aux personnes psychiquement blessées en devenant complice de leur déni »…

« Je dois prendre la parole pour celles et ceux qui ne le peuvent pas ». Mais il faudrait pas sous silence celui ou celle qui lit ou lira ce livre « Et tout cela me conduit à m'interroger sur toi, qui tient ce livre entre les mains »…

Un livre d'une rare force.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Je remercie Babelio et les Éditions des Femmes-Antoinette Fouque pour m'avoir adressé ce livre dans le cadre de la Masse Critique de février 2020.

J'avais sélectionné ce livre dont le sujet m'apparaissait très intéressant au regard de la démarche actuelle de dévoilement des actes de violences sexuelles, et de la personnalité de l'auteure, spécialiste internationale du terrorisme.

Ce livre n'est cependant pas la simple autobiographie d'une victime devenue adulte à la recherche de celui qui l'a violée, ainsi que sa soeur, sous la menace d'une arme, alors qu'elles avaient respectivement quinze et quatorze ans.

Non, comme l'auteure elle-même l'indique, il s'agit bel et bien d'un mémoire, d'un travail de recherche, évidemment à partir d'une base profondément personnelle, sur les effets engendrés par des épisodes de violences subies par des victimes : victimes de guerre, de viol, soldats de retour au pays …

Car l'auteure explore à la fois sa propre recherche de la compréhension de divers comportements qu'elle a développés après ce viol qui a détruit son adolescence et sa vie d'adulte, mais aussi à travers l'histoire familiale, le déni des douleurs portées par son père rescapé de la Shoh, et l'impossibilité pour lui d'évoquer avec ses enfants leur mère morte très jeune d'un cancer.

On suit le cheminement intérieur, les pensées et les sentiments – ceux qu'elle tient tant à repousser – de cette éminente spécialiste du terrorisme, qui l'assaillent au fur et à mesure de sa quête pour retrouver son violeur, l'entourage de celui-ci et d'autres victimes potentielles.

Le déni, qui l'a aidée à faire face à de sombres crapules, lui aurait ainsi permis de développer des facultés d'hypervigilance que l'on retrouve fréquemment dans les états de stress post-traumatiques (ESPT). Mais d'autres conséquences physiques et psychologiques sont beaucoup plus lourdes à porter : distanciation extrême vis-à-vis du ressenti d'autrui pour ne pas se confronter au sien propre, perte de repères spatiaux, somnolence, …

Elle évoque la honte qui semble marquer toute personne qui se déclare victime de violences, le regard des autres qui change, l'impossibilité parfois à se considérer pleinement comme une victime.

Son travail de recherche sur les effets du déni de terreur par la victime elle-même, son entourage, voire la société, est tout à la fois violent et passionnant. Violent, car pour se départir de ce déni, il faut poser enfin des mots sur des actes (et quel acte de bravoure que d'oser lire les dossiers des autres victimes, rangés dans la corbeille de la cheminée !) ; passionnant, car Jessica Stern évoque différentes typologies de ce déni, et notamment les traumatismes transgénérationnels et les effets d'un manque de communication à ce sujet sur les enfants et petits-enfants de ceux qui les ont subis. Elle s'interroge également, avec effroi, sur la persistance de la colère, rentrée bien souvent, face à une violence subie, qui amènerait une ancienne victime à devenir elle-même un agresseur.

Malgré mon grand intérêt, j'ai cependant eu bien du mal à lire ce livre, notamment du fait enfin de l'empathie que je n'ai pu manquer d'éprouver pour l'auteure.

La distanciation éprouvante qu'elle s'impose pour ne pas ressentir elle-même cette empathie qui la ferait s'effondrer, c'est ce que j'ai essayé de pratiquer tout au long de cette lecture, que j'ai dû hâcher, jour après jour, pour ne pas y succomber.

C'est un livre dont je relirai certains passages, car la réflexion qu'il offre sur le silence organisé autour des violences subies est un vrai coup de pied dans une fourmilière encore trop « susceptible » à cet égard, même si l'édition initiale date de 2010, et que « MeToo » a depuis fait exploser le système.

