Ah ! si Gulliver n'avait pas existé ! C'est tout une partie de notre imaginaire qui partirait en capilotade ! Déjà le simple concept de la « dimension ». Depuis l'antiquité, on connaissait les géants,
Rabelais s'en était emparé, avec le succès que l'on sait, et ils perduraient encore dans l'imaginaire enfantin des contes de fées. Mais Swift ajoutait cette dimension supplémentaire : être petit chez les grands et grand chez les petits, d'où l'idée de « rapport ». Douze ans plus tard,
Voltaire s'en souviendra sans doute en écrivant « Micromégas ». Et réduire « Gulliver » à Lilliput et Brobdingnag est pour le moins arbitraire, et de plus totalement inepte, car il ne s'agit là que des deux premières parties (l'ouvrage en compte quatre), les plus propres à frapper l'imagination d'un lecteur moyen qui ne chercherait que l'évasion (quoiqu' une lecture philosophique de cette allégorie est très possible et même recommandée)
Il faut donc lire les «
Voyages de Gulliver » dans leur intégralité. le titre original anglais est : « Travels into Several Remote Nations of the World. In Four Parts. By Lemuel Gulliver, First a Surgeon, and then a Captain of Several Ships », c'est-à-dire « Voyages dans plusieurs nations du monde. En quatre parties. Par Lemuel Gulliver, ancien chirurgien, et par la suite capitaine de plusieurs bateaux ». On peut comprendre que les traducteurs aient eu quelques réticence à adopter ce titre, et très vite, le roman est devenu populaire sous son nom actuel : « Gulliver's travels », c'est-à-dire «
Voyages de Gulliver ».
Les quatre parties correspondent aux quatre voyages principaux :
Voyage à Lilliputt : Gulliver à la suite d'un naufrage, échoue sur l'île de Lilliput où les habitants qui mesurent 15 cm de hauteur, sont en guerre avec ceux de l'île voisine, Blefescu, au sujet d'un problème majeur : faut-il casser les oeufs durs par le gros bout ou par le petit bout ? Gulliver n'arrivera pas à réconcilier les deux peuples et devra fuir.
Voyage à Brobdingnag : Gulliver tombe sur cette fois sur île de Géants où c'est lui qui fait figure de lilliputien. Pris en amitié par une « fillette », Glumdalclitch, il devient le jouet favori de la Cour où il essaie, sans succès, d'expliquer les rouages de la politique anglaise. Enlevé par un aigle, il revient en Angleterre.
Voyages à Laputa et autres contrées lointaines : Pris du démon du voyage, Gulliver repart vers des régions inconnues : il tombe sur des civilisations où règne la science (au point de rendre les gens insensibles à toute autre notion), d'autres où il faut une cloche ramener continuellement les gens à la réalité, d'autres encore où les habitants sont immortels : malheureusement, seule la mort est abolie, pas la vieillesse, ni la maladie, ni la méchanceté, ni la bêtise… Enfin une île peuplée de sorciers qui permettent à Gulliver de converser avec des « sages » de tous les pays et de tous les temps : il se rend compte alors que tout a été dit, et que dans tout ce qui a été dit, une bonne partie est constituée de mensonges, et l'autre de bobards.
Voyage au pays des Houyhnhnms (prononcez comme vous pourrez) : c'est le paradis : des chevaux beaux, intelligents, parvenus au faîte des connaissances, de la raison et de la sagesse sont les maîtres des « Yahoos » (on avait dit Pas de pub !) qui se révèlent être … des humains (ou ce qu'il en reste).
Ayant fait le tour de tous ces monde, Gulliver, comme Candide, n'a pas d'autre souhait que rentrer chez lui et, sinon cultiver son jardin, du moins finir ses jours dans une relative sérénité.
Roman allégorique et satirique, « Les
Voyages de Gulliver » appelle une multitude de lectures : philosophique, sociale, politique, religieuse, etc. le style employé, qui s'apparente à l'allégorie ou au conte philosophique, pourrait aussi bien être classé dans le fantastique, la science-fiction, la fantasy (
Tolkien s'est-il souvenu de Swift), bref de tous les secteurs de l'imaginaire littéraire.
Le cinéma n'est pas en reste : on retiendra le dessin animé classique de Dave Fleisher (1939), et la plaisant adaptation de Jack Sher en 1960, avec Kerwin Matthews