L'écrivain français, à la fois théoricien et pratiquant l'autofiction, livre ici un récit éminemment personnel, entre l'autobiographie et l'essai, dans lequel il évoque, par des détours subtils à des références littéraires et artistiques, sa ville d'adoption, Naples, lui qui vient d'une Normandie pluvieuse et d'un milieu populaire...
"Ce serait oublier que Naples est bourgeoise à sa façon, aristocrate plutôt, et que le peuple napolitain, installé dans ses bassi ou ses palais délabrés du Vomero, offrant parfois une vue sur la mer, sous un ciel d'un azur aussi immuable qu'insolent a finalement peu d'affinités avec le peuple mélancolique et prostré des immeubles de banlieue parisienne ou des provinces pluvieuses. le peuple napolitain vit avec fatalisme dans une précarité spectaculaire, il ne geint ni ne chôme pas, il jouit de son infortune tout en se débrouillant, en rendant des services, parfois de manière illégale, pour gagner son pain et nourrir son orgueil. le peuple napolitain est humble sans être forcément modeste, il est fier de son prestige d'antan, et sûr de sa forte présence. En cela, ce peuple est aristocrate."
Car Naples la colorée est un syncrétisme de pratiques religieuses et culturelles encore marquée par l'abandon du Nord, qui y enterre ses poubelles en toute illégalité, par sa rivalité avec Rome, qui lui a ravi sa place de capitale... Illégalité bien plus complexe que ne le laisse croire
Roberto Saviano dans son "Gomorra" ; auteur qu'il fustige d'ailleurs pour donner une vision réductrice et néfaste de Naples :
"(...) le dilemme qu'a constitué son tournage (de "Gomorra") interdit dans plusieurs communes voisines de Naples par des maires à l'avance effrayés de voir leur ville réduite à des clichés, et soucieux de protéger l'honneur de leur ville comme de leurs habitants. Dilemme moral s'il en est, puisque nul n'est sans savoir à Naples que la série entretient des liens d'intérêt avec le monde mafieux qu'elle aime à stigmatiser, en versant des commissions à certains chefs de la Camorra (des épisodes ont été tournés dans la villa d'un parrain), en passant des contrats avec des entreprises liées à la Camorra comme en employant des acteurs et des figurants parfois en lien avec cette organisation. Pour sa première saison, "Gomorra" a donné un emploi à 4000 personnes, notamment des habitants du quartier de Scampia, où le taux de chômage s'élève à 60 % et où ont été tournées de nombreuses scènes"...
"D'ailleurs, les Napolitains sont souvent surpris qu'un étranger manifeste un sentiment positif sur leur ville, fatalistes et attachés qu'ils sont désormais à leur mauvaise réputation, celle d'un peuple camorriste donc, délinquant et violent stigmatisée par l'immense succès de "Gomorra", le livre au manichéisme réducteur du millionnaire
Roberto Saviano, égérie de la nouvelle et lucrative bien-pensance qui fait son miel d'une narration négative et stéréotypée de la ville : il est toujours facile, et intellectuellement paresseux, en effet, de penser le mal comme l'ennemi du bien sans envisager, plus encore à Naples sans doute où sont plus poreuses qu'ailleurs les frontières entre la légalité et l'illégalité, non seulement que le bien puisse aussi provenir du mal (créée au XIXe siècle, la Camorra, l'onorata società, était, à l'origine, destinée à protéger le peuple des abus des élites : elle redistribuait ainsi l'argent de l'Etat et, notamment, fournissait du travail) et que la criminalité ne soit pas une conséquence des injustices générées par les théoriciens du bien, et la question est de savoir si la Camorra continuerait d'exister, elle, dans une société juste."
Edifiant.