Il s'agit donc d'un ouvrage que je recommande aux victimes de violences, car il peut les aider dans leur cheminement vers la guérison ou, à défaut, à la prise de conscience de leur « statut de victime » et à ceux qui s'interrogent également à cet égard, mais avec de grandes précautions tant il est bouleversant.

lirelanuitoupas.wordpress.com
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[Livre remporté lors d'une Masse Critique, encore merci à l'équipe Babelio et à l'éditeur]
Un récit poignant, complètement bouleversant ! Les thématiques abordées sont très dures mais il est nécessaire d'en parler. L'auteure nous relate son expérience personnelle face au déni qu'a engendré son viol lorsqu'elle était adolescente. Son déni à elle, mais aussi celui de ses proches et des autres. Au travers de diverses interviews, elle tente de retracer ces événements douloureux ainsi que de découvrir qui était son violeur. Elle aborde également les conséquences des traumatismes et notamment leurs répercussions sur le ressenti de la peur. Les mots utilisés par l'auteure sont tellement justes et bien choisis.
Ce livre est une belle leçon d'espoir pour toutes les victimes de la terreur, qu'elle soit engendrée par un viol, la guerre ou autre.
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Jessica Stern, spécialiste américaine en matière de terrorisme, décide de se pencher dans cet essai autobiographique sur ses propres traumatismes.
Issue d'une famille juive allemande émigrée, le spectre du nazisme plane sur sa famille.
Elle se remémore la mort de sa mère, alors qu'elle était âgée de 4 ans, la séparation d'avec sa belle-mère suite au divorce de son père, mais surtout les gestes déplacés de son grand-père et le viol que sa soeur et elle ont subi à 15 et 14 ans.
L'enquête sur ce viol, réouverte récemment, a permis d'identifier le violeur, multi-récidiviste. Jessica Stern se penche sur la personnalité de cet homme pour essayer de comprendre comment il a pu en arriver là.
Ce livre lui permet de revenir sur ce choc terrible et de se délivrer des traumatismes du passé...
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critiques presse (1)
Actualitte
04 décembre 2019
C’est une histoire sur la terreur, la rage, la douleur, et enfin sur la honte. C’est un récit inimaginable sur ce qui est pourtant arrivé. À elle…, mais aussi à elles… , à eux… C’est un témoignage sur la force humaine. C’est enfin un acte de courage, la prise de parole pour celles et ceux qui ne peuvent pas parler.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
L’histoire s’est révélée avoir une portée qui dépassait de beaucoup le viol de deux adolescentes. Apparemment, la collectivité tout entière était en situation de déni. Les policiers avaient bâclé l’enquête. Ils avaient rapidement abandonné les recherches. Ils ne nous ont pas crues, ma sœur et moi, quand nous leur affirmions ne pas connaître notre agresseur. Et le viol sous la menace d’une arme était une chose inimaginable dans la petite ville de Concord, Massachusetts, en 1973. J’allais découvrir que le déni est infiniment séduisant. Il est irrésistible pour l’entourage qui veut reprendre sa vie. Pour la victime elle-même, le déni et la dissociation sont ce qui lui permet de rester en vie au moment où la terreur s’exerce. Mais à long terme, le déni peut être dangereux. Dans notre cas, le déni collectif s’est soldé par de nombreux viols d’enfants supplémentaires – au moins quarante-quatre – et le suicide d’au moins une des victimes
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Cela fait vingt ans que j’étudie les causes du mal et de la violence. Jusqu’à présent je ne me suis jamais demandé pourquoi ce travail m’intéressait, ni ce qui me rendait capable de le faire. Ce livre répond à une question qui m’est posée à chaque fois que je parle de mes recherches sur le terrorisme. Comment une « fille » telle que vous a-t-elle pu se rendre dans des camps d’entraînement terroristes au Pakistan ? N’aviez-vous pas peur ? La réponse, c’est que je n’avais pas conscience d’avoir peur – et ce livre explique pourquoi. Après une série de traumatismes, on peut perdre la capacité de ressentir la peur de façon adéquate.
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Etre violé·e ou agressé·e ou menacé e de mort violente ; être traité·e comme un objet dans le rêve d’un prédateur, plutôt que comme sujet de son rêve à soi, c’est déjà assez dur. Mais quand l’entourage se fait complice de votre désir d’oublier, il se transforme lui aussi en agresseur
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Je suis obligée d’entamer des recherches. Cependant, les réponses que j’obtiens ne sont pas nécessairement liées aux questions que je pose. Et je ne suis pas toujours prête à les entendre.
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Il y a quelque chose d’attrayant dans l’idée de devenir terroriste quand on a été terrorisé•e. On aimerait répondre à la terreur par la terreur. Mutiler, voire tuer son agresseur au nom de la légitime défense. Je pourrais écraser ce pédophile. Je pourrais lui expliquer :  « Tu n’as pas ce qu’il faut, ni pour le corps, ni pour l’âme. Tu n’es pas un homme. »
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