Vert venin: vert du teint brouillé par le capitalisme, "vert de la migration", "vert de la dénutrition".
"A Paris, je suis verte" avoue la narratrice (
Ornela Vorpsi? née elle aussi à Tirana) Albanaise vivant à présent en France, n'hésitant pas à partir pour Sarajevo (proche de l'Albanie) pour "réconforter un ami triste" Mirsad qui "ne sort plus depuis cinq mois".
Le voyage de la future "oreille attentive" débute par une phobie de l'avion, difficile à maîtriser, puis tourne au malaise près du sol de son enfance, car à présent "occidentale qui descend dans les Balkans", elle regarde les choses de l'extérieur, en spectatrice qui a honte d'avoir fui. Tous sont pourtant chaleureux,mais un rire ou une parole de trop et la violence sourd, inexorable.
Le rendez-vous avec Mirsad ne comblera pas ses attentes mais d'autres rencontres (Aurel le fils des voisins qui veut se marier avec sa mère pour la soustraire aux coups du père, Ahmed le beau Bosniaque auquel on donnerait "cent vingt-neuf ans", Béni fatigué de la vie..) surviennent et des souvenirs émergent peu à peu (ceux du père prisonnier "politique de Spaç" ceux de la mère naïve...) entre Paris, Milan et Tirana.
Prise de conscience d'une Yougoslavie nostalgique,amère,désolée, "qui désire l'Europe", qui "a besoin d'argent", où les coups pleuvent sans crier gare, où il ne faut "pas commettre d'erreurs", où l'eau de vie (réputée curative) imbibe plus qu'il ne faudrait,où le bonheur se niche parfois dans la mie d'un bon pain,où les faux-espoirs sont plus courants que les vrais
Vert venin est un livre fort et émouvant qui remet les pendules à l'heure et permet de relativiser, de mesurer le bonheur de vivre de l'autre côté.
Un livre à mettre en parallèle avec
Côme de
Srdjan Valjarevic (l'histoire tout en non-dits d'un écrivain serbe imbibé d'alcool, parachuté "villa Maranèse" au bord du lac de
Côme aux frais d'une bourse Rockfeller alors que chez lui on manque de tout et que la guerre frappe ) car ce Serbe là ressemble à Dusan, un autre Serbe, "écrasé par ses démons" qui voudrait "faire un enfant symbole de paix entre Serbes et Albanais" à la narratrice.
Ornela Vorpsi, romancière, a commis son premier ouvrage, en 2004, (
Le pays où l'on ne meurt jamais), un roman couronné par les prix italiens Grinzane-Cavour et Viareggio.