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Le paradis est ailleurs et nombreux sont les touristes qui se risquent à poser définitivement leurs valises sous les tropiques pour commencer une nouvelle vie. L'Allemand Wolfgang Kreutzer est de ceux-là. Séduit par Margarita, la perle des Caraïbes, il décide d'y ouvrir un bar avec son épouse. On retrouvera son corps sur la plage. Sa mère Edeltraud qui ne croit pas à la thèse de la noyade charge l'avocat Jose Alberto Benitez de mener l'enquête. La mort de Kreutzer est le point de départ d'une réflexion sur la géographie d'une île de carte postale, lorsque derrière ce décor se dissimule une autre réalité, perceptible par celui qui accepte de s'y perdre. L'île invisible de Suniaga s'ouvre sur la séduction exercée par ce "tercer mundo" tropical, malgré les différences d'abord évidentes entre lui et les pays occidentaux, entre ce morceau de Vénézuéla perdu au large des côtes et l'Allemagne. Aux yeux des touristes de passage, la beauté de l'île séduit malgré les vérités vite perceptibles et dérangeantes, l'organisation du pays, le poids de la bureaucratie, la relation au temps qui passe, l'indolence, la sexualité... Les stéréotypes affluent, Dieter, Edeltraud, ne peuvent s'empêcher de mettre en balance l'ici et l'ailleurs... Mais l'étranger, puis le lecteur, perçoivent peu à peu une autre Margarita, tentaculaire, complexe, plurielle. Il y a celle qui différencie subtilement les îliens des Vénézuéliens du continent, celle qui porte le poids du militantisme et du communisme qui la rapproche et l'éloigne des "pays frères", celle curieuse du mode de vie des Européens et qui garde en mémoire une trace de leur passage et enfin, celle qui exerce une étrange et irrationnelle attraction sur les Occidentaux. Wolfgang happé par les combats de coqs, ne maîtrisera plus sa vie, sa femme Renata quant à elle se découvrira une nouvelle féminité... Un souffle de réalisme magique passe au-dessus de Margarita, les rêves murmurent à l'oreille des hommes - avec en filigrane les mots de Conrad et de Rulfo- ne laissant aucune chance à celui qui s'y installe: "Ce qui l'en a empêché, c'est cette chance, le mécanisme magique de cette île, celui qui laisse la vie et la mort entre les mains de la fortune et qui semble se trouver derrière toute chose." L'habile construction du roman, à partir d'un système d'isotopies, avec des personnages qui s'organisent et fonctionnent par couple, nous guide et nous perd tout à la fois. L'individu est lui-même et un autre que lui -même: Benitez, l'avocat plus intéressé par la littérature que par le Droit et Pedro Boada, le psychiatre qui ne peut exercer, l'Allemand Wolfgang, obsédé par l'entraînement des coqs de combat et son mentor Fucho... Suniaga ne créé aucun héros, aucun personnage salvateur ou omniscient pour nous dire toute la vérité sur l'affaire Wolgang Kreutzer. Se greffent à cette structure narrative complexe de très belles pages sur les combats de coqs -qui nous rappellent le gouverneur des dés de Raphaël Confiant- et l'univers des parieurs au sein duquel l'agressivité est canalisée, ritualisée dans l'enceinte des gallodromes pour prévenir la violence latente. Dans ce surprenant et remarquable premier roman, Francisco Suniaga montre habilement que l'île invisible est celle d'un peuple métissé dont la culture est née de toutes les cultures, et que pour comprendre la vérité de Margarita, il ne faut pas l'opposer à la vérité de l'Occident. + Lire la suite |