L'Oasis (1850-1860 ?)
Nouvelle
Oeuvres inédites et posthumes
Léon Tolstoï (1828-1910)
Cette nouvelle : l'Oasis a été écrite entre 1850 et 1860 et a paru dans les oeuvres posthumes de 1912. Ne cherchez pas, on ne la retrouve pas dans la Pléiade. Ils ont été prompts à publier les oeuvres de
Léon Tolstoï mais semblent s'arc-bouter sur leur version première , le choix éditorial fictionnel comportant l'étude n'est pas contestable, mais deux tomes de plus ne seraient manifestement pas vains sans parler du théâtre, des essais, de la correspondance. Ca fait 60 ans que c'est comme ça.. il faut espérer sur un petit Gallimard à naître ! Heureusement encore que le catalogue est renouvellé !
Le narrateur ressemble à Tolstoï lui-même. La rencontre de son oncle chez qui il séjourne fait écho au sentiment amoureux qui le taraude ; car son oncle aime la vie, aime les femmes, car il sait que chez lui il peut se confier librement et même faire des rencontres improbables.. le narrateur est séduit par cet ancien hussard de la Garde, ancien élève des jésuites ; il le résume en ces mots : sensible aux apparences extérieures : distinction, belles manières et conversation
Quand son oncle se raconte, et lui fait part de son expérience de vie, c'est comme un miroir de vie idéale qui fait effet sur lui et lui permet de vérifier quel pan de vie il n'a pas exploré ou ce qui semble faire défaut à sa jeune vie désoeuvrée. Alors fort de cette leçon, lui, venant de la ville se met à jouir des avantages de la campagne, sans vergogne, à chasser l'ours .. Mais très vite, il voit les limites de ces occupations qui finissent par l'ennuyer. Alors à regarder par la fenêtre de sa gentilhommière mise à sa disposition par l'oncle, il s'enivre des senteurs des bouleaux, des sapins, qui l'invitent à autre chose au bout du compte, les plaisirs de la vie qu'il semble humer comme un animal assoiffé de vie et que l'instinct va guider. C'est l'oncle qui va lui en donner la possibilité.
Pendant que l'oncle se complait en la compagnie de Madame Alona Silovna qui lui fait l'honneur de sa visite, c'est la vue de sa fille qui va le bouleverser ; les premiers signes de l'amour sont palpables, le trouble est total... le double de Tolstoï ado arrive à vaincre sa timidité, mais comme un timide qui se dévergonde, il n'y va pas avec le dos de la cuiller !
Ce texte est réputé non achevé. Je me demande s'il n'a pas reformulé son affaire en écrivant pendant cette période les
Deux hussards écrit en 1856, court roman plus ambitieux. A vérifier ! Ce ne serait pas la première fois que l'écrivain russe abandonne un projet pour un dessein plus grand. Il est donc fort possible que
Léon Tolstoï ne soit pas allé jusqu'au bout de son entreprise à cause du fait qu'il s'exposait de trop : il a toujours répudié de parler de lui (*) et en tout cas a adopté comme principe quand c'est le cas de le faire vivre par des prêtes-noms. La meilleure manière de parler de soi après tout n'est-elle pas de faire parler les autres, confort intime qu'un écrivain peut se permettre ! La limite étant ici qu'il fait dejà parler son oncle. Bon, mais cela est un autre sujet qui risquerait de nous entrainer bien loin en analyse à part le cas présent.
L'Oasis texte tient à la fois du récit et du roman ; tout semble vraisemblable là dedans, comme une
confession et donc aussi comme quelque chose de singulier. L'auteur semble gêné par cet exercice de l'impudeur qu'on devine en filigranes. Ce retour sur ses 16 ans qui n'est pas un âge comme les autres chez les ados : ils se croient dans la cour des grands alors qu'ils ne sont que des blancs becs. Cette confrontation entre deux générations a du bon et constitue en tout cas un plaisir de lecture manifeste . A son avantage, l'auteur exploite les premiers sentiments et tourments de l'amour comme sujet que tout le monde semble connaître à des degrés divers et pourtant rarement analysés avec une telle observation, à la fois brillante et profonde.
Léon Tolstoï signe déjà là sa marque de fabrique littéraire qui va le pourquivre toute une vie. Tel était chez l'artiste son génie propre !
(*) A propos d'égocentisme, Tolstoï écrit le 2 avril 1876 à son ami Nicolas Strakhov : "Pascal serrait sa ceinture garnie de clous chaque fois qu'un éloge lui faisait plaisir. J'aurais bien besoin, moi aussi, d'une pareille ceinture"