Le Mystère de Fédor Kouzmitch est un roman inachevé de
Léon Tolstoï que l'on retrouve dans ses oeuvres complètes, il est daté de 1906.
D'Ostoya et Masson, ses traducteurs français notent en 1925 ceci : "Le Mystère de Fédor Kouzmitch fut commencé en 1905, à l'époque où des recherches encouragées d'ailleurs par la famille impériale, étaient entreprises afin de déterminer si celui qu'on appelait l'ermite Fédor (mort à Tomsk, le 20 janvier 1864) n'était pas, comme le bruit en avait couru, l'ex-tsar
Alexandre 1er, dont la fin mystérieuse, en 1825, avait suscité des doutes.
Notons que, récemment, la question a été étudiée par M.
Maurice Paléologue sous le titre : les Enigmes de l'Empereur
Alexandre 1er, dans la Revue Universelle, août 1922).
Mais le mystère subsiste toujours."
Michel Aucouturier, grand spécialiste de tolstoï en France remet le couvert en 2017, il me semble que ce sont ses derniers écrits émérites pour Gallimard dans la collection folio classique, il écrit ceci :
"Le motif de la bastonnade (*), incarnant la cruauté du pouvoir impérial occupe aussi une place significative dans le dernier récit, inachevé, Notes posthumes du Starets Fiodor Kouzmitch (*), que le romancier a songé à inclure au 'Cercle de lectures". Mais le sujet est ici beaucoup plus ambitieux que dans les précédents (*) : dans son journal du 25 janvier 1891, évoquant le nom d'
Alexandre 1er, tolstoï parlait (en employant le français) de l'envie d'écrire "un roman de longue haleine". On comprend que la figure énigmatique et ambiguë du souverain, élève du républicain Laharpe et disciple de la mystique Julie de Krüdener, complice plus ou moins conscient du meurtre de son père Paul 1er, gouvernant tantôt avec le libéral Speranski, tantôt avec le despotique Araktchéïev, et ayant plusieurs fois, selon sa correspondance et ses confidences, éprouvé la tentation d'abdiquer, ait pu exciter son imagination. Mais sa source d'inspiration, fidèlement décrite dans les premières pages du récit, est une légende, dont le héros, est un personnage historiquement attesté : un certain Fiodor Kouzmitch, vagabond dont on ne connaît que le patronyme, apparu vers 1850 dans un village de Sibérie. On le désigne par le titre "starets, synonyme de "starik", vieillard, mais dans une acception respectueuse qui en fait un synonyme de "saint homme". Il a été hébergé pendant les dernières années de sa vie dans la propriété d'un marchand aisé, Khromov, qui, après sa mort en 1864, se serait adressé en vain au souverain régnant Alexandre II, pour faire reconnaître sa véritable identité,. Car très vite, la légende a couru qu'il s'agissait en réalité du tsar
Alexandre 1er, officiellement décédé le 2 décembre 1825. Elle s'appuie sur plusieurs faits, que tolstoï consigne fidèlement dans son introduction. Avant tout, les circonstances mêmes de sa mort, survenue de façon inattendue, à l'âge de quarante-sept ans, à la suite d'une indisposition sans gravité, dans la petite ville de Taganrog, au bord de la mer d'Azov, où le tsar avait accompagné à l'improviste sa femme, à laquelle son médecin avait prescrit un séjour dans le sud. Par ailleurs, la haute taille du personnage et sa ressemblance avec le tsar avaient frappé de nombreux témoins. D'autres témoignages tardifs décrivent des chairs tuméfiées du souverain présumé après sa mort, suggérant une flagellation. Enfin son comportement, ses manières, ce qu'il laissait deviner de son éducation, et même de sa connaissance du français ne s'accordaient pas avec son personnage d'homme du peuple et de vagabond.
tolstoï accrédite la légende en présentant son récit comme une
confession. Il commence par imaginer de la façon la plus réaliste le stratagème et les complicités qui auraient permis au souverain de substituer à son corps celui d'un soldat, mort à la suite du châtiment par bastonnade auquel il aurait assisté, spectacle qui serait à l'origine de sa prise de conscience et de sa décision de rejeter, avec le fardeau du pouvoir, celui d'en avoir partagé le péché. le motif obsédant de la bastonnade 1ertrouve ainsi sa place dans le récit consacré au personnage effectivement romanesque du tsar
Alexandre 1er. La dénonciation du pouvoir monarchique qui se rattache à la condamnation générale de l'organisation de la société qui développe sa réflexion philosophique depuis 1881, prend ici un accent religieux en se combinant à une autre constante de sa vie intérieure : le besoin du repentir et de l'expiation. 2crit en 1905, le récit est resté inachevé et a été publié pour la première fois en 1912, dans l'édition des oeuvres posthumes du romancier.
En abordant le personnage et sa disparition avec l'intuition d'un connaisseur des âmes, tolstoï a ajouté une pièce convaincante au débat sur la mort énigmatique d'
Alexandre 1er, qui n'est pas clos à ce jour."
(*) Bastonnade : volée de coups de bâton entre deux rangées de soldats, allant parfois jusqu'à la mort
(*) Notes posthumes du starets Fiodor Kouzmitich : fut le titre de la première publication.
Marcel Brion, ce passeur remarquable des arts, enfonce le clou en 1956 sur cette énigme historique : "
Alexandre 1er, ce souverain extrêmement doué, travailleur dont le but est la grandeur et la prospérité de son peuple, était dévoré par une inquiétude spirituelle qui ne lui laissait pas de repos et qui lui faisait chercher la paix de l'âme et les certitudes de l'esprit hors de l'église orthodoxe , jusque dans les sectes étranges où s'exaltait et de déviait en même temps son mysticisme naturel.
Marcel Brion reprend à son compte à propos de
Alexandre 1er, cette excellente expression de Joseph de Maistre : "Il fallait que cette mort arrive, (celle de son père) mais malheur à celui par lequel elle est arrivée"
Bibliographie:
Léon Tolstoï : Oeuvres posthumes Bossard 1925
Léon Tolstoï :
les Insurgés Folio Classique, 2017 de
Michel AucouturierConstantin de Grunwald :
Alexandre 1er, le Tsar mystique. 1955, Amiot-Dumont
Marcel Brion :
Alexandre 1er est-il bien mort à Tarangog en 1825. le Monde diplomatique 1956
Léon Tolstoï : Journaux et Carnets, 2 et 3eme tome, La Pléiade.