Quinze nouvelles de 1997, et l'une des plus belles écritures contemporaines de la globalité psychologique et politique des envers du décor, de tout ce qui glisse et tombe à l'ombre de l'individu-roi.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/11/11/note-de-lecture-sous-lempire-des-oiseaux-carl-watson/
Souvent comparé ou associé à
Charles Bukowski ou à
Hubert Selby Jr., le New-Yorkais Carl Watson, né en 1957, poursuit au fil des années une oeuvre pourtant davantage inclassable, me semble-t-il, rare dans ses fulgurances, économe dans ses moyens et sa fréquence d'apparition, longtemps rendue discrète par la multiplication des boulots alimentaires de toute nature, et aujourd'hui encore inscrite dans les interstices d'un travail d'enseignement de la littérature et de recherche sur les écrits d'
Henry Darger. Comme
Larry Fondation ou
Jerry Wilson, avec qui il partage certainement une extrême attention portée aux laissés-pour-compte du vaste rêve irisé américain, à leurs conditions matérielles d'existence comme à leurs vicissitudes psycho-sociales, il porte un fer à souder particulièrement brûlant dans des recoins urbains ou semi-ruraux fort mal jointoyés, là où se dit quelque chose d'essentiel à propos de nos civilisations, de ce qu'elles se refusent à voir et à faire pour le bien de toutes et tous. Il s'y ajoute peut-être dans son cas une langue réellement exceptionnelle, capable de déployer sa chirurgie géographique et politique aussi bien dans les contraintes salutaires de la forme courte que dans les espaces plus ouverts en apparence du roman.
«
Sous l'empire des oiseaux », publié en 1997, traduit par Daniel Bismuth et
Thierry Marignac à l'Olivier en 1999, avant d'être repris et augmenté en 2007 chez Vagabonde (qui suit désormais intégralement l'auteur, comme cette belle maison d'édition aime particulièrement à le pratiquer), est son premier recueil de nouvelles, apparu alors que jusque là seuls des poèmes et de brefs essais avaient trouvé le chemin de l'édition underground new-yorkaise, mais que simultanément son roman «
Hôtel des actes irrévocables » sortait en français chez Gallimard, dix ans avant d'être publié aux États-Unis.
Cette photographie de l'auteur, prise par l'anthropologue photographe
Valérie Jouve en 1998, reflète de façon extraordinairement directe l'atmosphère inquiète qui hante les quinze nouvelles présentées ici. Toutes fascinantes, on y distinguera toutefois peut-être plus particulièrement l'étonnant survol géographique intime, véritable vue en coupe d'une ville malade, proposé par « le damier des dindons », la fabuleuse incision onirique, jouant aux confins du fantastique et de la maladie mentale inavouée, opérée par « La chambre d'Harry », la sublime mise en perspective d'une carrière avortée et rongée par l'alcool (avec de belles
résonances du côté du «
Alcool Mon Amour » d'
Andréas Becker) de « L'avenir est une maladie », le rêve micro-industriel et mécanique de « Active la machine » (avec sa lente glissade presque rêveuse en direction du « À la ligne – Feuillets d'usine » de
Joseph Ponthus), la minutieuse et acérée géographie rurale sulfureuse de « le sang sur la plaine est un piège », ou encore l'impensable sens de la métaphore absurde qui irrigue «
Sous l'empire des oiseaux ».
Très loin de se réduire à des fragments de dèche et de défonce plus ou moins enflammés et tortueux, datés par les sixties et seventies, dans lesquels certains commentateurs français parfois un rien rapides aiment à compacter
Carl Watson, il nous est offert ici, ancrée bien entendu dans une dérive miséreuse presque inexorable, sous les formes les plus variées, l'une des plus belles écritures contemporaines de la globalité psychologique et politique des envers du décor, de tout ce qui glisse et tombe à l'ombre de l'individu-roi.
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